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Enseignement de spécialité

Le SNEP-FSU écrit à Mme Souâd AYADA, Présidente du CSP, concernant l’enseignement de spécialité. Courrier du 22 janvier 2021.

Madame la Présidente,

Malgré un calendrier insupportable pour un travail de qualité sur un sujet aussi important que l’enseignement de spécialité, nous faisons quelques propositions de réflexion avant que le texte programme ne soit publié. Ce document servira pour notre organisation de feuille de route. Vous pourrez y lire, par comparaison avec votre production, les points qui marqueront nos interventions à venir et notre vote sur le texte au CSE.

Comme le groupe en responsabilité de l’écriture de ce programme, nous avons comme matériau de base : les anciens programmes de l’enseignement de complément, le travail fourni par les équipes dans le cadre de l’expérimentation actuelle d’enseignement renforcé ainsi que les programmes publiés dans l’ensemble des spécialités que nous avons lus dans le détail.

Notre point de vue ici tient compte de cet ensemble ainsi que de la première réunion de présentation du projet aux organisations syndicales. Comme vous le savez sans doute, nous sommes opposés à la réforme du lycée qui a totalement désorganisé les lycées, augmenté les inégalités, mis les élèves dans un stress permanent. Nous faisons malgré tout des propositions en tentant de positionner la spécialité en cohérence avec l’ensemble, tout en mettant en évidence sa spécificité et son originalité.

Spécialité : Education physique, pratiques et culture sportives

Le titre n’a pas fait l’objet d’une discussion avec les organisations représentatives. Il aurait pourtant été logique de le faire, pour a minima s’accorder sur le centre de gravité. Dès lors nous avons pu observer des interprétations sensiblement différentes selon les syndicats. Lors de la première réunion, l’idée de spécialité EPS « pour parler vite » a été portée. Nous attirons votre attention sur le fait que ce n’est pas cohérent avec l’intitulé réel qui dépasse la seule discipline scolaire « EPS ».

Nous avons pu observer, y compris dans les écrits institutionnels, que le terme culture pouvait être au singulier ou au pluriel. Sans doute des erreurs d’écriture, qui ont pourtant un sens. Pour notre part, nous l’avons demandé pour le décret, il nous semble que mettre un « s » serait plus en phase avec un certain nombre de travaux philosophiques ou sociologiques.

Quelle posture par rapport aux autres spécialités ?

La lettre de saisine donne le sens : approfondissement, ouverture sur l’enseignement supérieur, regard critique, connaissance des métiers, compétences générales. Ce sont des indications que l’on peut effectivement écrire dans le préambule des programmes de chaque spécialité, mises en forme en fonction des disciplines convoquées. Pas de problème à ce stade, tout réside dans les formulations précises qui seront retenues.

Mais si la spécialité a un intérêt, c’est surtout par ce qu’elle apporte de différent des autres. Pour résumer et ne pas rentrer dans les détails (mais nous pourrons le faire si besoin), c’est la composante « pratique » de la culture physique, sportive et artistique qui caractérise son apport spécifique. Cette activité physique attendue de l’élève ne relève bien entendu pas d’un dualisme qui est aujourd’hui balayé par la science, mais justement d’un rapport incarné aux objets d’apprentissage. Ces objets relèvent de plusieurs registres : techniques, émotionnels, tactiques, physiologiques… qui constituent autant de pistes pour ce que l’IG dans sa présentation a identifié comme une approche technologique, liant en permanence théories et pratiques. C’est dans ce domaine que cette spécialité trouvera son sens plein et entier, ce qui impliquera, dans les programmes comme l’évaluation, de ne surestimer ou sous-estimer aucun des pôles théorie/pratique.

La pratique oui mais laquelle ?

Par rapport à ce que nous avons entendu lors de la présentation, nous sommes fortement inquiets de la tournure que pourrait prendre cette spécialité si le CSP et le ministère suivaient les premières propositions.

En effet la proposition d’obliger les élèves à avoir entre 6 et 9 pratiques physiques, sportives et artistiques différentes sur les 2 années n’a pas sa place dans une spécialité. Rappelons pour mémoire que l’enseignement de complément (4h donc la même chose qu’en première), qui reposait sur les mêmes phrases que celles de l’enseignement de spécialité à savoir « Par la pratique approfondie et équilibrée des activités physiques, sportives et artistiques » ce qui est, vous en conviendrez, la même chose que de dire (lettre de saisine) « Cet enseignement devra permettre aux élèves de développer : Une pratique approfondie d’activités physiques, sportives et artistiques… »

Or pour y répondre, l’enseignement de complément demandait déjà la pratique de 3 à 6 APSA, en indiquant par ailleurs que ces pratiques devront faire au moins 2/3 du temps d’enseignement et moins de 3/4. Que s’est-il passé en si peu de temps pour, derrière les mêmes idées, que l’on bascule d’un approfondissement possible à un éparpillement inédit ? D’autant que les volumes horaires indiqués lors de la présentation (18h) sont totalement ridicules au regard du volume global. Cette logique déjà à l’œuvre en EPS a produit ce que l’on nomme « des éternels débutants », les élèves changeant en permanence d’APSA qui leur interdit d’apprendre réellement. La poursuite de cette logique dans la spécialité produira des « éternels débutants spécialisés », empêchant par là-même une réelle « incorporation » des connaissances et savoirs.

Autrement dit une simple mesure « organisationnelle » va contredire et l’intitulé et les espoirs de transformation des élèves, et réserver à terme cette spécialité aux élèves les plus proches d’une culture « intellectuelle » scolaire et éloigner les autres pour qui cette spécialité pourrait être une voie de réussite avec l’accès à une culture davantage en lien avec la pratique physique.

De plus, avec une telle dispersion et multiplication d’APSA à enseigner, et en l’absence de référentiels nationaux, les modalités et formes d’évaluation risquent elles aussi d’être très complexes à gérer.

Nous espérons que vous ne suivrez pas cette voie, tant dans les programmes que dans l’évaluation.

Les thèmes d’étude

Pour rester là encore en cohérence avec la commande, il nous semble que plutôt que lancer des thèmes plus ou moins hétéroclites (mais intéressants en soi au demeurant), il suffirait de les organiser autour des trois rubriques contenues dans le titre :

-Education physique : la question de la « transmission » d’une culture, ici sportive et artistique, étant par ailleurs un sujet jamais abordé à l’école, est une source de réflexion pluri-disciplinaire : histoire, sciences, philosophie…

-Pratiques sportives et artistiques : sociologie, géographie, histoire, écologie, physiologie, biomécanique, technologique, connaissance des métiers…

-Cultures sportives et artistiques : approche des valeurs, éthique, citoyenneté, esprit critique, solidarité…enjeux humanistes et politiques.

Avec bien entendu tous les croisements possibles entre ces thèmes et les disciplines.

Bref la richesse est incroyable. Il faut donc selon nous ouvrir les possibles et ne pas enfermer a priori le travail des enseignant·es dans des contraintes trop fortes. Un corpus pourra ensuite être fourni comme ressource pour les enseignant·es, en espérant que le service public sera en mesure de le faire avant les éditeurs privés…

Un fil rouge : l’entrainement

Mais pour ne pas que toute cette richesse ne produise un patchwork qui serait problématique à décrypter, pour les enseignant·es comme pour les élèves, il nous semble qu’une démarche unificatrice doit être proposée. Selon nous il s’agit de l’entrainement (entendu au sens large comme moyen rationnel d’apprendre, donc de se transformer, pour obtenir un résultat). Couplé à l’organisation d’un évènement sportif ou artistique en fin d’année, il permet d’agréger toutes les pratiques et connaissances pour leur donner un sens individuel et social. C’est pour nous la matrice même de cette fameuse incarnation ou incorporation, cet apprentissage « par corps » qui donne son intérêt à cette spécialité. L’entrainement dépasse le simple et seul objectif de l’amélioration de la performance sportive. L’entrainement, par sa durée et ses objectifs, permet une mise à l’épreuve des éléments étudiés dans l’enseignement de spécialité, il constitue le terrain idéal pour des allers-retours signifiants entre théorie et pratique (ex : connaissances physiologiques sur le développement musculaire et entrainement en musculation).

Voici résumées, rapidement, les grandes lignes de ce que porte le SNEP FSU pour le programme de l’enseignement de spécialité. Rappelons que ces priorités ne sont l’émanation ni d’un travail personnel, ni d’un groupe restreint, mais d’un collectif large et d’une expérience professionnelle accumulée sur le sujet depuis maintenant 20 ans. Nous espérons que, contrairement à ce qui passe dans notre discipline depuis quelques années, mettant à mal toute idée démocratique, nous serons entendus.

Nous vous prions de croire, Madame la Présidente, en notre profond attachement au service public d’éducation.