Julien Netter est maitre de conférences en Science de l’Education à Paris 8. Il a publié aux éditions PUR, « Culture et inégalités à l’école, esquisse d’un curriculum invisible « . Nous avons décidé de le questionner sur ce que recouvre ce titre et plus largement sur les liens entre école et culture.
Il y a historiquement 3 courants que l’on retrouve aujourd’hui simultanément.
Le 1er courant est le plus spécifiquement scolaire, l’école est l’appropriation d’une culture lettrée avec un rapport aux textes, aux grandes œuvres littéraires… Une 2ème filiation, c’est les mouvements d’éducation populaire née au 19ème siècle et qui ont promu la notion d’objet culturel dans les années 30 avec le front populaire et surtout après la deuxième guerre mondiale. Ils ont promus l’idée que l’on allait permettre l’accès à la culture à la fois par la fréquentation d’œuvre d’une culture populaire mais aussi par la pratique de la culture. Le 3ème courant est celui porté par le ministère de la culture, avec l’idée d’œuvre et de chef d’œuvre, entre l’œuvre et son public il n‘y pas d’intermédiaire, on a un coup de foudre, l’œuvre d’art nous parle directement.
Des 3 courants ont interagit, par exemple le ministère de la culture s’est tourné dans les années 80 vers les associations d’éducation populaire et l’école s’est ouverte à la fois à la fois au ministère de la culture mais aussi aux associations l’éducation populaire. Avec la « politique des ZEP », il y avait l’avait l’idée qu’il fallait faire rentrer les contenus culturels dans l’école…
Dans les politiques publiques domine le principe de « l’accès à… »
BC : Est-ce que les enfants des quartiers populaires seraient plus en réussite scolaire s’ils baignaient davantage dans la culture ?
On est dans un pays qui vient de vivre 40 années de politiques publiques qui vont dans ce sens-là : rendre accessibles plus de biens culturels aux enfants. Parallèlement il y a un creusement des inégalités. Cela ne veut pas dire que c’est un mauvais choix politique mais il n’est pas suffisant. « L’accès à » est nécessaire mais non suffisant. Il ne suffit pas de tremper les enfants dans la culture pour qu’ils sortent cultivés. Ce qui est déterminant évidemment c’est l’appropriation par les enfants de la culture.
Par exemple dans le livre, je montre que les politiques publiques facilitent l’accès au musée. Or ce n’est pas parce qu’ils vont au musée, qu’ils vont en comprendre l’intérêt et surtout en tirer un bénéfice scolaire. Il y a un travail à mener sur les objets culturels qui prend plus de temps que la visite de l’objet lui-même. Ce travail est sans doute insuffisamment mené dans les écoles françaises que j’ai observées.
BC : Tu dis travailler le rapport à la culture, pourtant les enseignants font faire des travaux préparatoires. En quoi le fait de s’approprier une œuvre va favoriser la réussite scolaire ?
Il y a deux logiques qui se côtoient, la culture de l’école qui est une logique disciplinaire. Elle pense tout ce qui est fait en son sein en termes de discipline. Dans chaque discipline il y a une façon de penser différente.
La culture qui est amenée à l’école, les objets sont présentés par thématique. Par exemple les animaux fantastiques. L’école va penser ce rapport à l’objet avec des disciplines différentes. En littérature à partir des œuvres ou en en arts plastiques sous la dimension plastique. Il y a un moment où les enfants pour tirer un bénéfice scolaire doivent transformer un contenu thématique en contenu disciplinaire. C’est ce processus d’appropriation qui n’est pas suffisamment travaillé. Les enseignants sont un peu dans une logique schizophrène car ils mènent à un moment une logique thématique et à un autre moment une logique disciplinaire, qui constitue le cœur de la classe et la majeure partie du temps de l’école. Mais articulation n’est pas pensée, comme si ces deux logiques étaient étanches l’une à l’autre.
Certains enfants arrivent à traduire la logique thématique en logique disciplinaire, ils scolarisent le monde. Cette capacité est travaillée dans certaine famille. Dans une famille d’enseignant, on passe beaucoup de temps à scolariser le monde, un objet sur lequel on réfléchit avec un point de vue disciplinaire qui n’est pas nécessairement explicite mais qui correspond à la façon de penser à l’école.
BC : Le lien auquel tu fais référence, c’est par exemple pour la thématique de l’autonome, de faire compter les feuilles en math ?
Non pas du tout, c’est un lien formel, si je prends le thème de l’automne, en histoire ça va avoir un sens avec le retour des saisons, une façon de compter le temps, en poésie cela va être liée à une atmosphère, en arts visuels cela va être lié aux couleurs.
Souvent à l’école maternelle il y a des ateliers thématiques. Ils peuvent induire les enfants en erreur sur ce qu’ils font vraiment, si les contenus disciplinaires sont masqués. Si le but est de compter les feuilles, je travaille sur la numération, l’autonome n’est qu’un prétexte.
Pour créer du sens il n’est pas nécessaire de faire un lien entre les disciplines autour d’une même thématique. Les disciplines sont des façons différentes de concevoir un même objet. Le monde est présenté en dehors des murs de l’école de façon thématique, une exposition, la télévision est thématique. Ce que fait l’école, c’est qu’elle propose différents regards sur ces objets.