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Faut-il des programmes EPS ?

L’auteur questionne la fonction des programmes et son évolution récente. Il montre que l’idéologie néolibérale portée par les politiques éducatives récentes dans le cadre des programmes d’EPS, induit un localisme renforcé qui accentue l’assignation à résidence des élèves les plus fragiles, développe l’individualisme et a pour conséquence une dé-disciplinarisation de l’EPS.

Poser la question de la nécessité de programmes en EPS peut paraître au premier abord saugrenu. En effet, notre discipline s’est construite de manière dynamique, notamment autour des instructions officielles puis des programmes EPS. Ils sont porteurs d’une conception de ce qu’est notre discipline, d’une ambition pour notre jeunesse et ainsi d’un modèle de citoyen·ne à former. D’ailleurs, depuis près de 40 ans que ce soit sur l’écrit à dimension historique, ou celui à dimension didactique et pédagogique, la question des programmes est au cœur des épreuves d’admissibilité des enseignant·es d’EPS, témoignant de son enjeu.

Pour autant, cette question de la nécessité des programmes en EPS est loin d’être saugrenue et sa définition apparaît comme une bataille plus que jamais essentielle à mener. En effet, une nouvelle conception de l’école est aujourd’hui mise en œuvre. Derrière « l’École de la confiance », de J.M Blanquer, et « l’École du futur » d’E. Macron, se cache un système scolaire qui érige en totem l’autonomie des établissements, les mettant de fait en concurrence, et, l’absence d’attendus nationaux communs, renonce à une ambition partagée et exigeante pour tous·tes et chacun·e de nos élèves. Or, parmi les outils de mise en œuvre de cette politique, le programme occupe une place prépondérante.

Alors, faut-il donc des programmes en EPS ? Si oui, pourquoi ? … Et plus encore que faut-il écrire dans ces programmes ?

Nous apporterons quelques réflexions autour de ces questions en rappelant que le programme participe de l’homogénéité de la discipline, tout comme de sa dynamique. Cette première vision devra être dépassée et nous reviendrons alors sur la fonction politique du programme, en montrant sa contribution au modèle de citoyen·ne à former, et dès lors, au modèle de société qu’il promeut. Nous montrerons ainsi comment, actuellement, le politique décline son projet néolibéral à l’École et en EPS via le programme en effaçant les attendus nationaux communs et en imposant le concept d’autonomisation. Il en résulte une progressive dé-disciplinarisation de l’EPS et un éclatement du genre professionnel des enseignant·es que nous sommes.

Programme et EPS : une fonction d’homogénéisation et de dynamisation

Peut-être plus encore que les autres disciplines scolaires, l’EPS se caractérise par un bouillonnement fort quant à toutes les strates de son identité. Des pratiques de terrain aux finalités, de ses fondements théoriques aux grands courants qui la traversent, de ses prescriptions politiques à ses revendications syndicales, l’EPS est un champ à part entière de débat, voire de lutte. Il en résulte une dynamique forte et un morcèlement qui pourraient être de nature à la déstructurer, en tant que somme de postures, positions et pratiques, en flux constant. Les instructions officielles et programmes, en venant afficher et expliciter les attendus participent d’une dynamique d’homogénéisation de l’EPS. En posant de manière transitoire un arbitrage des débats, en identifiant tout à la fois finalités et objectifs, référents théoriques et objets à soumettre à l’étude des élèves, les programmes effectuent une double action : ils cristallisent une hiérarchie du rapport de force, et ils revitalisent les débats. Ils les équilibrent, les infléchissent ou les renforcent et génèrent donc un nouveau flux… ils sont bien en ce sens un des piliers de la dynamique de l’EPS.

On passe d’une logique de moyens pour atteindre un objectif commun et ambitieux fixé par le programme, à une logique de variation des objectifs fixés localement, pour s’adapter à un contexte spécifique.

Pour autant, l’EPS ne saurait se résumer à cet objet de réflexions, échanges et débats. En tant que discipline scolaire, elle s’adresse aux élèves, et se doit d’être porteuse des valeurs fortes qu’incarne l’École. Ainsi, pour le SNEP-FSU elle doit en permanence articuler une double exigence : d’une part, l’accès, l’étude et l’appropriation par tous et toutes du patrimoine culturel humain que constituent les APSA… et ce, dans le but de contribuer à la formation et l’émancipation de citoyen·nes maître·sses de leurs destins,  c’est-à-dire qui les fassent sortir de ce à quoi ne les prédestinaient leur milieu social d’origine. De fait, nous comprenons que la question du programme doit impérativement être accolée à celle de son contenu ! Les derniers programmes du lycée général et technologique, tout comme ceux du lycée professionnel en sont l’illustration parfaite. Ils opèrent une bascule forte, que nous considérons comme un renoncement au dessein commun et ambitieux pour l’intégralité de nos élèves.

Programme et politique : le tournant néolibéral

En effet, ces programmes viennent reprendre en main de manière autoritaire notre discipline et lui imposer une conception idéologique néolibérale qui renvoie chaque enseignant·e et chaque élève, à son individualité la plus stricte, dans un rapport de concurrence à l’autre et de conformisme à des grandes tendances sociétales. Plusieurs marqueurs sont porteurs de ce projet, et ils se déclinent dans nos programmes  : l’autonomisation des objectifs et des pratiques, la dé-disciplinarisation de nos actes professionnels, qui conduisent progressivement à la déconstruction du genre professionnel. Le programme ainsi instrumentalisé transforme l’EPS, les enseignant·es et les élèves. Il dessine une EPS rabougrie et ségrégative car morcelée et vassalisée aux réalités locales de chaque établissement scolaire et des ressources ou difficultés dont il est porteur ; une EPS utilitaire car progressivement éloignée des savoirs technico-tactiques culturels signifiants au cœur des APSA… mise au service de la contribution à des grandes finalités transversales, de santé, de citoyenneté, d’écologie, qui ne trouverait progressivement sa légitimité que dans un rapport d’accompagnement et d’amortissement de crises successives culturelles, sociales, économiques, sanitaires. Il est ainsi porteur d’un projet de société atomisée et discriminante, car n’ayant plus pour projet le dépassement des conditions d’origines de nos élèves.  Ici donc ce n’est pas l’absence de programme qui est en cause, mais bien les savoirs qu’il affiche !

L’autonomisation comme renoncement à un projet commun et ambitieux

Par exemple, les programmes LP témoignent tout particulièrement de cette évolution. Ils promeuvent l’autonomisation forte du système scolaire, à travers l’avènement du Projet Pédagogique d’EPS. Ils assignent à chaque équipe EPS le devoir de définir « les objectifs et les moyens pour les atteindre à partir de l’analyse des caractéristiques du public scolaire ». Plus encore, « par l’analyse concertée des données relevées, l’équipe pédagogique peut réajuster les objectifs ». On entre ici dans un localisme, une autonomisation que certain·es louent, invoquant la liberté pédagogique. C’est omettre que la liberté pédagogique des enseignant·es en général, et d’EPS en particulier, ne se situe pas dans la possibilité de fixer les objectifs assignés à ses propres élèves, en fonction de leurs caractéristiques, et de ses propres moyens humains, matériels ou intellectuels d’enseignant·e… mais bien dans la liberté de concevoir le chemin d’accès le plus pertinent pour permettre à ces élèves d’atteindre des objectifs communs et ambitieux fixés nationalement, indépendamment de considérations sociales, culturelles ou territoriales. Ainsi donc, on passe d’une logique de moyens pour atteindre un objectif commun et ambitieux fixé par le programme, à une logique de variation des objectifs fixés localement, pour s’adapter à un contexte spécifique. En articulant le programme porteur de cette conception à d’autres outils tels les nouveaux référentiels bac ou encore la réforme de l’éducation prioritaire, on transforme rapidement et en profondeur la discipline EPS. Plus encore, on évacue la question des moyens à mettre en œuvre pour permettre à des publics porteurs d’inégalités fortes, d’atteindre un projet national émancipateur.

Entre dé-disciplinarisation1 et logique contributive : l’évacuation des APSA

Plus encore, et paradoxalement, les programmes actuels participent à la dé-disciplinarisation de l’EPS. En effet, les programmes du Lycée général et technologique introduisent la notion d’Attendus de Fin de Lycée (AFL) et ceux du Lycée Professionnel d’Attendus de Fin de Lycée Professionnel (AFLP). Ils proposent un découpage en tranches des différentes dimensions des compétences attendues, qui se voulaient intégratives, des anciens programmes Lycée. Ainsi alors qu’en 2009, en demi-fond, pour le niveau 3 en LP, l’élève devait « pour produire la meilleure performance sur une série de courses, se préparer et répartir son effort grâce à une gestion raisonnée de ses ressources », en 2020, le terme demi-fond a disparu du programme. La compétence attendue dans l’APSA, est saucissonnée en 4 AFL ou 6 AFLP relatifs désormais aux champs d’apprentissages… et il appartient à chaque équipe de décliner dans chaque APSA ces AFLP. On perçoit bien d’une part la volonté d’autonomisation sans attendu national explicite et spécifique, et d’autre part la volonté d’effacer les APSA.

En liant les savoirs de l’EPS aux champs d’apprentissages et non plus aux APSA comme objet d’étude à part entière, et permettant d’accéder au patrimoine culturel, un nouveau principe est posé : celui d’une discipline, l’EPS, et d’objets, les APSA, contributives, comme pont vers des grands secteurs de compétences, à dimensions avant tout sociales et méthodologiques (AFL 2 et 3).

Le programme du lycée professionnel pousse le curseur de cette logique plus loin encore, en proposant 6 AFLP et en explicitant : « Une APSA peut prendre diverses formes et être associée à diverses intentions ». Dès lors, la liste nationale d’APSA n’a plus lieu d’être et elle est supprimée. Cette logique contributive, loin d’être masquée, est affichée : « La formation en Prévention, Santé, Environnement (PSE) et le parcours des élèves en EPS sont liés par des objectifs communs : la santé et l’équilibre de vie, les principes de base d’une alimentation équilibrée, la prévention des comportements à risques et des conduites addictives, l’identification des situations à risques et les conduites à tenir, la prévention des risques dans le secteur professionnel. »

Une bascule du projet de société, un effacement de l’émancipation

En découpant les compétences visées, en majorant la place des AFL(P) à dimensions méthodologiques et sociales, et minorant l’étude des APSA comme objets culturels et émancipateurs, porteurs de savoirs ambitieux, le programme participe au processus de dé-disciplinarisation de l’EPS. Nous évoluons d’un modèle de citoyen·ne cultivé·e, émancipé·e par des savoirs communs et ambitieux, et donc vecteur de transformation sociale, vers un modèle de citoyen·ne « au service de »…  se contentant de s’adapter, et de faire fonctionner notre société. En associant ces programmes à d’autres outils tels les nouveaux référentiels bac professionnels, qui imposent d’évaluer les AFLP 3/4/5 et 6 au fil de la séquence, c’est un modèle régressif de l’EPS, où l’enseignant·e d’EPS voit ses actes de transmissions s’effacer progressivement au profit d’une évaluation croissante. La professionnalité, l’expertise didactique, pédagogique, et technologique des APSA s’en trouvent minorées… Face à ce recul des savoirs, le programme ne tire nécessairement plus la question du besoin de formation des enseignant·es.

Finalement, le programme est au cœur d’une tension permanente. Il a ceci de fondamental qu’il fige et dynamise dans le même temps notre discipline d’enseignement. Il en constitue dès lors un élément d’identité fondamental. Néanmoins, au-delà de sa seule nécessité, se pose la question de sa structure, de son contenu des savoirs qu’il sélectionne. En effet, nous pensons que les programmes récents d’EPS jouent contre notre discipline ! Ils en opèrent une mise au pas autoritaire, entre autonomisation et dé-disciplinarisation. Les conséquences de cette idéologie néolibérale sont multiples et lourdes, mais nous pouvons en retenir la lame de fond : ils nous renvoient tous et toutes à notre individualité la plus profonde. Ainsi, c’est un modèle de citoyen·ne émancipé·e, vecteur·rice de transformation sociale, qui s’efface progressivement, assignant nos élèves les plus fragiles à résidence. C’est également un genre professionnel qui se désagrège. En faisant exploser le cadre national des attendus, ce sont bien les références communes, les pratiques communes, les explicites et implicites communs des enseignant·es d’EPS qui s‘effacent peu à peu.

Dès lors, et logiquement, c’est un programme qui ne pose plus la question des moyens attribués à notre discipline et moins encore celle de la formation initiale et continue.

Le programme EPS, son enjeu, son contenu, ses savoirs, ne peut être qu’une lutte dont le SNEP-FSU se saisit à travers ces programmes alternatifs… et dont chaque enseignant·e doit garder à l’esprit qu’il en va tout autant d’un modèle social, que de la pérennité de sa profession. En ce sens, de part sa proposition de programmes alternatifs, le SNEP-FSU réaffirme, à destination de la profession, des élèves, des parents et du politique, sa vision de l’EPS : une discipline qui repose sur l’étude et l’appropriation des savoirs essentiels et spécifiques à chaque APSA et qui vise pour chaque élève, un développement physique, psychique et social optimal, une connaissance de soi par et dans l’action. L’EPS permet une entrée instruite dans le monde des loisirs physiques, sportifs, artistiques, par l’acquisition d’une culture commune, d’apprentissages stabilisés et diversifiés. Nous percevons bien là sa dimension alternative au programme institutionnel !

Notes :
  1. Christian Couturier : article Pour un enseignant d’EPS militant culturel et social du XXI siècle (19 septembre 2019).[]