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Interview Jérôme Visioli et Oriane Petiot

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L’émotion est une composante importante du vécu des élèves à l’école. C’est notamment le cas en EPS, tant en cours que dans le sport scolaire. Les réflexions se développent autour de cet objet d’étude, questionnant par exemple la fonction de l’école et son lien avec les savoirs. Rencontre avec Jérôme Visioli et Oriane Petiot à propos de l’ouvrage « Les émotions en contexte scolaire » (2022), qui fait synthèse des recherches actuelles avec une volonté affirmée de vulgarisation, et interroge avec un regard original l’activité des élèves et des enseignant·es en situation de classe.   

Bruno Cremonesi : Votre ouvrage débute par une invitation à mieux comprendre les émotions en contexte scolaire. Pouvez-vous préciser ce concept d’émotions ?     

L’objectif de la première partie de notre travail consiste à définir et clarifier ce concept relativement complexe. Les émotions sont aussi fondamentales dans la vie humaine que difficile à appréhender. De plus, elles sont couramment employées à partir de notions connexes, comme les sentiments, les humeurs, les passions, le bien-être, etc. Néanmoins, aujourd’hui, malgré des divergences théoriques, la plupart des chercheurs·euses s’accordent à définir les émotions comme des phénomènes (ou processus) multicomponentiels, c’est-à-dire composés de plusieurs éléments interdépendants : des réactions physiologiques (battements du coeur, flux sanguin…) ; des tendances à l’action (attaque, évitement, fuite…) ;  des évaluations cognitives ou appraisal (évaluation des événements de la situation…) ; des expériences subjectives (ou sentiments subjectifs), c’est à dire ce qu’on pense ou dit ressentir ; des comportements expressifs (expression du visage, intonation de la voix, gestes ou postures du corps, etc.). Nous essayons de vulgariser les connaissances passées et actuelles, tout en illustrant concrètement en contexte scolaire.

B.C :  Les mouvements pédagogiques d’éducation nouvelle, dans lequel le SNEP-FSU s’inscrit, ont depuis très longtemps valorisé « la joie d’apprendre ». Est-ce que vous vous inscrivez dans cette dynamique de travail ?  

La prise en compte des émotions des élèves est historiquement une question portée par le mouvement des pédagogues. En opposition à l’enseignement traditionnel qui tend à les mettre à distance ou à les contrôler, il s’agit d’être à l’écoute des émotions des élèves. Mais les émotions sont aussi à envisager dans un registre plus didactique, autour notamment du rapport au savoir de l’élève. Cela invite à réflexion sur les dispositifs mis en place dans l’enseignement, qui suscitent des émotions tant positives (attraction) que négatives (répulsion). C’est dans ce processus que se joue l’émergence de « la joie d’apprendre ». Nous invitons à une prise en compte plus globale de l’impact émotionnel de l’environnement (physique, matériel, social, etc…). Enfin, si les émotions des élèves influent sur l’engagement et les apprentissages, il y a aussi à apprendre des émotions (reconnaître, comprendre, réguler, accepter, etc.). Cela ne prend sens que de manière imbriquée avec les savoirs disciplinaires. Une « école des émotions » nécessite une pertinence dans les choix culturels réalisés par l’enseignant·e.

B. C : Vous proposez le projet d’une « école des émotions » qui place les émotions au cœur de la pédagogie et de la didactique.  Comment pensez-vous le lien entre les émotions, les savoirs et la culture ? Cette centration sur les émotions est-elle de nature à réduire les inégalités d’accès à la culture que génère l’école actuelle ?

Envisager une « École des émotions » revient à considérer les émotions comme le fondement de l’activité des élèves, qui fait système avec d’autres composantes (motrices, énergétiques, cognitives, perceptives, etc.). Les émotions apparaissent comme des leviers à exploiter, mais aussi comme une véritable finalité à travers l’émergence du plaisir de pratiquer, de la joie d’apprendre et d’une passion pour la culture. Longtemps, la crainte d’une prise en compte des émotions à l’école a reposé sur le risque d’une réduction de la place accordée aux savoirs à enseigner. Les travaux les plus récents soulignent au contraire à quel point le rapport au savoir est aussi (voire surtout) affaire d’émotions. Il y a une imbrication profonde des émotions avec les savoirs et la culture.

Il y a une imbrication profonde des émotions avec les savoirs et la culture.

Pour l’enseignant·e, l’enjeu est de réussir à communiquer la « saveur des savoirs ». C’est dans ce processus que peut ensuite émerger un processus d’éducation, sachant que les émotions sont également au cœur de la formation du·de la futur·e citoyen·ne (e.g. l’éducation à l’empathie). Finalement, la prise en compte des émotions des élèves (et des enseignant·es) apparaît comme l’une des conditions de la réduction des inégalités d’accès à la culture que génère actuellement l’école.

Retrouvez la contribution de J.Visio et O.Petiot au dossier « L’EPS de demain ? » produit par le Centre EPS&Société. Vers une « EPS des émotions », ancrée dans la culture des APSA