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« Former les enseignants d’EPS en France au XXe siècle »

Issu du projet collectif FORMEEPS qui a réuni pendant 2 ans une quinzaine de chercheurs, ce livre vise à faire un point sur les lieux et les acteurs de la formation des enseignants d’EPS en France, en privilégiant une approche par le local. Nous avons réalisé l’interview de Julien Fuch maitre de conférences à Brest qui a coordonné ce livre avec Jean-Nicolas Renaud.

Est-ce que tu peux nous présenter l’ouvrage que vous avez réalisé ?

Ce livre est le résultat d’un projet de recherche mené pendant deux ans, qui s’intitulait FORMEEPS (« FORmer les Enseignants d’EPS »), et qui a été labellisé par la Maison des Sciences de l’Homme de Bretagne. Au cours de cette aventure, une quinzaine d’historien.ne.s et de sociologues ont travaillé ensemble, au cours de séminaires et de séquences de recherche en archives, à partir d’entretiens aussi, pour faire l’histoire de certains lieux de formation (des CREPS, des IREPS, des UER EPS, etc.). L’idée initiale était d’appréhender la période 1945-1975, qui est la plus riche en termes de débats à propos des contenus et des structures de la formation, et qui est aussi la période sur laquelle, un peu paradoxalement, on savait le moins de choses. Dans ces années-là, on est vraiment face à une myriade de structures de formation qui ont chacune leurs logiques propres. Entre un CREPS et un autre, entre un IREPS et un autre, les logiques de formation, les acteurs, les contenus diffèrent réellement (pour ne donner que quelques exemples : les heures de physiologie-anatomie sont plus nombreuses en IREPS qu’en CREPS, et enseignées jusqu’en P2B en IREPS ; les heures d’activités physiques, elles, sont importantes en IREPS comme en CREPS – 16h par semaine généralement -, mais l’équilibre des enseignements théoriques avec les enseignements pratiques est plus marqué en IREPS qu’en CREPS ; etc.), à une époque où le recrutement et les statuts des enseignants sont eux aussi très divers (CAPEPS, Professorat-adjoint, PEGC, maîtres, etc.).

En feuilletant l’ouvrage je constate que vous avez choisi d’avoir une entrée locale par période de la question de la formation. Penses-tu que la situation locale puisse donner la lecture de la formation d’un point de vue plus global ?

Nous nous sommes très vite rendus compte que les CREPS, les IREPS, avaient des histoires très différentes. Tandis qu’à Nancy, par exemple, c’est l’IREP qui garde la main jusqu’à la fin des années 1950, en Bretagne, c’est le CREPS qui, jusqu’à la fin des années 1960, conserve l’hégémonie de la formation. L’idée de ce livre, c’est donc bien de montrer que l’histoire de la formation n’est pas homogène. En d’autres termes, lorsque l’on dit que l’EPS passe de la sphère médicale pour entrer dans une dimension sportive dans ces années, on a tendance à globaliser un processus qui, en fait, se joue à des vitesses différentes en France. La patte des acteurs-clés de ces structures (Binet à Dinard, Marchand à Strasbourg, Duvernoy à Besançon, etc.), les contingences territoriales, les conditions matérielles, les liens avec le monde universitaire : tout cela crée pour chaque structure un profil singulier. Cette posture nous paraissait d’autant plus intéressante qu’entre 1945 et 1970, on est vraiment dans une période où la formation se structure, c’est-à-dire où il y a de forts enjeux de pouvoirs, des conflits politiques, idéologiques et conceptuels sur ce que doit être l’enseignement de l’Education physique : jusqu’où aller dans l’universitarisation, quelle place accorder aux savoirs scientifiques sur le corps, etc. ?. En fait, nous avons essayé de reconstruire un certain nombre de pièces du puzzle de la formation des enseignants d’EPS. Derrière une compréhension parfois uniformisante d’une lecture basée sur les textes légiférant la discipline, le cadre proposé ici permet à chacun des lieux d’exprimer sa singularité par la mise en contraste d’avec les autres centres de formation.

Au regard de la lecture de l’histoire penses-tu que la formation de l’EPS vit une crise historique ? 

D’abord, il faut rappeler que l’histoire n’est pas là pour répondre à des questions politiques contemporaines. Mais elle peut en tout cas nous éclairer. Il est évident que le CAPEPS et la formation des enseignants d’EPS, avec la réforme actuelle, sont peut-être à un tournant de leur histoire, comme ils l’ont été au milieu des années 1970, à la fin des années 1980, etc. La remise en question de l’écrit 1 notamment, contre laquelle la profession et les enseignants-chercheurs se mobilisent, est la marque d’une incompréhension grandissante entre l’institution et les acteurs de la formation des enseignants d’EPS, et sans doute une bonne partie des enseignants d’EPS eux-mêmes, convaincus de l’importance et de l’intérêt de la réflexion épistémologique et historique. Ce que nous apprend aussi l’histoire, c’est que le processus d’universitarisation a vraiment été puissant et a progressivement fait converger la formation vers un standard académique, là où elle était peut-être initialement davantage empirique (sans que cela n’ait rien de péjoratif, au contraire !). Aujourd’hui, la transformation en cours de la logique de formation et de recrutement des enseignants d’EPS n’est que la suite logique de ce processus, qui confirme le décalage croissant dont nous venons de parler. On peut le déplorer. Aux acteurs de l’EPS de s’en saisir pour infléchir le processus et proposer une formation qui demeure, malgré des cadres renouvelés, une expérience avant tout pédagogique et professionnalisante.