L’orientation du SNEP sur les questions dites, improprement, pédagogiques (ça va bien au-delà de la pédagogie), n’a pas varié depuis 30 ans si l’on considère la période des programmes en EPS : créer les conditions d’un débat collectif, démocratiser l’accès à l’information, imposer l’avis des professionnels de l’enseignement dans les prises de décisions. C’est un chemin difficile parsemé d’obstacles de toutes sortes: institutionnels, politiques, pédagogiques…
Pour nous(voir notre slogan des élections professionnelles)c’est l’œuvre collective, avec l’assise la plus large possible, qui est déterminante.C’est le goût du débat et de la controverse, c’est le repérage des contradictions inhérentes à l’exercice quotidien du métier pour proposer des perspectives nouvelles et, nous l’espérons, enthousiasmantes.
Le projet politique qui nous guide est clairement identifié. Nous sommes enseignants et nos actions sont toutes orientées vers cet horizon: l’émancipation de tous et toutes. Et cette émancipation partagée, distribuée, est la condition d’une société meilleure, solidaire. Nous avons fait le choix de nous engager dans ce débat, celui des savoirs et des compétences pour tous et toutes, avec cet idéal en tête, en tout lucidité,sans être naïfs, mais raisonnablement optimistes.
DEUX NOUVEAUTÉS POURTANT DANS NOTRE DÉMARCHE
C’est la première fois que nous faisons un colloque qui s’est trouvé, de fait, réservé aux premiers inscrits… Il faut bien l’avouer, c’est un choix qui nous a été imposé en quelques sortes par des préoccupations financières et la difficulté de trouver des salles dans des conditions raisonnables sur Paris. Tout le monde sait que la syndicalisation est notre seule ressource financière, et si nous continuons à progresser comme l’an dernier et comme les signes de cette année nous le laissent penser, nous pourrons peut-être reproposer des EPSiliades d’ici un an ou deux… A Bercy ou au Stade de France?
La deuxième nouveauté historique est que, pour la première fois, nous ne sommes pas en réaction à des projets ficelés, mais nous avons devancé les propositions: nous n’avons pas attendu le projet de socle, nous sommes intervenus depuis 2012 en permanence pour que l’institution prenne en compte la culture physique sportive et artistique dans les «fondamentaux», et depuis nous nous sommes mis au travail pour la suite…: les programmes disciplinaires. Certains, mal intentionnés, appellent ça du «lobbying», nous appelons ça un combat pour une éducation de qualité.Je voudrais ici revenir rapidement, mais nous aurons l’occasion d’en reparler dans ce colloque et dans les semaines à venir, sur quelques sujets que nous soumettons au débat collectif. Ces propositions sont le fruit de notre histoire, et nous voulons les «expérimenter», c’est-à-dire les soumettre à la sagacité des experts de l’enseignement que vous êtes et que sont les enseignants d’EPS.
METTRE EN DÉBAT
Le premier point à discuter est celui de l’émancipation. Mot devenu à la mode, mais qui a incontestablement une force politique, symbolique, mais aussi très concrète: s’affranchir de la domination sous toutes ses formes est un vaste programme. Mais la question redoutable qui doit nous occuper est celle des actions à mener pour aboutir à cette émancipation. Et là il faut à la fois de la modestie et de l’ambition. Pour ce qui nous concerne, si nous sommes ici, c’est que nous pensons que l’Éducation, et qui plus est l’éducation de masse, est un outil irremplaçable pour viser cet objectif. A cette étape, nous dirons que l’École doit doter chacun et chacune, simultanément, de 3 «facultés» (étymologiquement: capacité physique, ou morale, ou intellectuelle de faire quelque chose): pouvoir d’agir(acquisition de techniques complexes–la notion de technique ne renvoie évidemment pas à la définition «low-cost» dont on a l’habitude), comprendre(modes de raisonnement, façons d’apprendre, connaissances de soi…), intégrer l’idée de l’autre, de l’altérité, comme outil de son propre développement(je me construit dans un rapport social). Doté de cet outillage… chacun et chacune peut tenir sa place dans le développement humain vers l’émancipation.Comment s’acquiert cet outillage?
C’est le deuxième point que nous soumettons à la réflexion. Cet outillage s’acquiert par l’étude, en tout cas pour les savoirs qui ne peuvent s’apprendre par simple «frayage». Le service public d’éducation a été institutionnalisé, dans une visée démocratique, pour assurer à tout le monde, sans discrimination, l’accès à l’étude des objets culturels reconnus comme nécessaire par une société donnée. Les mécanismes généraux de l’Étude ont été décrits par S. Johsua, reprenant aussi des travaux de Chevallard. Pour qu’il y ait étude il faut:
- Disposer d’un guide(en général, un adulte,en l’occurrence, à l’École un professionnel de la chose). –
- Suivre une sorte de programme pour cette étude(des savoirs, une planification, etc.)-
- Agir selon cet encadrement,qui par el même coup définit des normes (comportements, manières de faire et d’être, etc.)
- Enfin, le résultat de son action (ou simplement de ses actions intermédiaires) sera évalué par soi-même, ou tout autre intermédiaire humain.-
- Recommencer, s’exercer: s’entrainer, pour intérioriser l’objet de l’apprentissage, pour pouvoir reproduire, etc.
Autant d’épisodes didactiques, où une institution met en place un rapport, entre un “enseignant”, un “élève” et “un savoir”, en vue de “l’étude” de ce dernier. Il y a donc bien étude, systématique, pour tous et toutes.Et en EPS, on étudie quoi? Les APSA qui sont les objets culturels sélectionnés, comme chaque discipline le fait pour son champ culturel de référence. Je ne vais pas développer plus, par manque de temps, mais nous considérons qu’il faut sortir des formules «APSA support» qui, si on l’étudie bien, ne veulent rien dire. Transposons cette affirmation dans les autres disciplines: les arts plastiques «support», la musique «support», la «géographie» support… gardons à l’esprit cette formule d’Alain Hébrard: les APSA sont nos «matières» d’enseignement.
Troisième élément de discussion et «matière» à proposition: si les savoirs (et/ou compétences) des APSA sont à étudier, il faut mieux les caractériser, et, sans doute, commencer par ça pour écrire des programmes. Vous remarquerez évidemment, que c’est une méthode diamétralement opposée à celle de l’institution pédagogique préoccupée généralement par des généralités d’usages, ce qui fait que la question concrète de ce qui doit s’apprendre est toujours laissé en jachère et renvoyé aux documents d’accompagnement ou aux fiches ressources.Nous proposons un nouveau cadre d’écriture sur parte de cette nécessité:
- Entrer par les savoirs et compétences à apprendre. Il y a un patrimoine didactique extrêmement important dans lequel on peut puiser. Étonnant par exemple que lors des précédentes opérations «programmes», celui-ci, et les personnes qui l’ont historiquement construit, n’aient pas été sollicités. Entrer par les savoirs donc, en identifiant les étapes-clé, celles qui ouvrent à un autre monde. Lorsque je maitrise ce savoir ou cette compétence, d’accède à de nouveaux pouvoirs, de nouvelles compréhensions… ça fait longtemps par exemple que l’on sait, en particulier grâce à Paul Goirand, que la maitrise de la position renversée est une porte qui ouvre l’accès à la culture gymnique.Ce n’est pas dit ainsi dans les programmes.-
- Identifier les procédures et méthodes spécifiques aux savoirs visés, qui peuvent être réinvestis, les connaissances sur soi sollicitées, etc. On n’apprend pas de la même façon, ni les mêmes choses en danse et en gymnastique. Les méthodes, comme on dit, sont intimement liées à l’objet.
- Les expériences à vivre dans la discipline: ex compétition, avoir participé à un spectacle, une sortie en plein air…. Quelles sont des expériences humaines, sociales, dans notre champ culturel, nécessaires pour appréhender le monde?-Qu’est-ce que je peux faire, ici et maintenant, qui témoigne d’une citoyenneté en acte, un apprentissage par exemple d’attitudes pour la santé (nutrition, gestion de l’effort…) ou participe aux éducations à…ou encore à des projets interdisciplinaires.
A travers cette présentation, nos voulons également sortir des schémas qui amènent immanquablement à l’émiettement et la perte de sens. Par exemple le schéma qui consiste à «décliner»: les options politiques du moment sont déclinées en finalités, déclinées en objectifs généraux, déclinés en compétences, déclinées en sous-compétences, en ressources, attitudes, etc. Bref, qui aboutit au LPC
Quatrième sujet, c’est celui, à la mode, du travail sur ce que l’on appelle l’approche curriculaire. Mais qui a chez nous une portée importante. L’idée de curriculum c’est d’avoir une vision globale de la formation sur l’ensemble du cursus et non plus un découpage année par année.Ça peut poser des problèmes à certaines disciplines (pb des changements d’établissements) mais en EPS on peut partir du principe que personne depuis que ça a été instauré en 2008, n’a critiqué ce principe.Dans ce cadre nous proposons trois pistes de réflexion:-
- Les niveaux actuels des programmes (N1, N etc.) ne marchent pas, référés qu’ils sont à des volumes d’enseignement trop restreints (10h, 20h…) mais aussi parce que, c’est plus visible dans certaines activités que dans d’autres, le découpage ne fonctionne pas. Certains formateurs comme M. Portes pour le HB, émettent l’hypothèse que l’on pourrait travailler, tout au long d’un cursus de formation, la ou les mêmes compétences. Ce qui différencierait les étapes serait non pas la compétence décomposée en différents niveaux, mais les ressources mises en jeu…Ce sera le sujet principal de l’intervention de Daniel Bouthier.
- L’EPS, pour des raisons idéologiques mais aussi pratiques, s’est développée sur la base d’une hyper polyvalence. Et d’ailleurs c’est justifié puisque si les APSA ne sont qu’un support, en changer beaucoup ne doit pas poser de problème… au bout du compte… l’éternel débutant!Nous pensons que nous sommes arrivés au bout d’un processus qui consiste à découper l’EPS en tranches égales. L’expérience ne permet de fonder une EPS qui garantisse à toutes et tous des apprentissages solides et sérieux. Nous proposons de réfléchir à une nouvelle articulation entre polyvalence et approfondissement pour toutes et tous. Pour acquérir dans au moins une activité un niveau de compétence suffisant pour pouvoir «jouer avec ses pouvoirs», se faire plaisir, gagner en estime de soi, réutiliser son expertise dans d’autres domaines, etc. et avoir dans le même temps une ouverture culturelle non restreinte par la liste d’APSA actuelle.
- Enfin il est temps de se poser la question des activités prioritaires en fonction des âges.Même s’il n’y a pas de loi dans ce registre, n’importe qui pouvant apprendre à n’importe quel âge, dans le cadre scolaire, on se doute que certaines activités devraient faire l’objet d’apprentissages au jeune âge (natation, gymnastique par exemple), d’autres peuvent attendre. En tout cas c’est un véritable sujet de discussion à confronter à la réalité.
Ce que je viens de brosser, très rapidement, constitue en quelque sorte le cahier des charges que nous avons défini et, pour une part, validé lors de différents travaux collectifs (congrès). Nous souhaitons maintenant le mettre à l’épreuve du feu, c’est-à-dire à votre expertise. Contrairement à ce qui se passe ailleurs, notre cadre, nos hypothèses sont publics et discutables, ré-ajustables dans un travail collectif ouvert à tous.
Je nous souhaite bon travail.