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Compétence performance EPS
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Je rappelle, mais tout le monde le sait sans doute, que je n’interviens pas à titre personnel, mais au nom d’un collectif.

Je vais intervenir sur 3 points avec trois angles d’attaque différents :

Une approche « polémique » au bon sens du terme, j’espère, sur le rapport compétence et performance , une approche « politique » en montrant comment et pourquoi le SNEP a fortement contribué à l’introduction de la notion de compétence, tout en étant aujourd’hui très critique, et une approche plus « philosophique » pour réhabiliter la notion de savoir.

1- Compétence/performance

Le titre de la journée m’a beaucoup interrogé sans que je puisse y trouver de réponse satisfaisante, surtout avec la mise en relation avec la thématique globale des rencontres : 30 ans d’intégration. Cette mise en relation pourrait laisser immédiatement penser que, en 30 ans à l’EN, nous serions passés d’une EPS centrée sur la performance à une EPS centrée sur les compétences. Ce qui est périlleux car il faudrait démontrer d’abord que performance et compétence ne sont pas liés et dissociables, ou encore sur un continuum, d’où notre proposition de titre comme question à la question : « peut-on être compétent sans être performant » et inversement « peut-on être performant sans être compétent » ?

Il n’y a pas eu de définition donnée de la compétence depuis le début de la journée alors j’en apporte 2 qui vont dans le même sens et qui règlent à mon avis la question, sachant qu’il y a un consensus global, y compris dans la communauté scientifique, sur ce sujet :

Def : « La compétence mobilise un ensemble de ressources multiples permettant de résoudre une tâche dont la finalité est significative et apparente pour l’apprenant, permet de générer une réponse adéquate dans une situation singulière, sera considérée comme telle si elle est jugée efficace par autrui… »

Recherche et formation, INRP, 2010

Perrenoud : page 46 (quand l’école prétend préparer à la vie)

« La compétence n’est pas directement observable. C’est la condition d’une performance. Elle la rend possible, non aléatoire, prévisible. La compétence est en quelque sorte une promesse de performance. »

On peut donc, sans trop se tromper, identifier un certain nombre de choses qui font accord :

  • Il faut réfléchir, non pas en séparant, mais en prenant en compte le système : compétence-tâche-performance.
  • La compétence est un ensemble de ressources
  • Elle n’est observable qu’à travers une performance (au sens de prestation),
  • Qu’elle n’est reconnue que si elle jugée efficace par d’autres, il n’y a pas de compétence sans reconnaissance par d’autres de cette compétence.

Si l’on regarde que du côté de la performance : d’après la définition donnée plus haut, si l’on cherche une performance reproductible, alors c’est le révélateur d’une compétence… à résoudre le problème posé par la tâche.

C’est, là aussi je pense sans trop me tromper, ce qui fait l’objet d’un accord assez large, que l’on parle alors d’une « performance scolaire ». Puisque l’école est le lieu de l’étude systématique, on doit évacuer dans la mesure du possible le poids du hasard ou de l’exploit ponctuel. Le SNEP s’est largement sur ce sujet (bulletin n°… article JR et CC) mais nous ne sommes pas les seuls.

L’histoire du rapport de la profession à l’évaluation (depuis le début des années 80 cf livre SNEP) montre, c’est en tout cas l’hypothèse que je soumets à la discussion, que c’est en travaillant sur la performance, que l’on a travaillé concrètement sur la compétence. L’exemple donné ce matin par Mauffret est très éclairant : la minutie apportée à la définition de la performance scolaire montre bien qu’elle intègre ce souci de la compétence.

Le changement important, dans les textes officiels, est intervenu au moment des discussions sur le BAC 2002 en pensant une performance, pour la première fois de façon explicite pour l’institution, pour qu’elle révèle la compétence attendue, elle-même intégrant les 2 composantes culturelle et méthodologique. Ça a fait plus discuter et ça a plus fait bouger les pratiques que les discours autour de la compétence.

Il n’y a donc pas eu, de mon pt de vue et pour répondre directement à la question posée, de chemin parcouru allant de la performance à la compétence. Mais il y a eu un mouvement dans la compréhension de ce qu’est une performance scolaire révélant une ou des compétences. Dans les mots utilisés, si on regarde les textes officiels, il serait plus juste d’ailleurs de poser la problématique du passage de la notion de savoir (souvenons-nous savoir, savoir-faire, savoir être), à la notion de compétence comme unique référence « textuelle ». Ce qui m’amène à aborder le deuxième point : à partir du moment où la notion de compétence devient quelque chose de si prégnant, imposé et mis à toutes les sauces éducatives, ça pose problème et ça devient un problème politique sur lequel il faut se positionner sans être naïf.

2- La compétence aujourd’hui : la marque d’une politique

Mais ce que je voudrais montrer c’est surtout la manière dont il faut prendre en compte le contexte politique du moment. La question des compétences est un excellent exemple. J’ai entendu récemment au CSE, alors que je défendais les « compétences attendues » en disant que là on était proche de la définition donnée précédemment, ce qui n’était pas le cas des « compétences propres », un responsable d’un autre syndicat dire à son voisin : « ah ben tiens le SNEP n’est pas contre les compétences ». J’ai eu envie de lui répondre que s’il disait cela c’est qu’il ne connaissait rien à l’EPS et à l’histoire syndicale. Mais j’ai préféré l’ignorer. Cela dit, il ne doit pas être inutile de rappeler certaines choses pour comprendre la position syndicale, y compris sur d’autres sujets que celui que je traite ici.

On ne peut pas aborder cette question des compétences en fonction de ses croyances personnelles comme s’il n’y avait rien autour. Or, entre les années 80 et aujourd’hui, une chose fondamentale a changé : la compétence est devenue une loi et une politique. On ne peut pas parler des compétences, ou d’autre chose, en faisant abstraction de tout cela et en restant à des questions que l’on croit, à tort, uniquement pédagogiques.

Or, entre les années 80 et aujourd’hui, une chose fondamentale a changé : la compétence est devenue une loi et une politique. On ne peut pas parler des compétences, ou d’autre chose, en faisant abstraction de tout cela et en restant à des questions que l’on croit, à tort, uniquement pédagogiques.

Dans le début des années 90 1, soutenir et impulser le fait que les compétences soient prises en compte à l’école était une pensée divergente à l’école centrée sur les « savoirs ». Ces savoirs étaient souvent mis en opposition avec la capacité à utiliser ces savoirs. Le champ de l’EPS était un à l’écart de cette critique, car les « savoirs » en EPS étaient multiples (souvenez-vous : savoirs, savoir-faire, savoir-être) et intégraient d’une façon ou d’une autres les savoir-faire, que l’on peut rapprocher des compétences. Mais aujourd’hui, soutenir sans autres formes de procès les compétences, en plus en les mettant à toutes les sauces (voir programmes EPS ou les mêmes qui se sont moqués des 3 niveaux de compétences – générale, propre aux groupes et spécifiques, ont inventé 3 types de compétences : propres, méthodologiques, attendues qui sont censées intégrer les 2 autres… bref c’est du pastis comme on dit ici) est une pensée tellement dominante qu’elle en devient normalisante. En plus, elle conforte la politique actuelle en matière d’éducation.

Le SNEP, dans les années 90 s’appuie sur les compétences pour s’opposer à ce qu’il juge de façon récurrente comme la dérive « formaliste » ou abstraite des programmes. Alain Hébrard, ce matin,  a  redit  que  pour  lui  des  programmes  devaient  juste  donner  des  grandes  lignes pour « discuter avec le Ministre ». Sa préoccupation, qu’il porte encore aujourd’hui, est de donner une « carte de visite » à l’EPS. Nous étions déjà pour des programmes qui affichent clairement ce qu’il y a à apprendre. Le SNEP a promu les compétences, en particulier les compétences spécifiques, pour donner du « corps » aux programmes. Il le fera encore plus en s’appuyant sur le Conseil National des Programmes après la publication de la charte qui introduit fortement les compétences. Tout cela aboutira en 96 sur le texte programme 6ème.

La bascule politique en France date de 2005, avec Fillon qui inscrit la question des compétences dans sa loi, alors que les travaux précédents, notamment Thélot, ne portaient pas plus que ça la marque des compétences. Le rapport Thélot, que nous avons critiqué pourtant, parlait de « Socle des indispensables », et même de culture commune… Pourquoi F. Fillon fait le choix d’écrire le socle en terme de compétences ?

Rappel : Logique des compétences-clés européennes, déconstruction des qualifications et diplômes, et surtout transfert vers l’individu de ce qui caractérise la finalité de l’école. Pour aller vite, on passe d’une conception où il existe un certains nombre de savoirs, extérieurs à à l’individu, qui sont un bien public. Chacun devant se les approprier pour faire société. à une conception où les savoirs ne sont pas ou plus importants, ils sont totalement dévalorisés au profit du mérite de l’individu à se constituer un capital de savoir faire, un « portefeuille de compétences ». C’est exactement le livret de compétences en primaire et au collège. (voir sur cette partie Laval, Hirtt, etc.)

Paradoxe : au bout du compte, par rapport à la question initiale : on a jamais parlé autant de performance que depuis qu’on est exclusivement centré sur les compétences. C’est logique. Multiplication des tests, des comparaisons internationales, des notes. C’est un phénomène lourd de

société, et c’est l’attribut d’une certaine politique. Du coup soutenir sans retenue « les compétences » ou l’approche par compétence, qui en est le versant pédagogique, c’est s’inscrire, même à son insu ou à l’insu de son plein gré, dans une politique bien identifiable. Autant le savoir…

Pour résumer, il n’est donc pas contradictoire pour un syndicat comme le nôtre, de soutenir et même impulser une approche par compétences à une époque où les savoirs, souvent uniquement abstraits étaient sacralisés sans que le sujet et ses réels pouvoir d’agir ne soit pris en compte à l’école, et se méfier aujourd’hui des compétences devenues le centre de gravité de la politique éducative, et revenir comme stratégie politique et pédagogique, sur la place et le rôle des savoirs.

3- Réhabiliter les savoirs

Je terminerai donc par ça : retourner du côté des savoirs. Astolfi : C’est pour cela que je pense utile de prendre aujourd’hui (ou plutôt de reprendre) le parti des savoirs. En fait, c’est une vieille question, qui remonte au moins à l’époque de l’Encyclopédie et des lumières. Car ce ne sont pas les conservateurs, mais bien des révolutionnaires comme Condorcet ou Lakanal qui, sous la Convention, ont mis en exergue la dimension émancipatrice des savoirs.

Mais avant Astolfi, Roland Barthes en avait parlé : savoir et saveur ont la même étymologie. Par ailleurs il y a eu une série d’émissions, il y a bien longtemps…, sur France Culture qui s’appelait « les saveurs du savoir ».

En substance, Barthes disait qu’il y a savoir à chaque fois qu’une saveur accède au langage. Le savoir est l’avenir littéraire (la chose écrite) d’une saveur qui cherche à durer. Autrement dit : le savoir est la mémoire d’une saveur. Je trouve cette formule assez exquise.

En substance, Barthes disait qu’il y a savoir à chaque fois qu’une saveur accède au langage.

Stratégiquement mais aussi didactiquement ou pédagogiquement, la meilleure façon d’avancer est d’effectivement redonner du poids au « savoir » dans la perspective historico-culturelle qui est la nôtre, et de mener dans le même temps un travail pour replacer le ou les savoirs dans le contexte politique et dans son contexte d’enseignement, pour mêler intimement savoir et démocratie.

Je terminerai en faisant la promotion de ce que dit Chantal Amade Escot (je précise au passage que parmi nos Universitaires, rares sont ceux qui se prononcent sur des questions de fond qui concerne l’Ecole et l’EPS) l’école est l’institution « d’étude des savoirs ». Pour elle, l’idée d’Etude des savoirs doit être culturellement soutenue. Nous la soutenons.

Pour terminer et pour les étudiants ici présents, et puisque le sujet a été traité notamment pas Alain Hébrard, je dirais que, pour reprendre la fonction assignée à l’Ecole : instruire, former, éduquer, dans les programmes on est plutôt du côté de l’instruction. Il s’agit de définir à quoi l’élève doit être instruit, ce qu’il doit savoir Les compétences sont du côté de la formation. On doit former un élève pour le rendre acteur, en capacité d’agir. Et l’éducation, qui reprend bien sûr les 2 missions différentes (on ne peut pas être éduqué sans être instruit et formé), mais on y rajoute les valeurs, ce qui fait de l’élève un « honnête homme » ou encore, non pas un élève seulement physiquement éduqué pour reprendre une formule utilisée par l’AEEPS, mais une personne cultivée.

Notes :
  1. la référence à la notion de compétence dans le bulletin du SNEP avait commencé légèrement avant : si dans le bulletin n°226 de janvier 85 : rencontre avec commission verticale, le mot compétence n’apparait pas du tout. Par contre, dès les discussions sur le IO 85 : voir courrier au ministre, bulletin 236 de Juin 85 : « un tel projet (de formation) intègrerait, notamment, la définition des objectifs à atteindre en termes de compétences… » []