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L’EPS est interpellée par la société. Peut-elle contribuer à la valorisation d’une forme de culture originale, à l’émergence d’une nouvelle citoyenneté ? Contribution de Yvon Leziart

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L’école est discutée, mise en question dans sa fonction, ses effets. La société veille en permanence sur sa bonne marche et chacun reconnaît son importance dans notre société. L’école et la société sont donc liées de manière irrévocable. Lorsque l’école traverse des périodes d’instabilité, vit des difficultés des thèses se font connaître. Chacune d’elles s’attache à cerner les causes de ses désadaptations et à proposer des remèdes. Ces propositions différentes, parfois contradictoires suscitent des débats relayées par les médias. Actuellement un consensus existe pour reconnaître que l’école vit un passage difficile. Le Snep participe également aux réflexions sur les questions de l’école et propose une réflexion sur les rapports de l’éducation physique à la société en s’interrogeant de manière un peu provocante sur la capacité qu’a l’éducation physique de peser sur la société et d’infléchir des transformations durables. En d’autres termes l’éducation physique pallie-t-elle aux carences sociales et réduit elle les fléaux de notre époque : violences… et comment y participe-t-elle?

1) L’école a participé activement aux transformations sociales.

Cette question apparemment anodine pose une réflexion sur la place des structures éducatives dans la transformation des habitudes de vie des individus. L’histoire de l ‘école et de l’éducation physique nous donne quelques exemples des ces effets. Nous en évoquons deux rapidement. Les instituteurs de la fin du 19ième siècle ont participé de cette émancipation sociale. Les hussards noirs de la 3ième République ont en effet par leur action pédagogique engagé une démocratisation réelle de la société par l’écriture, la lecture et le savoir. Les enfants scolarisés apprenant les opérations essentielles de l’échange social ont poursuivi les actions entreprises par les enseignants en ‘’instruisant’’ leurs parents. En éducation physique les avancés réalisées par les enseignants dans le ‘’traitement éducatif’’ des activités sportives ont, dans les années 60, conduit à une scolarisation du domaine sportif. R.Mérand présente cette période comme celle d’une colonisation scolaire ou d’une scolarisation des pratiques sportives sociales. Ces exemples incontestables, témoignent des capacités du monde scolaire à peser sur les structures sociales.

Qu’en est il aujourd’hui ?. L’école peut elle actuellement intégrer contre leur gré des individus que la société isole ou rejette ? L’école, lieu envié d’instruction et source de promotion sociale au début du 20ième siècle a-t-elle perdu ses vertus et manque-t-elle les objectifs que la société lui assigne ?

2) Cadre primaire d’analyse des rapports de l’école et de la société

Il est nécessaire, pour éviter des commentaires partiels, trop simples, pour ne pas subir de front les évènements proches, de proposer un cadre d’analyse des rapports existants entre la société et l’école. Deux positions majeures apparaissent : Une consiste à minimiser les rapports possibles entre les deux structures. L’école se construit un monde à part protégé des variations sociales et gérant son propre fonctionnement. Cette position ne réduit d’ailleurs pas les conflits à l’intérieur du système scolaire, mais il sont sans rapports directs avec les évolutions sociales. L’école génère ses propres conflits et les assume. L’autre position condamne l’école a être une ‘’courroie de transmission’’ de la société. L’école reflète immédiatement et sans guère d’adaptation les transformations sociales, quelles soient positives ou négatives. L’autonomie de l’école ou son indépendance sont alors niées. Ces positions antagonistes ont généré beaucoup de débats et d’ouvrages dans les années 70.

Quelle position adoptons nous sur la question des rapports entre la société et le système scolaire ?

Nous estimons que chaque position présentée est schématique. Il est impossible de nier actuellement les interactions entre les diverses structures sociales, la société, l’école, le sport….Il s’agit de revendiquer une influence réciproque et en conséquence admettre l’idée d’une autonomie relative des structures. L’école comme toutes les institutions sociales subit des influences des forces économiques, politiques, sociales. Selon les périodes ces pressions sont plus ou moins fortes et directes. Ainsi il apparaît que l’école quelque soient ces forces les assimile et les intègre à ses modes de fonctionnement. Ce faisant l’école renvoie à la société des enseignements, des remarques, des informations qu’elle a développés en son sein et qui pèsent en retour sur le vie sociale, politique, économique directement ou indirectement, de manière proche ou lointaine. L’exemple de l’école de la fin du 19ième siècle illustre une période ou l’école en intégrant des orientations politiques sur la laïcité de l’école, sa gratuité et son obligation a en fait joué un rôle politique majeur en réalisant une démocratisation en acte bien plus efficace que les discours politiques les plus novateurs tenus sous la troisième République.

Aujourd’hui confrontés à de sérieux problèmes d’hétérogénéité scolaire, aux dérèglements qu’une société en difficulté installe, les enseignants d’éducation physique expriment, dans les revues professionnelles, syndicales ou autres, des prises de position sur les solutions à apporter pour combattre ces fléaux scolaires. Sollicités en permanence par les réactions des élèves, les enseignants cherchent des solutions rapides aux difficultés récurrentes rencontrées. Des propositions ingénieuses, généreuses sont souvent exprimées. Règlent elles cependant les problèmes rencontrés ? Sans nier que dans certains cas et pour certains problèmes particuliers des améliorations sensibles apparaissent il y a sans doute un leurre à estimer que des questions de cette importance peuvent être résolues aisément et tout de suite par l’action de l’enseignant. Ce volontarisme pédagogique associe à problème d’importance, réponse pratique immédiate et efficace.(Nous constatons que de nombreux ouvrages sur l’éducation présentent en fait, les utopies, voire les fantasmes de leur auteur, que la pratique de l’enseignement n’a pu assouvir). Cette perspective un peu naïve peut être dangereuse car l’échec possible, sinon probable, laisse l’enseignant démuni avec un fort sentiment d’inefficacité. L’école et dans le cas présent l’éducation physique, sont sommées d’ apporter des remèdes au malaise social. La violence et ‘’l’incitoyenneté’’ ne naissent pas à l’école, même si les normes scolaires, les règles et les contraintes scolaires participent à l ‘accroissement du malaise. Il ne faut certainement pas attendre de l’école qu’elle règle des problèmes que la société et la politique ne peuvent (ou ne veulent ) résoudre.

A contrario, les défenseurs d’une école sous le joug des décisions sociales et politiques estiment que l’école n’a pas la responsabilité de combattre les problèmes que la société actuelle avive : chômage et ses corollaires, violence…Ils se refusent alors à endosser ces questions et se refusent à formuler des propositions concrètes de remédiation aux problèmes quotidiens rencontrés. Convaincus que l’action de l’enseignant dans la modification des comportements sociaux est, lors de crise sociale grave, utopique, voire dangereuse, ils abandonnent leurs prérogatives d’enseignement dans l’attente de solutions politiques. L’enseignement quotidien devient alors parfois délicat.

3) Comment l’éducation physique et sportive peut-elle contribuer à la réduction des décalages entre l’école et la société ?

Nous avons, au travers de ces deux exemples extrêmes, nécessairement réducteurs, présenté des réponses d’enseignants confrontés journellement aux délicats problèmes d’adhésion scolaire. Nous avançons des propositions qui se placent résolument sur un autre plan.

Notre analyse repose sur l’idée que l’essentiel des problèmes que l’école et l’éducation physique doit régler n’est pas de leur fait. Dans une société difficile ou l’assurance du travail pour tous est loin d’être garantie, les difficultés sont liées à l’incapacité qu’éprouvent certains à se trouver une utilité sociale. Les diverses manifestations que l’école reconnaît sont sans doute dues en grande partie à ce sentiment d’inutilité sociale, éprouvé y compris par les jeunes générations. A quelle place, l’école se situe-t-elle dans les représentations d’un adolescent quasiment condamné au chômage avant que d’avoir acquis les savoirs scolaires essentiels ? La désespérance sociale, le sentiment d’abandon, d’exclusion sont évidemment peu compatibles avec un engagement scolaire, nécessitant une croyance minimum en l’avenir. En l’absence de perspectives futures pour les enfants, l’école perd son sens. C’est bien souvent dans ces conditions que les enseignants sont tenus de dispenser leurs savoirs. Que peut alors l’éducation physique ?

a) l’éducation physique et sportive doit redonner espoir et sens aux élèves

L’éducation physique doit peut-être s’attacher à redonner espoir et le sens d’apprendre aux enfants difficilement scolarisés. Est ce une utopie ? Aucun résultat n’est garanti et nous ne pouvons pas nous appuyer sur des actions réalisées et vérifiées dans des établissements secondaires. L’éducation physique malgré son caractère d’obligation, présente cependant une liberté que ne possèdent sans doute pas d’autres disciplines scolaires pour tenter l’aventure d’une action de socialisation réelle et nécessaire. Sa proximité des activités sportives fort médiatisées est un atout incontestable dans l’identification des élèves au monde scolaire. Les héros modernes sont sportifs et sont pour un grand nombre d’entre eux issus de l’immigration et des intégrations délicates. L’éducation physique doit chercher à donner par la pratique des activités sportives un sens scolaire aux enfants. Il nous semble cependant que, pour espérer atteindre ces perspectives, de nouvelles analyses ou des analyses plus approfondies sont à conduire. Deux axes principaux dans ces nouvelles approches peuvent être isolées :

aa)- Le sport doit être pensé comme un lieu de violence sociale maîtrisée.

La thèse de N.Elias et E.Dunning développe cette position. Le sport selon ces auteurs comporte, comme tout fait de société, mais peut-être encore plus que d’autres, un rapport complexe entre plaisir et violence. Les chapitres de l’ouvrage expriment clairement cette thèse.(la quête du plaisir dans les loisirs, sur le sport et la violence, lien social et violence dans le sport, la violence des spectateurs lors des matchs de football…). Le sport apparaît donc constitutivement organisé autour de la violence. La violence que crée l’opposition des hommes ou des groupes humains à été progressivement canalisée, organisée, maîtrisée par la création et l’acceptation par les pratiquants des règles sportives. L’évolution permanente de ces règles témoigne de la nécessité de faire évoluer le sport avec la société qui le porte. Cette maîtrise des violences n’est pas miraculeuse. Elle est une construction de l’homme et fluctue selon les périodes. Son efficacité n’est donc pas absolue. A certaines périodes(l’histoire du sport le montre aisément), les règles sont facilement acceptées et le sport participe alors pleinement à sa tâche d’intégrateur social, à d’autres périodes le sport est dominé par les violences sociales et les règles sportives n’ont plus valeur d’intégration. La pratique du sport en éducation physique doit prendre en compte cet effort permanent réalisé par l’humanité pour assurer une canalisation des poussées agressives de l’homme, des groupes sociaux ou des peuples. Cette construction lente peut être récrée en miniature en accéléré par l’éducation physique. Jouer avec les élèves à l’invention permanente des règles de jeu pour une pratique acceptable par tous et ou les élèves construisent la régulation instituée de la violence apparaît actuellement comme une perspective forte et possible de l’éducation physique et sportive. Son lieu de pratique, son ancrage constant dans des activités sociales connues et médiatisées, ses formes ‘’libres’’ de pratique (les élèves sont en mouvement), permettent de considérer que son originalité est un atout pour engager quelques régulations des formes de violence générées par une société de l’exclusion.

ab)- Les pratiques physiques et sportives sont inscrites profondément dans l’histoire de l’homme et de la culture.

L’autre approche consiste a approfondir les analyses anthropologiques des activités physiques et sportives afin de faire apparaître leur sens culturel. Nous entendons par sens culturel, une construction humaine réalisée pour le progrès de l’homme, sa comparaison aux autres et qui donne à ceux ci le moyen de sans cesse inventer et sans cesse transformer la pratique et les règlements de l’activité. Ces études approfondies de l’histoire des activités physiques, de leur ancrage dans la société et du développement dialectique de la pratique et des règles sont impératives pour donner un ‘’vrai sens culturel’’ à chaque activité sportive enseignée. Le vrai sens culturel inscrit réellement les pratiques sportives dans l’histoire de l’humain et dans sa puissance de transformation. Les ouvrages de B.Jeu, G.Vigarello et J.Metzler P.Goirand, les travaux d’Y.Piegelin s’inscrivent dans ces perspectives. Chacun de ces auteurs s’attache à comprendre comment les activités sportives sont inscrites profondément dans l’histoire de l’humanité en assurant ce supplément d’âme, cette pratique du futile, de l’inutile, que représente la culture. Les pratiques sportives sont un révélateur de la capacité qu’a l’homme à inventer, à transformer, à pousser au delà ses limites. L’histoire des pratiques sportives présentées par ces différents auteurs révèle leur profond ancrage dans la vie des hommes. Le sport ainsi présenté est le miroir de la formidable capacité qu’a l’être humain à se poser des problèmes sans cesse plus complexes et à systématiquement proposer des solutions à ces problèmes. L’histoire de la transformation au cours du temps des règles sportives confirment cette invention permanente. Les travaux d’Y.Piégelin sur l’apprentissage progressif par l’homme, des diverses formes de progression d’un point à un autre en bateau à voile révèlent l’inventivité humaine. Les exemples de ce type foisonnent dans le domaine sportif et consacrent le dynamisme, le dépassement permanent par l’homme de ses propres limites. En ce sens le sport est inscrit dans la culture de l’homme et témoigne de sa capacité à créer ;

Nous souhaitons que les chercheurs et les enseignants des Ufraps s’attachent à mettre en relation ces deux axes d ‘analyse. Il s’agit d’articuler les travaux sur la violence sportive maîtrisée et les travaux en anthropologie des activités sportives. Ainsi se construirait une analyse de fond de l’articulation : besoin d’activités d’opposition chez l’homme, maîtrise de la violence des confrontations, inventivité humaine par le biais des pratiques sportives. Le sens culturel des activités sportives se caractérise pour nous ainsi. Certains auteurs sans aborder le problème de cette manière revendiquent le plaisir comme moteur (Delignières) voire comme fin de l’éducation physique. Nous proposons en donnant du sens culturel aux activités sportives enseignées dans les établissements scolaires d’armer les élèves à la construction collective et individuelle de leurs pratiques d’éducation physique. C’est à dire introduire une passerelle entre ce qu’ils vivent comme activités corporelles dans les quartiers et les cités et une éducation physique ou se développe une pratique collective non pas édulcorée, aseptisée, mais construite dans une autre logique avec un autre groupe d’individus. L’objet de ce travail collectif est de comprendre que quelque soit le lieu d’origine, quelque soient les réussites scolaires, quelque soient les pratiques antérieures, quelques soient les conditions de vie, toute construction réalisée par un groupe d’individus (les élèves), s’inscrit modestement mais réellement dans l’histoire de l’humanité et préfigure les évolutions du futur. J. Cocteau disait fort joliment à propos de ces modestes mais réelles inscriptions dans le monde en transformation des hommes ‘’je suis assis sur ma chaise de bois, face à mon bureau en bois avec à la main mon stylo en bois et pourtant je participe à la transformation du monde’’.

Conclusion

Nous revendiquons donc pour l’éducation physique une orientation qui redonne dignité et responsabilité aux élèves. Le plaisir, dans cette perspective apparaît sans doute immédiat. Il est aussi plus profond. Percevoir l’inscription dans l’histoire des hommes et la participation aux transformations du monde au niveau de chaque élève, est certainement un objectif fort et ambitieux de l’éducation physique. Nous ne prétendons pas proposer de solution miracle, de sésame, nous réfléchissons à une façon de redonner aux enfants en difficulté un peu de perspectives culturelles (la culture prise ici, non pas comme détermination du savoir de l’élite, mais comme création par les hommes pour tous les hommes). Ces perspectives exigent approfondissements et traductions concrètes en éducation physique. Les efforts conduits pour construire une didactique de activités physiques et sportives ne peuvent à notre sens, ignorer ou mésestimer les positionnement anthropologique préalable ou au moins conjoint.

A lire aussi

Contribution de JP Garel

Contribution de P. Goirand

Bibliographie sommaire :

Brunner J. : (1996) L’éducation, entrée dans la culture. Retz. Paris.

Elias N. Dunning E. (1986) Sport et civilisation. Fayard. Paris.

Goirand P.et Metzler J. (sous la direction) : (1996) Techniques sportives et culture scolaire. Revue EPS. Paris.

Jeu B. : ( 1977 )Le sport, l’émotion, l’espace.Vigot.Paris

Joshua S.:(1999) L’école entre crise et refondation. La dispute. Paris.

Piegelin : (1984) : Dévoiler la planche. Production Insep, Fsgt. Paris.

Vigarello G. (1988) : Techniques d’hier et d’aujourd’hui , une histoire culturelle du sport. Revue EPS-Laffont. Paris.

Vincent G. (1994) : L’éducation prisonnière de sa forme scolaire ? Presses Universitaires de Lyon. Lyon.