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Nouveaux programmes d’EPS et rénovations des pratiques

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PAR M. PORTES

Remerciement à l’auteur ainsi qu’à la revue EPS qui nous autorise à publier cet article

Revue EPS N° 278 juillet-aout 1999

Pas un seul professeur d’EPS n’affirmera que sa mission se limite à faire acquérir par ses élèves quelques compétences spécialisées, (spécifiques dit-on dans le programme du collège), dans une succession d’APSA. A contrario, on en trouvera fort peu pour affirmer qu’il est possible aux élèves qu’ils accèdent aux compétences générales en EPS sans conquérir quelques pouvoir d’agir efficacement dans les contextes spécifiques de ces APSA. On pourrait en conclure que tous s’accordent sur les démarches à mettre en œuvre pour satisfaire aux nouvelles perspectives ouvertes par la déclinaison des programmes d’EPS du collège en trois types de compétences. Il n’en est rien évidemment, des divergences de fond traversant la corporation sur cette question. Ces divergences ont des origines multiples qu’il faut élucider, et elles se concrétisent dans des stratégies éducatives, des types d’organisation et des montages didactiques, radicalement différents. La publication en 1996, 97 et 98 des programmes pour le collège est trop récente pour que l’on puisse dès maintenant en mesurer les effets sur les pratiques des enseignants. Par contre les publications qui proposent des « opérationnalisations » possibles, (articles dans les revues professionnelles, documents académiques élaborés et diffusés sous la responsabilité des inspections pédagogiques régionales, etc.) . révèlent une très forte adhésion à une des lecture possibles* de ces programmes. C’est-à-dire celle qui attribue aux compétences propres chaque groupe d’APSA et aux compétences et connaissances générales, une primauté absolue dans la détermination des contenus d’enseignement ; et aux compétences spécifiques, le statut de vecteur d’acquisitions plus nobles satisfaisant mieux aux ambitions éducatives de notre discipline. Pour être largement majoritaire cette lecture reste discutable. Nous tentons ici de contribuer à cette discussion :

  • en présentant quelques arguments permettant de contester les fondements de cette lecture ;
  • en soumettant à la critique, une autre option qui, renversant les priorités, accorde à la construction des compétences spécifiques le statut de centre de gravité de l’EPS des collégiens.

DÉCLINAISON DES PROGRAMMES EN COMPETENCES ET CONNAISSANCES

Il s’agit de porter un regard  » dans le rétroviseur  » et de proposer quelques réflexions prospectives.

L’enjeu de la réforme

La Charte des programmes rédigée par le Conseil national des programmes affirme, dans son avant-propos, que la refonte des programmes de l’école primaire à la classe terminale des lycées,  » suppose une réflexion de fond sur les finalités de la formation des élèves, les critères qui président à la sélection des savoirs disciplinaires, les articulations entre objectifs de connaissances et objectifs de socialisation, … si l’on ne veut pas que les apprentissages scolaires soient leur propre fin mais qu’ils débouchent sur un réinvestissement hors du monde scolaire… pour permettre aux jeunes de construire leur vie personnelle, leur vie professionnelle et d’être des citoyens responsables « . Ce faisant elle éclaire bien l’enjeu de l’entreprise et, si on en croit P. Perrenoud [1], il s’agirait bien  » d’une très ancienne utopie : faire de l’école un lieu où chacun apprendrait librement et intelligemment des choses utiles dans la vie « .. C’est dans cette intention qu’il faut situer l’injonction faite aux GTD (groupes techniques disciplinaires) d’énoncer les contenus disciplinaires en termes de connaissances et de compétences. À propos de ces dernières, le programme  » détermine (pour chaque fin de cycle ou de formation) le niveau de compétence visé, en donnant une liste de tâches que les élèves devront être capables d’accomplir « .

Soumise à cet impératif l’EPS n’a pas eu à forcer sa nature, elle, dont les acquisitions ne trouvent leur sens que dans des activités mobilisant intensément toutes les dimensions de la conduite des élèves concernés, elle, dont la préoccupation de réinvestissement est permanente car fondatrice de sa pertinence éducative, et justificatrice de son statut de discipline scolaire.

Ainsi s’explique à l’évidence la différenciation entre compétences spécifiques et compétences générales, l’acquisition des premières devant contribuer à celle des secondes.

Quelques risques de formalisme

S’interrogeant sur les stratégies d’écriture des programmes scolaires visant explicitement le développement des compétences, B. Rey [2] note qu’on  » peut envisager de prélever dans diverses pratiques sociales, des situations problématiques, pour en extraire des compétences dites transversales. Pour parvenir à des listes de longueur raisonnable… on cherchera à élever le niveau d’abstraction, à composer de très larges familles de situations. Car Pour rendre comparables des situations les diverses, il suffit de les dépouiller de leur contexte. On retrouve alors les caractéristiques universelles de l’action humaine… À un certain niveau d’abstraction, on peut la définir indépendamment de son contexte « . Des formulations du programme 6ème, comme  » maîtriser ses émotions, maîtriser l’équilibration propice au déplacement, savoir s’exprimer à propos des apprentissages moteurs, etc.  » n’illustrent-elles pas ce recours à la  » décontextualisation  » pour formuler des compétences apparaissant alors comme transversales ?

P. Perrenoud [1] redoute que  » le sens suffisamment vague  » de ce type d’expressions  » n’affaiblisse dramatiquement l’approche par compétences « . Et il évoque le risque majeur d’un contournement de la volonté exprimée dans la Charte des programmes : Serait alors admis le langage des compétences parce qu’il ne change rien aux pratiques. Pour nous qui par le passé avons fait la preuve de notre aptitude à habiller de formulations nouvelles des pratiques et des contenus anciens, l’avertissement mérite d’être entendu.

Où situer la transversalité recherchée ?

B. Rey [2] fait remarquer que  » ce qu’on peut observer d’une compétence transversale, ce n’est jamais que son usage dans telle tâche particulière relevant de telle discipline, son usage dans telle autre et ainsi de suite ; ce qui est offert à mon regard ce n’est jamais la compétence transversale, mais une série de compétences spécifiques. C’est moi qui, par abstraction, isole dans la complexité de chaque situation ce qui me paraît commun avec la complexité des autres « . Et il pose logiquement la question que nous ne pouvons pas évacuer de nos débats en EPS : « la compétence transversale n’est-elle pas une vue de l’esprit ? « . Plus loin, il y répond d’une manière très radicale:  » il n’y a pas de compétences transversales… Mais le sujet peut avoir sur des situations ou des objets nouveaux, des intentions qui les structurent et y décèlent les caractères propices à la mise en œuvre de compétences particulières qu’il possède déjà « . Car, affirme-t-il,  » il n’y a pas de situation qui préexiste à l’acte de visée. C’est le sujet qui opère un cadrage et constitue par là en objet tel ou tel ensemble de données… C’est le sens que le sujet donne à une situation qui décide si elle va relever ou non de telle classe de situation et, donc, de telle compétence spécialisée… Par suite la transversalité, c’est-à-dire la similitude qu’on établit entre plusieurs situations, dépend du sens que le sujet donne à chacune « .

Si, par hypothèse, nous adhérions aux analyses et conclusions de B. Rey, il ne s’agirait plus, en EPS, pour déterminer des contenus d’enseignement, de se référer à des listes d’improbables compétences transversales (encadré 1) qu’il conviendrait ensuite de décliner dans diverses APSA, mais de se préoccuper conjointement :

  • de construction de compétences spécifiques,
  • de formation des élèves à la lecture des situations nouvelles pour y distinguer similitude ou proximité avec des situations problématiques déjà rencontrées et résolues,
  • déformation à la mobilisation de ressources disponibles dans des contextes assez différents de celui dans lequel elles auraient été acquises.

Sur ce dernier point, G. Le Boterf [3] nous dit que  » la compétence n’est pas un état ou une connaissance… des personnes qui sont en possession de connaissances ou de capacités ne savent pas les mobiliser de façon pertinente et au moment opportun… L’actualisation de ce que l’on sait dans un contexte singulier… est révélatrice du passage à la compétence. Celle-ci se réalise dans l’action. Elle ne lui préexiste pas… Il n’y a de compétence que de compétence en acte « .

Favoriser la réactivation d’acquisitions contextualisées nécessitera donc de travailler et de développer ce qui permettra aux élèves de savoir mobiliser Nous reviendrons plus loin sur cette dimension de l’activité des enseignants.

1. Les compétences propres au groupe d’activités

Constatons d’abord qu’il s’agit d’une originalité absolue de l’EPS: elle seule se préoccupe d’identifier et de faire acquérir des compétences de joueur de sports collectifs, de sports de raquettes, de combattant, etc.; à l’exception de quelques épreuves combinées en athlétisme, voire en APPN, on ne voit pas de pratiques sociales institutionnalisées de ces groupes d’activités.

N’oublions pas ensuite que la différenciation de 8 (provisoirement?) groupes d’APSA dans l’immense champ des pratiques corporelles non utilitaires est inspiré par la double souci:

  • de fournir aux enseignants un cadre « commode » pour planifier une EPS se voulant complète et équilibrée,
  • de faciliter des apprentissages ultérieurs dans le même groupe par activation/réinvestissement espérés » d’acquisitions réalisées dans une APSA.

Contentons-nous de noter que « commodités et espoirs » conjugués ne suffisent pas hélas pas à faire loi

DEUX PRÉALABLES À « L’OPÉRATIONNALISATION « DE LA RÉFORME

Peut-on se mettre d’accord sur la (les) réalité(s) qu’on évoque en parlant de compétence ?

 » Notion transversale, ambiguë, sorte de mot éponge  » nous prévient L.Tanguy [4],  » la notion de compétences s’est généralisée en éducation, en formation et dans l’entreprise… Notion à la limite du scientifique et du sens commun, elle revêt donc des usages sociaux divers « . Retenons l’avertissement mais constatons tout de même une certaine convergence des définitions proposées : pour P. Perrenoud,  » capacité d’agir efficacement dans un type défini de situation, capacité qui s’appuie sur des connaissances, mais ne s’y réduit pas  » ; pour D. Delignières et C. Garsault [5],  » ensemble structuré et cohérent de ressources qui permet d’être efficace dans un domaine social d’activité « . On retrouve toujours l’évocation de  » l’efficacité  » de la  » réalisation  » dont on comprend qu’elle est positive, satisfaisante.

Nous ne sommes pas très loin du langage commun qui définit le professionnel compétent par ce qu’il produit, ce qu’il réalise : construire un mur de maison, remettre en route un moteur en panne par exemple. Dans cette perspective les compétences devraient dire ce que l’élève produira, réalisera construira, etc., à la fin de la séquence de formation. Ce qui a été réalisé assez souvent dans la rubrique  » ce qu’il y a à faire  » des documents d’accompagnement des programmes :  » Parcourir une même distance à vitesse identique avec un nombre de foulées différent (amplitude ou fréquence) « …  » Freiner la progression du porteur de balle « …  » Contrôler et immobiliser son adversaire au sol « , par exemple.

Comment construire des compétences ?

 » La compétence ne réside pas dans les ressources (connaissances, capacités) à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources..  » [3].

P.Perrenoud de son côté affirme que  » la formation de compétences exige une petite révolution culturelle, pour passer d’une Logique d’enseignement à une logique d’entraînement (coaching) sur la base d’un postulat assez simple : les compétences se construisent en s’exerçant face à des situations d’emblée complexes « . Et il cite P. Meirieu :  » il s’agit d’apprendre en le faisant, à faire ce qu’on ne sait pas faire « .

Au total, ne pourrait-on s’accorder sur l’idée que pour favoriser l’accès des élèves à de réelles compétences, le professeur d’EPS doit satisfaire à quatre exigences :

  • mettre en chantier des compétences bien identifiées, pouvant être référées à un ou des contextes d’usage concrets ; – faire acquérir les  » éléments-ressources  » [21 que l’élève devra mobiliser  » avec pertinence et au moment opportun  » dans ces mêmes contextes -,
  • assurer la formation des élèves  » à la mobilisation « 
  • créer les conditions permettant l’extension ultérieure des contextes dans lesquels une compétence se manifestera.

Vaste et ambitieux programme certes ; mais comment y échapper?

QUE DEVIENT LA SÉANCE D’EPS ?

Une tranche de vie singulière pour les élèves

 » Placer l’élève au centre du système éducatif « . Qui aujourd’hui ne se réclame de cette impérieuse nécessité ? Fort bien. Comment la concrétiser dans la pratique de planification du professeur d’EPS ? Choisir une APSA parmi celles qui se rattachent à un groupe, opter pour une des formes possibles de pratique de cette spécialité, sélectionner et hiérarchiser des compétences à construire et des objets à étudier parmi les innombrables possibles, opérer les transpositions nécessaires (matérielles, réglementaires, didactiques, etc.), concevoir des modes d’entrée dans les séances, des formes de groupements des élèves, des stratégies de séances, etc., autant d’occasions de traduire en actes la noble intention si unanimement affirmée, en élaborant une forme de pratique originale propre à satisfaire à toutes les exigences d’une discipline scolaire.

Discipline d’enseignement, l’EPS a la mission de permettre l’accès à un corpus d’acquisitions spécifiques, et comme telles, ne pouvant être prises en charge par d’autres disciplines scolaires ou d’autres composantes du système éducatif, secteur associatif sportif par exemple.

Discipline de formation, on attend d’elle qu’elle accompagne et renforce les processus de maturation et de croissance en « visant chez tous les élèves… le développement des capacités nécessaires aux conduites motrices ».

Discipline d’expérience enfin,  » c’est-à-dire discipline organisée pour que l’élève participe à une aventure, à une expérience de vie, et où les acquis résultent d’activités qui doivent avoir leur sens en elles-mêmes  » selon J.-L. Mattinand, elle se doit d’offrir aux élèves les conditions d’une réelle tranche de vie d’athlète, de combattant, de handballeur, de grimpeur, de gymnaste, etc.

C’est sur cette dernière dimension de l’EPS que s’actualise le débat engagé ici.

La prise en compte de toutes les dimensions de la  » logique de l’élève « , est incontournable si l’on veut que les  » activités (aient) leur sens en elles-mêmes  » pour lui.

Mais au nom d’une préoccupation omniprésente de transversalité intra-groupe va-t-on  » déculturer « , (ou dénaturer nous laissons au lecteur le soin de choisir entre ces deux formulations chargées de présupposés antinomiques sur le statut anthropologique des APSA), non pas la spécialité, (ce qui ne serait pas si grave), mais bien l’activité du sujet engagé dans la pratique de celle-ci (ce qui par contre n’est pas sans conséquences sur la nature des sollicitations dont l’élève sera l’objet pendant la séance) ?

Or, n’est-ce pas le risque que l’on encourt en conduisant les opérations de planification de l’EPS des collégiens en recherchant prioritairement ce qui constituerait le plus grand dénominateur commun des APSA d’un groupe ? Ne doit-on pas plutôt s’inquiéter d’assurer une proximité maximale entre activité adaptative à solliciter chez les collégiens et activité spécifiquement mobilisée chez le sujet engagé dans la pratique sociale à laquelle l’enseignant a choisi, en toute liberté, de se référer ? (encadré 2).

Cette proximité, si nous la recherchons, émergera de la mise en harmonie des résultats d’une double investigation de la part de l’enseignant..

  • la première devrait l’amener à s’assurer que la forme de pratique qu’il proposera reste sous-tendue par la  » logique interne de la situation motrice  » [6] à laquelle il se réfère et que ses élèves pourront éventuellement l’identifier comme proche de celles dans lesquelles ils seront engagés ; cette  » logique endogène imposant un système de contraintes qui influence et oriente intensément les conduites motrices  » des pratiquants ;
  • la deuxième le conduira à être attentif aux manifestations éventuelles d’une  » ré interprétation « , par certains élèves de cette logique interne ; ceci pour en comprendre les raisons profondes et en tirer toutes les conséquences pédagogiques d’abord, didactiques et méthodologiques ensuite.

Une occasion d’élargir les pouvoirs d’action des élèves

L’acquisition de compétences spécifiques  » nécessaires à la réalisation efficace de chacune des activités enseignées  » révélant  » la maîtrise de savoirs et de techniques intégrées à l’action même  » est explicitement assignée à l’EPS au collège. Le fait que  » la liste exhaustive de ces compétences spécifiques à chacune des APSA enseignées  » ne puisse être établie dans le programme, compte tenu du nombre très important de celles-ci, pourrait amener à les considérer comme secondaires, voire superfétatoires. Cette manière de voir est rarement affirmée. Mais la planification des contenus à partir du programme des compétences propres au groupe d’APSA, (dans une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de la pédagogie par objectifs), conduit à éluder toute réflexion sérieuse sur les compétences spécifiques à mettre en chantier au cours du cycle pour que les élèves y progressent sensiblement dans la résolution des problèmes auxquels il sont confrontés. Sans cette conquête de nouveaux pouvoirs d’agir, sans cet accès à des espaces jamais côtoyés, à des émotions jamais éprouvées, à des sensations jamais ressenties, à des effets jamais produits, quelle signification peut bien avoir, pour le collégien, cette tranche de vie passée dans un environnement dont il n’aura pénétré ni la singularité, ni l’intelligibilité propre, dont il aura peut-être éprouvé les résistances sans avoir jamais eu les possibilités de les vaincre, dont il soupçonnera les satisfactions qu’on peut y ressentir sans avoir pu les partager ? Pourra-t-on prétendre alors avoir tout fait pour placer l’élève au centre du système éducatif ?

L’identification de ces compétences spécifiques nécessite une certaine expertise dont l’enseignant n’est pas toujours porteur. Une assistance lui est alors nécessaire. Les documents d’accompagnement des programmes en constituent un exemple. L’enseignant en difficulté peut s’y référer ou rechercher ailleurs les propositions dont il pense avoir besoin.

Un moment du processus d’hominisation des élèves

 » Ensemble des processus évolutifs par lesquels les hommes ont acquis les caractères qui les distinguent des autres primates,… et conçue comme le développement de nos potentialités psychiques, spirituelles, éthiques, culturelles et sociales », l’hominisation doit être poursuivie [7]. Face à toutes les barbaries qui menacent l’humanité – fanatismes, cruautés, mépris, haines, bureaucratismes, etc. – E. Morin appelle à  » la naissance de la société communauté planétaire des individus, des ethnies, des nations « . Interpellation directe, et particulièrement bienvenue aujourd’hui, de tous les éducateurs qui ont la charge de  » favoriser le développement de la personne humaine et son intégration à la vie de la société « .

Il ne nous semble pas excessif de placer  » la barre aussi haut  » pour évoquer la responsabilité que l’EPS partage avec les autres disciplines scolaires, et plus largement avec tous les acteurs du système d’éducation.

De si ambitieuses visées ne sauraient être atteintes par l’acquisition de quelques compétences spécifiques, fussent-elles « réelles  » et garanties comme telles par quelque  » expert de la spécialité  » que ce soit. Mais c’est seulement au cours de, et à propos de, cette opération de transformation active de l’élève, que peuvent se déployer deux autres processus, en l’absence desquels l’EPS perdrait toute crédibilité

  • un processus de  » décontextualisation  » des éléments ressources que l’élève aura dû apprendre, intérioriser, construire, pour alimenter la compétence spécifique
  • un processus d’entraînement à la mobilisation, dans des contextes nouveaux, de ces éléments-ressources.

Ces deux processus font partie des missions du professeur d’EPS. Et ce n’est pas parce que  » l’alchimie à l’œuvre dans la mobilisation reste encore une terre incognito  » [1] que nous devons nous sentir autorisés à ne pas placer cet entraînement au cœur des séances, ou à  » dévoluer  » aux élèves le soin de réaliser spontanément et quasi miraculeusement cette mobilisation [8]. Enfin, il ne nous semble pas que la spécificité de l’EP puisse être mieux identifiée et reconnue des usagers (élèves et parents), et des décideurs (hommes politiques et membres de la hiérarchie de l’institution scolaire), si nous ne parvenons pas à concevoir et mettre en œuvre des séquences qui génèrent simultanément de réelles transformations positives de la conduite

  • de l’élève-pratiquant dans l’APSA
  • de l’élève-citoyen dans son rapport à l’environnement culturel humain et matériel Une connaissance approfondie de la compétence spécifique à construire et des éléments ressources qui l’alimentent est requise pour prétendre générer les premières. Une analyse, des réalités multiples, modestes, microscopiques, et raisonnablement atteignables que saisissent les concepts d’autonomie, de citoyenneté, de solidarité, etc., est inévitable pour ne pas se payer de mots à propos des effets que nous ambitionnons d’obtenir, en et par l’EPS. Est-ce trop espérer du professeur d’EPS que d’affirmer qu’il peut, s’il en a le souci, satisfaire à ces deux exigences ? Exigences excessives ? Prétentions abusives ? Utopies ridicules ? Peut-être. À chacun des acteurs de se prononcer.

2. Étude de cas :le handball

En EP quelle que soit la forme de pratique retenue, elle devrait comme dans tous Ies jeux sportifs de ballon par son caractère résolument compétitif, inciter un élève à rechercher simultanément la mise en difficulté de ses adversaires et à se préserver de leurs entreprises, se structurer autour d’affrontements inter-collectffs incluant de nombreux duels, se spécifier « handballistiquement ».

Comment ?

En organisant les affrontements autour de deux enjeux essentiels:

  • les contacts corporels que les attaquants doivent éviter pour préserver leur liberté de déplacement et de manipulation du ballon et que les défenseurs doivent établir et maintenir pour limiter cette liberté;
  • les contacts ballon-défenseurs que les attaquants doivent éviter et que les défenseurs cherchent à provoquer.

En permettant de faire vivre trois contextes d’affrontement:

  • gagne-terrain/reconstruction de fronts défensifs
  • manœuvres d’accès au tir/obstacles aux circulations
  • tireur/gardien

Le professeur choisira de favoriser le(s) contexte(s) d’affrontement le(s) plus pertinent(s) compte tenu des caractéristiques de ses élèves et des visées éducatives qu’il entend poursuivre dans le cycle. Il serait regrettable de ne pas retenir le duel tireur/gardien, quelque soit la population considérée.

L’activité adaptative sollicitée chez les élèves devrait satisfaire aux exigences suivantes comme dans tous les jeux sportifs de ballon.

Les décisions d’action doivent être prises sur la base de prédictions sur les transformations de jeu et contribuer à (en tout cas ne pas contrarier), la cohérence du fonctionnement du système-équipe ;

  • plus spécifiquement – handball – devront être les conditions exigées dans la mise en œuvre de la dimension technique de la conduite en jeu. Nous limiterons l’illustration de leur singularité à deux systèmes fonctionnels :
  • Le système locomoteur: la production des trajets et trajectoires corporels est soumise à quatre exigences difficilement conciliables :
  • la vitesse (les espaces libres ne le sont que fugitivement),
  • le contrôle (l’encombrement de l’espace et les modifications fréquentes et inattendues de son occupation rendent nécessaires et sans délais des arrêts et des changements de directions
  • le maintien de la pleine disponibilité des membres supérieurs pour intervenir sur le ballon
  • l’exploitation coordonnée des dimensions horizontale et verticale de l’espace de déplacement.

Le système propulseur : la production des trajets et trajectoires du ballon est également soumise à quatre exigences tout aussi inconciliables

  • la tenue le plus souvent à une main d’un ballon volumineux,
  • l’ajustement des moments et des conditions de déclenchement du lancer à de nombreux éléments non stabilisés (position et forme des obstacles, positionnement et déplacements des cibles et des obstacles, etc.),
  • la vitesse du ballon et la précision des impacts
  • le masquage tardif des modes de propulsion et des espaces de lâcher du ballon.

De telles exigences ne sont évidemment pas absentes dans d’autres jeux sportifs collectifs de ballon. Mais c’est dans l’originalité du compromis à établir entre elles pour réussir au handball que se situe la spécificité de la commande à laquelle il faut confronter les élèves. Hors de cela pas de réelle tranche de vie de handballeur pour les collégiens.

* Tout le texte en italique correspond à la volonté de l’auteur de souligner le propos.

Bibliographie

(1) Perrenoud (P.). Construire des compétences à l’école. ESF. 1997.

(2) Rey (R.). Les compétences transversales en question ESF. 1996.

(3) Le Boterf (G.). De la carence.  Essai sur un attracteur étrange. Les Éditions d’organisation. 1994.

(4) Tanguy (L). . Les usage sociaux de la notion de compétence ». Revue Sciences Humaines ; Hors série n°12.1996

(5) Delignières (D.) et Garsault (C.). Objectifs et contenus de l’EPS : transversalité, utilité sociale, et compétence ». Revue E.P.S n° 242.

(6] Parlebas (P.). Lexique commenté en science de l’action motrice. INSEP. 1981.

(7) Morin (M.) et Kem (A.-B.). Terre-Patrie. Seuil. 1993.

(8) Delaunay (M.). – Actes des Universités d’Été EPS ». AEEPS. 1991.