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Faut-il faire ses devoirs pour réussir à l’école ?

Le gouvernement propose de supprimer les devoirs pour améliorer l’égalité des chances en primaire. Ce n’est pas le cas du collège, où de nombreux collègues conseillent aux élèves pour mieux réussir le deuxième trimestre de plus travailler à la maison. Rencontre avec Séverine Kakpo enseignant chercheuse en science de l’éducation qui vient de réaliser un travail ethnographique sur les devoirs à la maison dans les milieux populaires.

Dans le monde de l’école, très souvent les conseils majoritaires donnés aux élèves sont de travailler davantage à la maison, est ce que cela résoudrait en partie la difficulté de certains élèves ?

« Travaille et tu réussiras ». Il est certain que l’institution scolaire se légitime massivement  par l’affirmation que le travail garantit la réussite scolaire. Les devoirs sont en ce sens une des clés de voute du système méritocratique. L’incitation à « travailler plus » pour « réussir » ou « réussir plus » n’est pas qu’une injonction institutionnelle, c’est aussi une injonction que formulent quasi quotidiennement les parents de mon enquête à leurs enfants. Tous ont, en effet, foi en ce postulat d’équivalence et beaucoup prescrivent du « travail en plus » à leurs enfants, à partir de supports directement scolaires ou parascolaires. « On lui fait par exemple une heure de travail et puis après elle va jouer ou faire… elle s’amuse et puis rebelote, on va faire une demi-heure […] On voit qu’elle est vraiment fatiguée, mais c’est pour elle ! », explique, par exemple, une des mères interrogées. Or, les travaux d’Anne Barrère ont largement contribué à déconstruire cette croyance en « l’équivalent-travail », c’est-à-dire en un postulat de proportionnalité systématique entre réussite et quantité de travail fourni. A partir du cas des élèves qui réussissent sans travailler ou qui réussissent plus qu’ils ne travaillent (« les touristes »).

Les parents sont ils démissionnaires du suivi des devoirs à la maison ?

Loin d’être « démissionnaires », les familles populaires de mon enquête aspirent à voir leurs enfants réussir à l’école et se mobilisent – tout particulièrement autour des devoirs – pour tenter de favoriser leur carrière scolaire. Les familles populaires ont profondément intégré le fait que la position sociale des individus est désormais très largement déterminée par leur niveau d’études. Elles savent qu’une sortie sans qualification du système scolaire est le « pire des scénarios » et qu’il expose leur enfant à toute sorte de risques sociaux (précarité, chômage, exclusion etc.). Ces résultats illustrent, d’un point de vue ethnographique, ce que l’INSEE a déjà largement mis en évidence. En effet, on sait que, jusqu’à l’entrée en sixième, la proportion des mères qui aident leurs enfants au moment des devoirs est considérable et que celle-ci ne varie quasiment pas selon le milieu social ou le niveau de qualification. A ce stade, ce sont d’ailleurs les mères les moins diplômées qui consacrent le plus de temps aux devoirs !

Est-ce que les parents ont bien saisi ce que signifie faire ses devoirs ?

Les codes pédagogiques de l’école ont profondément évolué depuis la fin des années 1970,              c’est    principalement    à    partir    du    cadre    de    référence    des    pédagogies « traditionnelles » que les parents interprètent le travail intellectuel sollicité par l’école et prescrivent du travail « en plus ». Viscéralement attachés à des codes qui ont marqué leur expérience scolaire et qui entrent fortement en résonance avec leur ethos de classe (valorisation du sérieux, d’une certaine docilité etc.), l’enquête montre les parents de notre enquête peinent à s’orienter dans les méandres du curriculum contemporain, qui fait désormais moins appel aux capacités de restitution que de réflexion des élèves. Les parents sont profondément déstabilisés par les nouveaux schémas d’apprentissage de la lecture, par les modes d’enseignement de la grammaire, de l’histoire, par la place qu’occupe la littérature jeunesse, les sorties scolaires etc.

« Les devoirs à la maison, mobilisation et désorientation des familles populaires » aux éditions PUF

Séverine Kakpo a fait un travail de recherche sur le temps de l’après école et de l’activité des familles sur les devoirs. Dans son ouvrage elle analyse le travail hors de la classe des élèves et la division sociale du travail éducatif entre école, familles et acteurs du monde périscolaire. Un éclairage pertinent des processus de production des inégalités sociales de réussite scolaire