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Pourvu qu’ils/elles aient des muscles

Par Andjelko Svrdlin

Une première publication a été réalisée par le SNEP-FSU, sur la question des tests physiques 1. Nous prolongeons ici le débat, en discutant certains éléments mentionnés et en proposant des perspectives pour l’institution dans lesquelles il s’agirait d’inscrire notre profession.

Épreuve

Puisqu’un test est une épreuve 2, nous ne pouvons pas ignorer ce qu’une épreuve signifie et comment elle est organisée au sein de l’Ecole. Une épreuve, c’est un protocole, des règles, des normes etc. Penser, instaurer les tests sous forme d’épreuve spécifique, c’est rajouter quelque chose à ce qui cadre les épreuves en EPS, à savoir les APSA. Le test physique devient donc une APSA de plus ? La plupart des propositions que l’on voit sortir aujourd’hui vont dans ce sens. Des épreuves de mesure, originales, différentes de ce qui se fait dans d’autres épreuves (APSA), pensées pour donner des résultats, classifiables et comparables car les mêmes utilisés par tous. Le choix arbitraire est fait pour dire que la vitesse est mesurée dans une épreuve de ce type-là et, par conséquent, pas autrement. Ce qui n’est pas dit, c’est qu’une épreuve athlétique, p.ex. n’est pas donc une mesure « physique ». Elle est athlétique, sportive, mais ne serait pas physique. Drôle de raisonnement.

La table Letessier

A travers l’histoire, les cadres normatifs de mesures de ce type-là ont existé. Nous pourrions dire qu’ils ont été dépassés. Pourquoi y retourner ? Si c’était une bêtise éducative et institutionnelle que de les abandonner, il serait souhaitable que nous puissions y trouver un argumentaire. Or, une nouvelle fois, les annonces politiques, reprises par un certain nombre d’acteurs institutionnels, ne partent pas d’une étude, des travaux scientifiques 3 ou d’une consultation professionnelle, non, il y a une grande idée jetée sur la place publique et certains s’y raccrochent sans discernement.

Lorsque nous considérons la bascule historique ayant vu le « sport » devenir hégémonique en EPS et ce processus suffisamment long de transformations de normes, de pratiques enseignantes, il ne nous est pas permis d’oublier que les dispositifs normés, telle la table Letessier, ont été condamnés car trop rigides, outils coupés de l’évolution de la société, dans laquelle le sport représentait une vague de liberté, de progrès, de plaisir. S’il s’agit de dépasser ce même sport aujourd’hui, en et pour l’EPS, encore faudrait-il s’attarder sur les valeurs et utopies qui viendraient le rendre caduque. Hélas, lorsque nous regardons de près les propositions des différents tests aujourd’hui, nous avons du mal à percevoir le souffle de liberté et de plaisir. Au contraire, nous avons un terrible arrière-gout de« déjà vu ». Nous sommes, tout de même, dans un contexte politique dans lequel il ne faut pas oublier que le président Macron a promu lui-même les tests comme une nécessité dans l’École. Cette idée est à considérer dans l’ensemble des propositions pour l’École, à travers le « choc des savoirs » mais aussi pour la société, qui ne sont que des retours à l’ancien.

Pour aller plus loin : « Les tests, une question ancienne », par Eric Donate

Plus concrètement, dans le cadre d’un foisonnement des travaux sur l’évaluation, au sein de notre profession, à partir des années 60, le qualitatif est venu pondérer le quantitatif. Ce qualitatif est venu avec les réflexions dans le cadre de la didactique des APSA. Il ne suffisait plus d’être fort, il fallait devenir compétent, dans un jeu, dans un assaut, dans un match, dans une épreuve ou dans une course.

Remettre la mesure quantitative au cœur et en éliminer le reste serait lourd de sens 4 Encore une fois, l’idée des tests est posée sans que soient posées les fondations de l’EPS que nous voulons.

Fonctionnement institutionnel

La question des tests, comme tous les autres changements significatifs, doivent pouvoir bénéficier des concertations larges, suffisamment longues. Sinon, nous nous retrouverons, encore une fois, dans une situation semblable à celle d’aujourd’hui concernant la place de certaines pratiques, musculation en tête. Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas qu’il y ait des cycles de musculation en EPS mais de considérer l’offensive que les partisans de la CP5 et de la musculation sous ce format-là ont menée il y a une quinzaine d’années en la présentant comme l’avenir de l’EPS. Si nous considérons l’état physique de la jeunesse, les études sur les pratiques physiques des Français,

il nous est permis de penser qu’il faudrait, non pas supprimer les cycles de musculation de l’EPS, mais de rééquilibrer fortement les programmations en lycée, penser les contenus en musculation autrement 5, bannir l’idée de cette même pratique en collège en lieu et place des APSA. Comment ne pas voir le rapport entre l’idée des tests physiques et les pratiques de ce type-là, évidemment adaptées à l’âge et aux ressources des élèves, mais centrées tout de même sur une espèce d’entretien de soi, dans une pratique au sens social relatif, si nous la comparons à des rencontres sportives, déclinées et organisées pédagogiquement en cours d’EPS.

Il nous faut mettre dans le débat des éléments structurant notre métier depuis longtemps et mener ce même débat avec les exigences de ce métier. En clair, il n’est pas permis d’abandonner les APSA comme élément structurant l’EPS, y compris et surtout à l’occasion des débats autour des objets comme celui de la « condition physique ».

Posture professionnelle, citoyenne, syndicale

La posture qui nous semble la plus facile serait de rejeter l’idée des tests, de mesure. Celle-ci nous semble compliquée si nous voulons rester dans notre positionnement historique qu’est celui de porter des propositions, de se baser sur des travaux scientifiques pour avancer, entre autres. S’y opposer idéologiquement est nécessaire mais ne suffit pas. Remplacer un dogme par un autre n’est pas la voie de progrès. Donc, si, à d’autres circonstances comme ici d’ailleurs, nous critiquons la méthode institutionnelle car celle-ci ne prend pas le temps avant de prendre des mesures, nous nous devons d’accepter le principe d’une nécessité de voir mieux et plus clair dans ce que nous appellerions « l’état physique » de la jeunesse.

Malgré les critiques adressées ici, de manière plus générale, nous ne nous opposons pas à l’idée de la mesure, d’études statistiques en tous genres, des rapports, évaluations etc. La question à laquelle il nous faut répondre est celle de l’objet traité, de la procédure utilisée et des retombées escomptées.

Un test, qui existe déjà en EPS, celui du savoir nager en sécurité, s’imbrique dans le temps de travail des enseignants.

Si de nouveaux tests venaient à être mis en place, nous connaitrions potentiellement les dérives de bachotage pendant les temps dédiés à l’enseignement de l’EPS.

La question se pose, alors, de l’articulation de l’enseignement des APSA en EPS et de l’exploitation des résultats aux évaluations dans ces mêmes APSA, en guise des données pouvant renseigner sur « l’état physique » de la jeunesse de notre pays. Cette idée fait écho à la revendication du SNEP-FSU d’obtenir des référentiels communs aux évaluations certificatives, DNB et baccalauréat. N’est-il pas possible de mesurer les résultats de nos élèves à travers les épreuves athlétiques, gymniques, de natation, standardisées lors des passages obligatoires (DNB, baccalauréat) et y lire des renseignements significatifs pouvant « servir » à plusieurs niveaux ? Les capacités globales d’une tranche de la population seraient connues. Les forts potentiels sportifs pourraient être orientés vers le milieu de formation poussée. Les élèves eux-mêmes seraient renseignés à travers des évaluations mariant le sens social de leur activité et leurs capacités physiologiques.

Liberté pédagogique

Les dernières réformes des programmes, collège, lycée et LP, ont été accompagnées par le corps des inspecteurs à travers de nombreux stages à public désigné. Nous avons déjà critiqué ces stages en les qualifiant de stages de « formatage » et non pas de formation. Malgré l’apparente liberté, permise par les programmes, en collège notamment, quant aux choix des APSA et de leur programmation, certaines équipes ont été fortement contraintes à organiser leurs projets d’EPS selon les recommandations précises. Nous voyons dans les tests physiques une nouvelle prise en main de notre métier par un certain nombre d’IPR EPS, qui ne manquent pas de promouvoir certains tests comme des obligations nouvelles. Nous avons déjà communiqué à la profession pour dire qu’il n’y avait pas d’obligation à ce sujet. Pour l’heure, aucun texte n’est venu fournir l’alibi au zèle de certains. Alors que, un enseignement et son évaluation, par APSA, avec un cadrage institutionnel par des référentiels, toujours par APSA, suffisamment travaillé pour obtenir un consensus, et débouchant sur les résultats pouvant comprendre plusieurs dimensions (performance chiffrée, qualitatif en termes de réalisation technique, un ensemble d’attitudes avant, pendant et après les réalisations…) permettrait à la fois l’obtention des données significatives et la conception de l’enseignement et de son évaluation par l’enseignant. C’est même de cette façon-là que nous aurions des résultats macroscopiques les plus significatifs car l’expertise enseignante serait au service de ces derniers. Alors que l’application d’un test désincarné, conçu en dehors de toute pratique sociale conduirait vers un tel appauvrissement que, in fine, nous pourrions nous demander, a-t-on vraiment besoin de professeurs d’EPS pour faire cela ?

Équipes d’EPS

Le débat sur les tests ne peut être coupé de celui sur les évaluations certificatives ni de celui sur les programmes disciplinaires. Le chemin institutionnel doit retrouver un fonctionnement démocratique car ce dernier est la seule façon d’obtenir l’adhésion d’une profession à une réforme. Le SNEP-FSU, fort de sa représentativité, porte les grands principes et les propositions concrètes pour la réécriture des textes. Au niveau local, dans les EPLE, le formatage subi ces dernières années doit faire place aux initiatives des équipes.

Ces dernières doivent retrouver une réelle autonomie dans la conception et dans l’organisation des enseignements et leur évaluation. Cette autonomie doit être encadrée par certaines exigences. Les exigences nationales par APSA, le centre de gravité placé très majoritairement sur les apprentissages techniques (au sens large), nécessité de récolter les résultats des évaluations, doivent stimuler les réflexions au sein des équipes. Et, c’est le seul cadrage dont a besoin notre profession !

Il nous semble opportun que l’institution permette à la profession de se réapproprier le métier à l’occasion du débat sur l’évaluation de la condition physique de la jeunesse. Mais ce dernier ne saurait être tronqué par un empêchement institutionnel et tranché par une parole d’autorité dénuée de tout contenu substantiel.

Mise en marché de l’EPS

La mise en marché du service public d’éducation s’est fortement développée avec l’arrivée de JM Blanquer au ministère. Le nombre d’agréments distribués a dépassé ce qui se faisait jusqu’alors. Par ailleurs, le développement des outils (applications, modules d’entrainement…) dans le secteur marchand a explosé. Le service public d’éducation est un marché potentiel pour ce secteur privé. La question, pour l’organisation de l’Ecole et donc de l’EPS, est de savoir si ce qui s’apprend en EPS suffit et si non, quelles sont les voies de développement nécessaires. Si des tests physiques sont mis en place, coupés de ce qui s’enseigne en EPS (APSA), il suffira d’y rajouter la deuxième strate, pour aller plus loin, et y proposer des outils tout prêts, tels les programmes d’entrainement, facilement accessibles, à utiliser selon son niveau de résultats dans ledit test. Adieu le sport, adieu les entrainements longs et fastidieux, où l’on apprend des techniques, bienvenue dans la post modernité, où vous allez vous débrouiller seul, face à votre écran, votre montre, votre téléphone. Qui a besoin d’un professeur dans un tel système de gestion de la vie physique ?

Le rapport de l’INJEP 6 montre que 12% de français pratiquent à l’aide d’une application ou en suivant un « youtubeur ». 21% pratiquent dans un club. La tendance sociale ne suffit pas pour prendre des décisions politiques. Ne faisons pas de démagogie. Mais, en l’état actuel des choses, ne faut-il pas retrouver une vitalité du tissu associatif, qui, tout en permettant à des millions de français de s’inscrire durablement dans la pratique physique sportive, joue un rôle historique dans le lien social. Nous sommes ici, aussi, face à un choix pour l’Ecole, pour l’EPS face à une vison de la société, de plus en plus individualiste d’un côté, ou plus socialement renforcée, engagée et solidaire, de l’autre.

 

Notes :
  1. E. Donate: https://lesite.snepfsu.fr/actualites/publications/bulletins-nationaux/articles/les-tests-une-question-ancienne[]
  2. E. Donate : https://lesite.snepfsu.fr/actualites/publications/bulletins-nationaux/articles/les-tests-une-question-ancienne[]
  3. Cela ne veut pas dire que les tests proposés n’ont pas d’assise scientifique, physiologique p.ex.[]
  4. L’idée n’est pas, cependant, d’abandonner toute mesure quantitative non plus. Notamment dans l’enseignement et l’évaluation des acquisitions dans la pratique des APSA[]
  5. Contre pied Musculation, avril 2020[]
  6. Baromètre national des pratiques sportives 2022, mars 2023, INJEP[]