La première Soirée de l’EPS a choisi de réfléchir autour de la notion de forme de pratique scolaire. Peu à peu dans le jargon des concours nous pouvons même entendre : Mais tu proposes quoi comme « FPS » »1 ?
Nous avons souhaité questionner et travailler ce concept, non pas dans son origine historique dont de nombreux articles dans les cahiers du CEDREPS ou plus récemment Didier Delignières en dessinent les contours, mais plutôt dans son usage usuel dans le monde de l’EPS. Le travail engagé par Alain Becker et Dominique Kramer2 vise à comprendre les pratiques proposées et la définition du type d’EPS qui en découle.
Le titre de notre soirée, un peu provocateur, questionne les glissements que l’on peut percevoir sur la construction des situations qui sont proposées à nos élèves.
« La forme scolaire de pratique libère ou enferme t-elle les élèves » ?
L’enjeu pour nous n’était pas de figer une école de pensée qui viserait à déterminer si nous sommes pour ou contre les formes de pratiques scolaires. Cette bicatégorisation de la pensée réduit la complexité et nuit à la compréhension plus globale de ce qui se joue autour du concept.
Forme de pratique scolaire de quoi parle-t-on ?
Les publications notamment de l’AEEPS mais aussi de nombreuses publications dans la revue EPS parlent de « forme de pratique scolaire » lorsqu’elles présentent une situation d’apprentissage ou d’évaluation. Mais nous ne pouvons que constater certaines dérives, comme le souligne d’ailleurs Serge Testevuide dans le dernier cahier du CEDREPS : « on observe que les notions de Formes de Pratique Scolaire (FPS) et de Ciblage, initialement développées par le CEDRE puis le CEDREPS, sont aujourd’hui reprises de diverses manières par différents collègues ou collectifs dans des utilisations souvent fort éloignées de leurs origines ».
Une origine qui remonte aux premières « didactisation » des APSA3 mais qui émerge dans les termes actuels dans les années 2000 à partir d’une critique du rapport aux pratiques dites de référence qui ne constituaient pas, d’après les auteurs, un ciblage suffisant des apprentissages et des transformations dans les usages majoritaires réalisés par les enseignant·es d’EPS. Le CEDREPS, en créant ce concept à vocation professionnelle cherchait à identifier plus précisément ce que l’élève doit apprendre dans l’APSA et la situation la plus précise pour y confronter l’élève.
FPS, 3 glissements s’opèrent
Cependant, en lisant certaines propositions formalisées comme « formes de pratiques scolaires », nous pouvons repérer 3 glissements qui s’opèrent dans les pratiques qui viennent changer la définition de l’EPS comme discipline d’étude pratique des APSA.
Nous ne faisons pas ici référence aux exercices d’échauffement par exemple, dont nous pouvons utiliser une grande diversité avec parfois des détours assez loin du coeur de l’APSA. Nous réfléchissons ici sur les « situations de référence », « situations clés », sur les épreuves d’évaluation proposées à nos élèves. Ce qui constitue le coeur effectif de l’EPS et de sa définition en tant que discipline d’enseignement.
Le premier glissement est la référence à l’APSA
Le premier glissement est assumé en partie par certains auteurs qui refusent de s’ancrer dans ce qui caractérise la culture d’une activité. Le CEDREPS parle à ce sujet de ne pas faire de « révérence » à la culture sportive et artistique. Mais de l’irrévérence à l’abandon il n’y a qu’un pas. Ce glissement remet en cause la définition d’une EPS comme l’étude pratique des APSA ou plus précisément des techniques sportives et artistiques. Cela constitue pour le SNEP-FSU un débat important puisqu’il questionne la fonction de l’école dans sa tradition de transmission de la culture. Les collègues, dans leur recherche d’atteinte de finalité ou de transformation de la motricité peuvent ne plus conjuguer cette visée avec l’appropriation par les élèves de la culture. Ils·Elles abandonnent de fait la fonction de démocratisation de la culture par l’école. Si certains enfants de milieux favorisés pourront sans aucun doute s’approprier cette dimension de la culture humaine dans d’autres lieux comme par exemple les clubs, ce ne sera pas le cas des enfants des classes populaires dont moins de la moitié fréquente un club sportif.
Il y a une forme de caricature et de dénaturation de l’idée de départ à ne penser l’EPS qu’à partir de FPS qui pourraient se suffire à elles-mêmes
Notre société ne pourra pas réduire les inégalités d’accès à la culture sauf à considérer que finalement savoir nager, danser, faire du vélo, jouer au handball ou au basket n’est plus une dimension de la culture humaine qui constitue un bien commun, fondamental pour entrer dans notre société 4.
Heureusement tout le monde ne balaye pas la fonction « culturelle » de l’École comme en témoigne cet extrait d’ouvrage :
« L’enseignement des techniques corporelles à l’école est également une fin dans la mesure où l’un des enjeux de l’EPS est l’acquisition d’une culture sportive (et artistique rajouté par nous) dont les techniques constituent l’élément essentiel… Parce qu’elle traduit une étape de l’évolution d’une discipline et cristallise l’intelligence de différents acteurs, chaque technique sportive et artistique est porteuse de sens. Apprendre une technique sportive et artistique c’est s’approprier des actions, des pensées, des émotions, des sensations vécues par d’autres. C’est ainsi s’offrir la possibilité de s’intégrer dans différents types de collectifs en partageant des dispositions communes à agir. 5»
Le deuxième glissement : la magie de la tâche
La magie de la tâche, au sens où la situation deviendrait en soi contenu d’enseignement parce qu’elle serait une création pour l’école… Finalement, la focalisation excessive aujourd’hui sur les FPS pourrait laisser penser qu’il suffirait de confronter les élèves à une forme de pratique scolaire pour en garantir non seulement son inscription dans les valeurs que l’école se doit d’attendre d’une pratique (l’égalité…), mais aussi une transformation motrice des élèves. Une transformation dans le sens attendu par ceux qui ont été à l’origine de la construction didactique de la situation.
Mais les élèves peuvent « faire des situations » ou jouer dans la forme de pratique scolaire en travaillant à côté de ce qui est attendu. Une forme de pratique scolaire n’exonère pas l’enseignant·e d’une activité professionnelle de guidage et d’identification des contenus prometteurs pour réussir. Par ailleurs, sans une confrontation plus systématique des élèves au contenu à s’approprier, les élèves ne pourront pas durablement stabiliser les transformations. Nous retrouvons d’ailleurs ce souci dans le concept de « petite boucle » du CEDREPS que certain·es enseignant·es utilisent.
Il y a une forme de caricature et de dénaturation de l’idée de départ à ne penser l’EPS qu’à partir de FPS qui pourraient se suffire à elles-mêmes.
Troisième glissement : des pratiques pour « publics cibles ».
La création de formes de pratiques scolaires prenant appuis sur des présupposées qui, loin de libérer les élèves, les enferment dans des pratiques stigmatisantes, est un autre glissement possible. Pensons particulièrement aux pratiques soi-disant destinées aux filles. C’est ainsi que plusieurs auteurs soulignent l’intérêt des formes de rencontres plus coopératives, moins compétitives, qui seraient plus en phase avec les aspirations des élèves. Nos deux invités Clément LIena et Olivier Dieu, de l’université de Lille, montrent que les formes de pratiques coopératives, ou moins compétitives, ont peu d’incidence dans l’implication physique et les émotions que ressentent les élèves et notamment les filles.
Conclusion
La notion de « forme de pratique scolaire » a été reprise par l’institution et transformée en « forme scolaire de pratique » pour ne pas être taxée de valoriser un groupe de réflexion plutôt qu’un autre. Mais ça ne change rien sur le fond. La notion fait désormais partie du langage « officiel » de l’EPS. A ce titre, nous ne pouvons que le questionner, non seulement sur ce qu’il sous-tend, mais aussi sur ce qu’il produit dans les faits.
Et si on reprend les 10 dernières années, il est impossible de ne pas observer que l’émergence de cette notion s’inscrit dans un discours qui vise à récuser l’assise culturelle de notre discipline (le terme APSA peut même être totalement banni). De fait, cela s’inscrit également dans les transformations politiques de l’école (puisque repris institutionnellement) qui tendent aujourd’hui à renforcer les inégalités d’accès à une culture ambitieuse pour tous et toutes.
- Le jargon est un peu une spécialité française ![↩]
- Revue Contrepied HS n°30. 2022[↩]
- Il est étonnant de constater qu’aujourd’hui on a facilement tendance à oublier ce qui a construit l’EPS moderne. Sur le sujet qui nous occupe, on peut regretter que personne ne fasse référence à la revue SPIRALES, qui dès l’année 1986 (numéro 1) posait le problème du chemin qui va des « pratiques sociales » aux « pratiques scolaires ». Rendons à César…[↩]
- Voir le dernier rapport de l’ONAPS 2022 disponible sur internet[↩]
- L’apprentissage des techniques corporelles et sportives, aux éditions revues, collection les essentiels licences staps. Arnaud Devenzaux, Carole Seve, Regis Thouvarecq, David Ade, Nicolas Terré et Alain Mouchet.[↩]