Interview d‘Emmanuelle Bonnet-Oulaldj par Bruno Cremonesi
Emmanuelle Bonnet-Oulaldj co-présidente de la FSGT partage son regard sur les dispositifs du gouvernement pour développer le sport en France. En écho avec les besoins actuels de la jeunesse, elle pense l’articulation entre le temps obligatoire au sein de l’école et la vie associative. L’EPS étant pour elle une clé pour garantir le droit d’accès aux sports.
Bruno CREMONESI : Le monde du sport a-t-il besoin du dispositif de 30 minutes et des 2 heures du sport ?
Emmanuelle BONNET OULALDJ : Dès le départ, la FSGT s’est montrée dubitative sur ce dispositif des 30 minutes d’activité physique quotidienne à l’école, et a volontiers repris l’expression du SNEP-FSU de « gigotage ». Car en réalité il ne s’agit pas de sport, ni d’éducation physique et sportive. Aujourd’hui, la grande cause nationale semble élargir ce dispositif, ou plutôt ce slogan, à l’ensemble de la population, allant jusqu’à habiller l’Arc de Triomphe le 31 décembre du slogan ministériel « 30Bouge ». « Bouger » résume donc les politiques publiques sportives pour l’année olympique 2024. Or, le « monde du sport » a besoin de faire appel à la sociologie pour comprendre que cette injonction ne résoudra pas le problème du droit à un sport de qualité pour toutes et tous. Pour ancrer durablement une pratique d’activité physique et sportive pour toute la population, il ne suffira pas de «bouger», une vision néolibérale” mais bien de créer une culture sportive qui développe non seulement les capacités physiques mais également cognitives. Une éducation physique et sportive de qualité dès le plus jeune âge à l’école permettant d’acquérir les savoirs fondamentaux (courir, rouler, nager, lancer, etc.), et en parallèle, le sport scolaire et la vie associative et sportive tout au long de la vie sont les meilleurs leviers pour installer durablement une pratique régulière dans laquelle on crée du lien social, on développe le savoir partager, on prend du plaisir… À condition de leur donner les moyens nécessaires, avec par exemple des infrastructures sportives adaptées et de les reconnaitre dans ce rôle citoyen essentiel face notamment au sport marchand.
BC : Dans un article de la revue EPS n°400, tu dis que « l’EPS est une condition préalable pour faire du sport un droit pour tous et toutes ». Est-ce que tu peux préciser ton idée ?
EBO : L’école est obligatoire pour toutes et tous. L’EPS est donc un passage obligé pour tous les enfants, filles et garçons, dès l’école élémentaire. Á condition que les moyens soient là, puisque la formation des enseignant·es du 1er degré en EPS a fortement baissé depuis 2017 (jusqu’à 40 % dans certaines académies). Les 3 heures obligatoires dès le CP ne sont donc pas toujours garanties. Pourtant, les compétences physiques et sportives, au même titre que les mathématiques et le français, que les arts graphiques et la musique, sont essentielles à l’apprentissage et au développement de chaque enfant, dès le plus jeune âge. On parle du savoir nager, courir, rouler, lancer, des fondamentaux physiques et cognitifs de la motricité dont nos clubs nous témoignent que de plus en plus d’enfants, dans les quartiers populaires, présentent des difficultés importantes. Oui, l’EPS est une condition préalable à l’entrée dans un club qui va permettre de progresser davantage.
BC : Tu as participé aux États généraux de l’éducation physique et sportive qui portent l’ambition de construire une héritage sportif réel pour la jeunesse. Penses-tu encore possible de faire bouger les lignes ?
EBO : La FSGT a toujours répondu présente aux appels lancés par les enseignant·es en EPS, et en particulier par le SNEP-FSU. Leur histoire commune est riche, avec par exemple hier les stages Maurice Baquet et aujourd’hui les projets en Palestine. Nous défendons ensemble cette idée que le sport ne porte pas de valeurs positives intrinsèques, mais qu’elles se construisent avec une entrée par le jeu, qui n’exclut personne et qui permet à tout le monde d’atteindre son meilleur niveau de pratique. Quant à bouger les lignes, je ne crois pas au grand soir, mais je crois aux espaces de résistance qui sont autant d’expériences à vivre d’émancipation. Tous les espaces où nous construirons du débat, du partage, des expérimentations pédagogiques, des luttes, des projets communs, sont autant de possibilités de grandir et de construire un idéal d’avenir respectueux des droits humains fondamentaux.