Michaël Attali est professeur à l’Université de Rennes 2 et dirige le laboratoire VIPS (Valeurs, Innovations, Politiques, Socialisations & Sports). Ses recherches visent à comprendre l’implantation sociale du sport. Depuis plusieurs années, il développe des travaux sur les effets des évènements sportifs. Il a publié plusieurs articles sur le sujet et a dirigé un ouvrage intitulé Héritage social d’un évènement sportif – Enjeux contemporains et analyses scientifiques aux Presses Universitaires de Rennes.
Bruno CREMONESI : Tu identifies 3 rôles qui sont souvent attribués aux grands évènements sportifs qui relèvent plus du mythe que de la réalité. Peux-tu nous les présenter ?
Michaël ATTALI : Il faut d’abord insister sur la croyance en des effets magiques. Ils portent sur plusieurs aspects, lorsque l’on s’intéresse à son volet social, mais effectivement trois d’entre eux sont récurrents.
Le rôle de générateur dans le développement des activités physiques est le plus présent. L’évènement créerait un élan qui conduirait la population à pratiquer. Le présupposé consiste à considérer qu’il suffirait d’être exposé aux exploits pour s’en inspirer et pratiquer. Une analyse de l’évolution des effectifs de licenciés permet de constater qu’il n’en est rien. Cela souligne la croyance en une spontanéité de l’héritage. Or, elle n’existe pas et sans dispositifs d’accompagnement et de soutien ambitieux, l’héritage demeure un outil marketing. Pensons aux effets escomptés de la Coupe du monde 2019 et à la réalité…
Il en va de même de la conviction du rôle du sport dans l’amélioration de la cohésion sociale. Considéré comme façonné autour de vertus, le sport permettrait de rapprocher les individus. L’héritage repose dans ce cas sur la croyance en des valeurs consubstantielles au sport, il correspond à une essentialisation déconnectée du social. Elle se double d’une appréhension de l’évènement isolée de toute contingence. En raison de sa caractérisation sportive, les effets constatés seraient liés à son déroulement, en négligeant le contexte dans lequel il se produit qui peut aussi expliquer certaines des retombées constatées. A ce sujet, l’obsession de l’évaluation de l’héritage social illustre la croyance en un rapport de causalité entre évènements et changement social, ce que toutes les études invalident !
Leur rôle dans l’aménagement des territoires est aussi une constante. Les besoins en matière d’équipements seraient une opportunité pour permettre leur accès à un large public. Cette position tend à nier les dynamiques sociales et culturelles (éducation, etc.) sur lesquelles reposent l’engagement sportif.
Mon laboratoire a engagé des travaux de recherche, mais il est frappant de constater le désintérêt des organisateurs qui répètent les mêmes erreurs.
L’obsession de l’évaluation de l’héritage social illustre la croyance en un rapport de causalité entre évènements et changement social, ce que toutes les études invalident !
B.C. : Tu as coordonné un livre sur les héritages des évènements sportifs, dont bien entendu les JOP de 2024 sont un point de fixations et de réflexion. Peux-tu nous dire ce qu’est un événement sportif ?
M.A. : Il y a plusieurs catégories d’évènements. Du local à l’international, du mono sport au multisports, ils regroupent une grande diversité.
On peut définir un évènement comme la rencontre entre une situation et son retentissement. Une manifestation sportive n’est donc pas un évènement a priori, elle ne le deviendra que si elle recoupe au moins quatre aspects. Il faut d’abord qu’il y ait une intensité liée à son déroulement (records, etc.). Il faut qu’il se déroule des faits imprévus et provoqués par sa tenue. Il faut qu’il y ait retentissement au-delà de la sphère des individus concernés (par exemple il n’interpelle pas que le monde du sport). Enfin, les conséquences à long terme d’une manifestation fondent un évènement. L’effet transformateur d’une manifestation est donc une dimension essentielle qui permet de la convertir en évènement. On pourrait ainsi dire que sans héritage, pas d’évènement, ce qui remettrait en cause quelques convictions !
B.C. : Plusieurs articles développent une analyse de l’héritage. Ils montrent qu’il apporte une caution aux grands évènements sportifs et l’utiliser participe à la stratégie rhétorique qui crée une hiérarchie entre les différentes formes du sport. Qu’en est-il ?
M.A. : Il est évident qu’il sert à rendre légitime quelque chose qui est discuté. Le terme d’héritage présuppose la transmission d’un capital, un don aux autres sans se préoccuper des tenants et des aboutissants. C’est pour cette raison que nous préférons parler d’effets, de retombées, qui peuvent être positifs, négatifs ou neutres.
Utiliser ce terme conduit à faire des raccourcis malheureux. En effet, il y a une différence fondamentale entre le sport à vocation sociale et le sport mis en scène au cours des grands événements sportifs. Elle repose sur des registres de pratique ou sur des modes d’organisation dissemblables. Souvent, les tenants du premier revendiquent une approche alternative au modèle compétitif érigé en modèle par les seconds. Or, l’héritage permet aux organisateurs des évènements, de s’approprier le sport à vocation sociale en affirmant qu’ils vont permettre de le développer.