Le SNEP-FSU interviewe Jean-Pierre Garel, Ex formateur au CNEFEI (Centre National d’Études et de Formation pour l’Enfance Inadaptée), aujourd’hui INSEI, Chercheur associé au Laboratoire Cultures-Éducation-Sociétés (université de Bordeaux)
Andjelko SVRDLIN : Qu’est-ce qui peut être partagé pour construire du commun en EPS ?
Jean-Pierre GAREL : La culture commune est souvent mise en avant. En EPS, elle s’appuie sur des activités physiques, sportives et artistiques qui sont des pratiques culturelles valorisées et potentiellement valorisantes, à distance d’activités d’ordre rééducatif auxquelles les jeunes handicapés ont été longtemps réduits. Mais les activités ainsi promues sont souvent distinctes : le sport pour les valides, le parasport pour les autres. Dans son avis sur le développement du parasport en France, en 2023, le CESE (Conseil économique social et environnemental) préconise d’inscrire un cycle obligatoire de parasport en EPS pour tous les élèves, de l’école primaire au lycée. Outre que cela exige souvent un équipement matériel adéquat, le partage d’une même activité peut être recherché en adaptant un sport ordinaire. Parmi des valides, un·e élève peu mobile sera en mesure de jouer au badminton si son terrain est réduit, et un·e autre, en fauteuil roulant, participera avec succès à un cycle de basket avec quelques adaptations. À défaut d’une même APSA, des savoirs peuvent être partagés, tels des principes d’action mobilisables dans des activités comparables, et aussi des sensations, des émotions et des interactions humaines, en particulier à l’occasion de projets communs, par exemple dans le cadre d’une activité physique artistique. Et puis, une culture commune suppose des valeurs partagées, notamment la fraternité et l’équité.
A.S. : Selon toi, quelle place accorder aux normes en EPS, s’agissant d’un enseignement à des élèves en situation de handicap ?
J-P. G. : La suprématie des normes édictées par des valides pour des valides est source d’exclusion. On peut parler de validisme, voisin du sexisme et du racisme. Faute de prise en compte de ses particularités, un élève dyslexique peine à apprendre à lire et à écrire. En EPS, une éventuelle différenciation peut concerner le type d’APSA ou ses modalités de pratique, entre autres techniques. Pensons à Gabrielzinho, le nageur brésilien né sans bras et avec des jambes atrophiées, qui s’est illustré aux récents Jeux paralympiques par ses performances et une technique de nage originale. Eh bien des professeurs d’EPS sont parfois conduits à accompagner des élèves aux incapacités singulières dans la recherche d’une technique propre à les rendre autrement capables. La différenciation, qui peut aussi porter sur les règles d’une activité, pose parfois question concernant l’évaluation des élèves. À ce sujet, voir, sur le site de l’Académie de Versailles, le document intitulé Pour une inclusion réussie des élèves à besoins éducatifs particuliers. Il faut aussi souligner qu’une différenciation nécessite de ne pas verser dans un respect des différences tel qu’on en rabatte sur des exigences auxquelles l’élève pourrait satisfaire, l’assignant ainsi à sa différence.
En EPS, la culture commune s’appuie sur des activités physiques, sportives et artistiques qui sont des pratiques culturelles valorisées et potentiellement valorisantes, à distance d’activités d’ordre rééducatif auxquelles les jeunes handicapés ont été longtemps réduits.
A.S. : Que penses-tu de la performance, sportive ou artistique, dans une perspective inclusive ?
J-P. G. : Cela dépend du sens et de la place que l’on accorde à la performance. Si l’on y voit la focalisation sur un dépassement de soi qui néglige d’autres mobiles d’action et donne lieu à des comparaisons dévalorisant les élèves handicapés, alors elle les exclut. Le CESE demande donc que « clubs et fédérations ne se focalisent plus autant sur les pratiques liées à la compétition et à la performance ». Pourtant, Marie-Amélie Le Fur, corapporteure de cet avis du CESE, n’est pas suspecte d’antisportivité. Cela dit, les possibles travers de la performance ne doivent pas occulter son sens premier : performer, c’est accomplir, exécuter, mettre en œuvre une compétence. Or, en EPS, il s’agit bien de construire des compétences, ou des savoirs, entendus dans un sens large, qui appellent des apprentissages. Dans ce sens, pour toutes et tous, la recherche et l’appréciation d’une performance est inhérente à la pratique d’APSA, y compris celles de nature artistique, et même la relaxation : lâcher prise s’apprend.
Dernier ouvrage paru, dirigé avec Didier Séguillon : Les élèves à besoins éducatifs particuliers et les autres en EPS : la construction d’un commun. Coédition INSEI/Revue EP&S