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A l’école, la notion de choix renforce les inégalités

Par Maxime Travert maître de conférences à l’IUFM Aix-Marseille

Si arts, musique, éducation physique et sportive deviennent des matières optionnelles, nombre d’élèves ne les découvriront jamais.

Dans « Libération » le 10/12/2004

Les arts, la musique, l’éducation physique et sportive sont rassemblés, dans le projet de réforme du brevet, dans un «portefeuille de matière au choix». Cette nouvelle position qu’occuperont ces disciplines dans le premier diplôme que les élèves auront à acquérir témoigne de la considération que le pouvoir politique leur accorde. Elles ne sont plus obligatoires ; elles deviennent optionnelles. A terme, on peut penser qu’elles seront prises en charge par des structures

extra-scolaires en dehors des missions qui incombent à notre école publique. Dans la vie de tous les jours, de nombreux adolescents, souvent ceux qui sont d’ailleurs en situation d’échec à l’école, «taguent», «rappent», s’affrontent dans une partie de «football de pied d’immeuble». La connaissance qu’ils ont, de soi et des autres, se façonne au gré de ces expériences sensibles dans lesquelles l’engagement corporel est un chaînon essentiel.

On va donc se retrouver face à une situation où, d’un côté, on aura une école dont le fondement légitime est la transmission d’un «socle commun de connaissances et de compétences» et, de l’autre, des adolescents dont les «connaissances et les compétences induites par des expériences communes» seront ignorées. Sauf à considérer ces connaissances et ces compétences comme des sous-produits culturels ou comme subversives et suspectes, on peut se demander s’il n’est pas regrettable de se passer de ces connaissances «ordinaires» ?

Oui, c’est regrettable, en terme de sociabilité !
On ne peut pas ignorer qu’au travers de ces expériences se construisent des règles de vie en communauté ; une socialité. Elles ne sont pas que des moments de partage d’émotions, elles sont aussi partage de principes singuliers, parfois différents suivant les groupes, à l’origine de la régulation de leur vivre ensemble. Laissées à l’abandon, loin des valeurs et des principes qui donnent corps à notre république, elles peuvent alimenter les voies d’un communautarisme figuratif, musical ou ludique.

Oui, c’est regrettable en terme de rapport au corps !
L’engagement corporel est un des facteurs essentiels qui caractérise ces expériences. Il l’est d’autant plus, qu’à cette période de la vie il participe activement à la construction du regard que l’adolescent porte sur lui-même, et de l’image sous laquelle il entend être reconnu.

Ne pas relayer ces expériences par un cadre structuré, stable et culturellement signifiant, c’est prendre le risque de laisser se développer un rapport au corps sans repères extérieurs, uniquement soumis aux aléas et soubresauts des conflits intérieurs.

Oui, c’est regrettable, en terme de réussite !
Tout le monde s’accorde pour que l’école mène l’élève sur la voie de la réussite. Mais alors, pourquoi se passer de ce qui est déjà pour lui, à l’extérieur de l’école, une expérience de la réussite ?

L’ignorer, c’est se couper d’un moyen d’attirer l’élève vers l’école. C’est également se passer des conditions initiales d’une réussite pour les mettre en relation avec des échecs. Seule la dialectique réussite/échec prend sens. L’une sans l’autre mène soit vers le désespoir, le rejet, soit vers l’utopie, l’absence d’apprentissages. Ignorer ces «différentes réussites», c’est se couper d’une entrée favorable dans les apprentissages. Oui, c’est regrettable en terme de culture !

il n’y a rien de plus inégalitaire que l’égalité devant le choix. On sait bien que l’appétit, la curiosité pour des disciplines restent profondément dépendants des contextes sociaux, culturels et confessionnels dans lesquels évoluent les personnes concernées.

Vouloir transmettre un socle de connaissances et de compétences n’est pas contestable. Il reste à débattre de sa nature. Ignorer ces cultures premières, c’est se contenter de s’entre-déchirer sur la définition d’une «culture commune» dont le seul fondement reste la légitimité académique. Le problème est alors posé en terme traditionnel et seuls sortent vainqueurs les conservatismes. Prendre en compte ces cultures premières, c’est déplacer le débat sur la définition d’une «commune culture» dont un des fondements reste le réalisme, et alors sort vainqueur l’enrichissement des élèves.

Et puis pour finir, pensons à ceux et à celles pour qui «taguer», «rapper» et jouer au foot dans la rue sont interdits ou inaccessibles. Pour eux, la pratique de ces matières, optionnelles ou se pratiquant à l’extérieur de l’école, reste suspendue à leurs choix.

Ignorer ces cultures premières, c’est se contenter de s’entre-déchirer sur la définition d’une «culture commune» dont le seul fondement reste la légitimité académique

Or, il n’y a rien de plus inégalitaire que l’égalité devant le choix. On sait bien que l’appétit, la curiosité pour des disciplines restent profondément dépendants des contextes sociaux, culturels et confessionnels dans lesquels évoluent les personnes concernées. Réduire au choix, la rencontre avec une matière, c’est, dans le meilleur des cas, renforcer une situation déjà existante et, dans le moins bon, ne jamais la provoquer. Bref, c’est renforcer les inégalités en entretenant les ignorances et en limitant la palette des choix.

Ne pas rendre obligatoire  les arts, la musique et l’éducation physique et sportive au brevet, c’est aussi regrettable, en terme d’égalité !