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F. Charpier m’a demandé de venir à cette demi-journée Education-Motricité consacrée à la « leçon » d’EPS pour y donner le point de vue du SNEP, et surtout pour présenter, toujours du point de vue du SNEP, quelques pistes pour l’avenir. J’ai accepté par principe (le SNEP répond toujours aux sollicitations) sans trop savoir a priori ce que je pourrais bien en dire.

Après un premier travail, comme je le fais toujours, consistant à regarder un peu les productions syndicales (bulletins, colloques, etc.) je peux déjà clore le sujet : le SNEP n’a pas UN point de vue sur la question. Ce n’est pas un sujet qu’on lui a posé, qu’il s’est posé (texte de congrès, revendications…) comme déterminant. On ne trouve pas de traces explicites d’articles traitant de ce thème frontalement et exprimant un point de vue comme le SNEP a pu le faire tout au long de son histoire sur d’autres sujets « pédagogiques ». A posteriori, je me risque à une explication : sans doute parce que ce moment de la « leçon », c’est-à-dire du face-à-face avec les élèves relève de la liberté pédagogique et de la professionnalité de chacun et donc pas d’un point de vue syndical… par contre on trouvera dans la revue du Centre EPS et Société « Contre Pied » des informations intéressantes. Et, tout bien considéré, la contribution la plus forte du SNEP à la « leçon » est sans aucun doute la bataille permanente qu’il mène avec la profession pour gagner des installations et des équipements sportifs dignes de ce nom. Très souvent, lorsque l’on parle de la leçon, cette dimension est bizarrement passée sous silence.

… tout bien considéré, la contribution la plus forte du SNEP à la « leçon » est sans aucun doute la bataille permanente qu’il mène avec la profession pour gagner des installations et des équipements sportifs dignes de ce nom.

Il faut dire également en préambule que le terme « leçon » n’est pas employé par les professionnels ni par les élèves. Vous n’entendez pas un prof dire : j’ai ma leçon avec les 4èmeC. On parle de cours, de séance… mais pas de leçon. D’ailleurs l’étymologie et l’origine du mot1 ne se prête guère à l’EPS : « Du latin  lectionem (cueillette) la leçon représente, dans les universités médiévales, l’acte essentiel d’une pédagogie alors fondée sur l’oralité. Le maître (ou lector) lit et commente devant des étudiants des passages qu’il a extrait de l’œuvre d’un auteur connu… ». Même si ça a évolué depuis, on peut dire, au moins en EPS, que son abandon a coïncidé avec l’abandon d’une forme magistrale d’enseignement et donc au moment de la « sportivisation » de l’EPS.

Mais le terme a été gardé dans les épreuves des concours, probablement pour donner à ce « moment »  une certaine solennité voire une certaine noblesse. Mais peu importe, ce qui compte ici n’est pas le mot, mais ce qu’il est censé désigner.

Le mardi 9 novembre 1967, au cours de la cérémonie solennelle de rentrée universitaire à l’ENSEPS (jeunes gens), Robert Mérand, qui vient de nous quitter il y a peu, titrait sa leçon inaugurale : « Que devient la leçon d’EP ? »2. Dans cette intervention il dit que les composantes de la leçon sont « les élèves, les maitres, la matière et la manière ». Rajoutons à cela (EPS n° 133, compte rendu du stage de 1974) : c’est une unité de temps, dans un espace institutionnalisé et concret. Mais pour cerner ce que représente la leçon en EPS, c’est l’évolution progressive consistant à ne plus concevoir la leçon de façon isolée, mais incluse dans un « cycle ». La leçon doit donc avoir une cohérence avec l’ensemble des autres séances du cycle.

Pour résumer donc : un temps (1h, 2h, etc.), un lieu (gymnase, piscine…), des élèves, un ou des profs, une matière (ici une APSA, pour reprendre la formule d’A. Hébrard), une manière (la pédagogie, l’organisation…), le tout inclus dans un cycle.

Quels travaux sur la leçon à l’échelle de l’EPS ?

Avant de parler d’avenir, voir un peu le passé et le présent…

Mais nous sommes d’emblée face à un problème majeur : il n’existe pas de travaux et d’analyses à grande échelle, c’est-à-dire à l’échelle de l’EPS toute entière. Tous les points de vue sont partiels et aucun ne peut prétendre refléter la réalité de ce qu’il s’est effectivement passé et ce qui passe, impossible même de manière sûre d’avoir une idée « moyenne ».

Les seuls travaux à une échelle intéressante et qui donnent des indications valides sont ceux de l’INRP dans les années 90, sous l’impulsion de Jackie Marsenach et Robert Mérand, qui ont impliqué une grand quantité d’équipes et d’enseignants.

L’INRP a procédé à une analyse de séances « courantes » réalisées par des enseignants et il en ressort principalement qu’il y a plutôt différents types de séances qu’une séance type, qui se situent à un moment déterminé dans le processus d’appropriation par les élèves (Evaluation, découverte, apprentissage, stabilisation…)

Mais en combinant plusieurs informations, dont celles issues des nombreuses rencontres avec la profession faites par le SNEP (colloques, stages, assises, congrès) mais aussi issues la revue Contre Pied (j’en donnerai des exemples à la fin de cette présentation) on peut se risquer à identifier à gros traits des tendances qui ont marqué l’EPS sans sa pratique concrète et qui impliquent un rapport à la culture, aux connaissances sur l’apprentissage et l’élève, à la didactique entre autres :

  • Années 70 : Les séances sont conçues à partir d’une alternance entrainement/compétition. Ce qui correspond à l’idée de « leçon » est donc la séance d’entrainement. C’est le modèle sportif qui sert d’ancrage.
  • Années 80 : Ces années correspondent au développement des STAPS, et la profession et très sensible aux apports scientifiques. Il s’agit aussi, dans le cadre de l’intégration à l’éducation nationale, d’asseoir un peu mieux la discipline. Ce qui domine alors, dans le type de séances de cette période, c’est ce qu’on a appelé la pédagogie d’aménagement du milieu, dont les travaux de Famose ont été les inspirateurs (mais aussi dans la suite de l’influence de Piaget) : le milieu physique est organisé pour induire des réponses chez l’enfant. Plus le milieu est riche et réfléchi, plus l’enfant est censé découvrir la solution par lui-même. L’enseignant est donc celui qui conçoit ces situations avec minutie. C’est l’âge d’or de l’utilisation maximale et astucieuse du matériel.
  • Années 90 : Ce qui domine assez largement, et que l’on retrouve dans les stages de formation continue, très développés à l’époque, ce sont des séances organisées autour de la notion de « situations problèmes ». C’est donc face à un problème, qui doit renvoyer à la nature et au sens de l’activité, que se retrouvent les élèves. Ils doivent le résoudre pour progresser et apprendre. L’enseignant met en place une « ingénierie didactique » et il manipule ensuite les différentes contraintes en fonction de la réponse de l’élève. C’est l’influence forte du cognitivisme qui est alors une référence scientifique forte, et c’est aussi la période la plus faste du développement de la didactique en tant que champ scientifique à part entière.
  • Année 2000 : C’est plus difficile à caractériser parce que le creuset de la réflexion et de l’échange professionnel que constituait la formation continue est complètement asphyxié (suppression des moyens). Du coup la construction collective des savoirs et savoir-faire professionnels cesse et ne restent que les rendez-vous (forums, EPsiliades, stages et assises décentralisées) organisés par le SNEP et le centre EPS et Société pour échanger et avoir des indices. Mais je dirais que la période est caractérisée par un éloignement progressif d’une séance organisée autour de la « magie » de la situation ou de la tâche pour aller vers la notion de « guidage ». Le principe organisateur de la séance est, en organisant la pratique pour qu’elle soit possible dans le cadre scolaire (aménagement des règles, des groupes…, de guider l’élève vers la réussite et l’apprentissage de choses identifiables. C’est d’une certaine manière une remise au devant de la scène le rôle de l’enseignant dans sa capacité à permettre à chacun de construire ses apprentissages. Cette logique laisse la place à la créativité de l’enseignant en situation pour répondre aux réponses et comportements des élèves. Il devient, pour reprendre des notions à l’ordre du jour des travaux en didactique, un « directeur d’étude »3. Ça peut également remettre en cause les plans de séances préétablies, qui sont pourtant le cœur des demandes de l’institution lors des inspections : le bon enseignant n’est pas celui qui prépare bien et tient bien son cahier de cours, mais celui qui fait progresser tout le monde.

La leçon dans les concours

Après ce premier découpage temporel (que je soumets au débat) revenons sur le concours de recrutement (CAPEPS) et ses attendus, qui affichent et explicitent le point de vue institutionnel (Rapport des jurys 2011) : la seconde épreuve d’admission ainsi définie, « une leçon d’éducation physique et sportive se référant aux programmes d’EPS des collèges et des lycées, déclinée dans un contexte d’établissement et organisée par un projet pédagogique d’EPS »

Et : « Le candidat doit démontrer qu’il a réfléchi aux enjeux de l’Education Physique et Sportive au sein du système éducatif. A partir de choix d’enseignement élaborés pour un contexte particulier, il doit envisager les effets de ses propositions en référence aux textes et aux préconisations officielles. »

C’est nouveau car en 2010 (le concours a changé), la définition de l’épreuve disait : « l’épreuve permet d’apprécier, dans les temps d’exposé et d’entretien, la capacité des candidats à exercer les responsabilités définies par la circulaire de mai 1997 sur la « mission du professeur ». Elle nécessite une réflexion approfondie sur la contribution des compétences disciplinaires à la formation globale de l’élève. »

C’est assez clair. L’institution pédagogique a changé de préoccupation, d’intention et d’objectif par rapport à ce qu’on attend d’un futur enseignant. Le sens politique est le suivant : en 2010 l’épreuve apprécie la responsabilité de l’enseignant à exercer une mission (référence à la circulaire sur les missions de 97), et l’épreuve de la « leçon » doit rendre compte de cela (Cadre A de la fonction publique, concepteur)… en 2011, au moins dans les textes (dans la réalité du concours, c’est beaucoup plus complexe) il s’agit d’abord de produire une leçon qui est une déclinaison des programmes et des « préconisations officielles »… (Enseignant applicateur ?), ce qui va au-delà même des programmes.

Par curiosité je suis allé consulter les autres disciplines (et je conseille à chacun de faire ce petit travail pour ne rester uniquement centrés sur nous) pour voir si cette conception était ou non spécifique à l’EPS (rapports des jurys 2011 : musique, histoire-géo, anglais, math, philo, sc éco, lettres). Aucune ambigüité : elle l’est !

En lettres modernes par exemple :

« L’épreuve permet au candidat de montrer :

  • sa culture littéraire, linguistique et professionnelle ;
  • –  sa connaissance des contenus d’enseignement et des programmes de la discipline concernée ;
  • sa réflexion sur l’histoire et les finalités de cette discipline et sur ses relations avec les autres disciplines. Cette première partie d’épreuve prend appui sur un dossier composé de documents divers (textes, documents iconographiques …) en relation avec la discipline enseignée. Le dossier comprend des questions permettant d’apprécier la réflexion pédagogique du candidat. Le candidat prépare et présente un exposé selon les thématiques et les problématiques qu’il aura déterminées.

L’entretien a pour but de vérifier la capacité du candidat à transposer ses connaissances en discipline d’enseignement. »

Bref il n’y a pas d’unité de point de vue selon les disciplines. On peut considérer qu’il y a une part de logique chaque discipline étant spécifique, mais il est certain, je vous conseille d’aller vérifier par vous-mêmes, qu’aucune ne fait à ce point référence (révérence ?) aux programmes scolaires !

L’INRP

Pour conclure sur cette partie, revenons rapidement sur travaux de l’INRP qui encore une fois a été le seul lieu institutionnel d’expérimentation et d’analyse à grande échelle de l’EPS :

EPS au collège et volley-ball. INRP 1994 (entretien avec Jacqueline Marsenach) Il est réaffirmé que la structure de la séance dépend :

  • d’une problématique générale de l’EPS : s’approprier, pour se développer dans toutes les dimensions de la personnalité des objets culturels sélectionnés comme particulièrement riches de ce point de vue. C’est ce Jacqueline Marsenach appelle la finalité fondamentale de l’éducation.
  • –          D’une problématique du rapport à ces objets : rapport d’invention, de compréhension, de transformation…
  • De l’organisation pédagogique de ces objets : par exemple en sports co le choix avait été fait d’approfondir la notion de niveaux de jeu, eux-mêmes organisés en situations, contenus et comportements observables des élèves confrontés à ces contenus.
  • De l’organisation de la confrontation des élèves à ces objets.

Dans cette problématique que l’on peut qualifier de « pilotée par les contenus » la démarche de chaque séance est fonction du degré d’appropriation atteint et des rapports des élèves aux contenus : séance visant la consolidation des contenus, la découverte de nouveaux contenus, ou l’enclenchement d’un nouveau thème.

Perspectives, malgré tout

Pour tenter malgré tout de répondre à la commande « prospective », tout en restant cohérent avec ce que j’ai dit sur l’impossibilité de définir une leçon ou séance type, je suis allé chercher quelques témoignages. Pas n’importe lesquels puisqu’ils sont issus de la revue Contre Pied, dans la rubrique que l’on a appelé simplement « comptes-rendus de pratiques ». Mais si l’appellation n’est pas très originale, la méthode l’est. En effet il ne s’agit pas, ce que nous faisions au départ, de demander à quelqu’un de décrire une séance (dans l’activité dont il est spécialiste le plus souvent) pour dire ce qu’il fait. On le sait, et c’est ce que font parfois d’autres revue professionnelles, la forme est convenue, répondant à une norme implicite, et a surtout comme caractéristique de ne pas correspondre à la réalité, mais à une sorte d’idéal. C’est donc en général très formel, même s’il y peu y avoir des descriptions précises.

Nous avons pris le parti de faire des entretiens, dont la méthode s’est construire empiriquement, qui consistent à fouiller avec le ou la collègue, jusque dans le détail, ce qui rend le mieux compte de ce qu’il ou elle fait concrètement et de ce qui l’anime profondément. Il s’agit donc d’un « récit de pratique », mis ensuite en forme par les intervieweurs et régulé par l’auteur.

C’est important de rappeler cela parce que nous souhaitons accéder, pour en rendre compte, au plus près du réel. Vous devez penser « pourquoi nous dit-il cela » ?

C’est tout simplement parce que nous pensons (et Robert Mérand, et Jackie Marsenach, ont toujours défendu cette idée) que l’EPS de demain est déjà là, dans ce qui se fait aujourd’hui. L’EPS de demain ce n’est pas la CP5, les activités d’entretien ou quoi que soit de ce genre. L’EPS de demain c’est comment les enseignants d’aujourd’hui inventent des solutions pour faire apprendre tous les élèves, comment ils s’organisent et comment ils organisent l’apprentissage des objets culturels que sont les APSA, pour une appropriation critique, c’est-à-dire l’émancipation, de tous.

Je vais donc simplement et très modestement vous donner quelques exemples qui paraissent prometteurs tirés de la revue contrepied, à partir de thématiques qui nous paraissent importantes :

  • Apprendre, ensemble. Toutes les politiques scolaires depuis de nombreuses années sont bâties sur l’individu et l’individualisation. Or personne ne remarque que depuis qu’elles se mettent en place, elles ne permettent pas de résoudre les problèmes d’apprentissage. Nous sommes dans l’idéologie pure (qui s’affranchit d’ailleurs des clivages politiques classiques. Nous pensons qu’il est temps de réhabiliter le collectif, notamment en instituant la classe comme collectif dédié à l’étude. Par exemple, en Basket (cp n°28, p 10), un collègue qui témoigne, construit ses séances sur  l’alternance jeu/réflexion par équipe ou classe entière pour construire un référentiel commun. La séance n’a donc pas la même configuration que quelqu’un qui ferait : échauffement, exercices, jeu ! L’enseignant a une situation de départ, dans laquelle il va progressivement introduire des contraintes nouvelles, réglementaires ou organisationnelles (rôles). Autre exemple dans le même numéro, tennis de table, la collègue construit sa séance sur la mise en place là aussi de rôles (distributeur, observateurs, coaches…) mais opère une différenciation nette entre entrainement (quand le partenaire me fait travailler), situation d’opposition (il y a opposition mais pas d’enjeu, j’essaie plein de choses), situation d’affrontement (match). La séance se construit (c’est du moins ce que l’on comprend) alors dans une sorte d’alternance de ces trois registres, pour construire « la culture de l’affrontement ». On voit alors qu’avec les mêmes objectifs (apprendre ensemble), 2 collègues, dans 2 APSA différentes présentent 2 manières de faire qui, si elles peuvent avoir des points communs, bousculent un peu les représentations et les organisations plus classiques.
  • La place centrale du jeu. Un des principes organisateurs des séances a longtemps été (et encore sans aucun doute), la successivité exercices (travail) et jeu (mélange d’amusement et de réinvestissement de ce qui a été appris dans les exercices). Dans le numéro 26 de la revue Contrepied nous avons voulu explorer cette logique pour tenter de repérer d’autres modes de fonctionnement. Par exemple un collègue organise sa séance sur uniquement du jeu : situation obligeant à des adaptations (multi buts en foot). Chaque jeu a ses critères de réussite (marquer + de 4 ou 5 buts dans un temps donné. Lorsque les critères sont atteints, on complexifie le jeu. L’enseignant a en tête les niveaux de jeu attendus et fait évoluer en fonction des réponses des élèves. La « leçon » est entrecoupée de questions qui guident les apprentissages … « mon souci est de donner un maximum de temps de jeu (entre 30 à 40mn sur 1h30 effective) ». Discussion 2  mn max après chaque match. Cette façon de faire bouscule là encore les représentations. Un observateur ignorant pourrait n’y voir que de « l’animation sportive » alors que l’enseignant fait preuve d’une grande professionnalité : il propose et régule en permanence la façon dont les élèves répondent aux exigences, tout en leur offrant le plus possible un plaisir immédiat.
  • Le progrès de tous comme enjeu principal. Un changement de perspective a réorienté semble t-il un certain nombre de collèges dans leurs pratiques quotidiennes. La leçon est forcément modifiée. Il s’agit du passage à la recherche de la réussite de tous, systématiquement. Une chose est de concevoir une séance traditionnellement ancrée sur les « trois tiers » : un tiers de bons ou débrouillés, un tiers de moyens et un tiers en difficulté ou qui ne veulent pas faire d’effort. Ça pose  la question déterminante de la lutte contre les inégalités et des discriminations et ça questionne la possibilité de l’école (et donc de l’EPS et ses enseignants) de les réduire pour ce qui concerne l’accès à la culture physique sportive et artistique. Dans le CP n°26 toujours (p17), un collègue propose en badminton un travail intéressant qui change des habitudes. Du jeu toujours, mais groupes de niveau avec contraintes différentes et critères de réussites, jusque là assez classique. Mais un « championnat » qui dure tout le cycle (et donc chaque séance) ou tout le monde peut jouer contre tout le monde, avec des handicaps selon son groupe. Là où réside l’intérêt pour notre démonstration, c’est la possibilité offerte pendant la séance, pour chacun, de faire un travail technique (incluant réflexion sur soi, tactique, etc.), pour s’améliorer s’il le souhaite. Cela suppose donc un dispositif et une régulation où l’enseignant gère dans le même temps des situations de matchs et des « exercices » de perfectionnement pour ceux qui en ont compris l’intérêt. Il n’y a donc pas d’obligation pour les exercices. Mais si on projette un peu ce qui peut se passer, on imagine que tout le monde doit progresser, en fonction de ses besoins, soit par le jeu, soit par les exercices, soit les 2, et que dans les matchs, le système de handicaps permet de rétablir les déséquilibres importants.
  • Le sens, ici et maintenant, et pour demain ensuite… La séance s’inscrit dans un cycle, lui-même inclus dans une année scolaire. Tout le monde rappelle ainsi la fameuse « cohérence » de l’EPS. Mais à trop le rappeler, on peut oublier que le sens que les élèves donnent à leurs apprentissages ne peut pas être systématiquement renvoyé à un ailleurs (dans la « vraie » vie), plus tard (à la fin du cycle, à la fin de l’année, quand tu seras adulte…), au-delà (des APSA, de l’EPS…). Nous faisons l’hypothèse que cette logique peut faire perdre de vue la nécessité de faire en sorte que chaque ait sa propre cohérence, produise des effets immédiats, suscite plaisir de pratiquer et d’apprendre (et donc la motivation). Bien sûr concilier les 2 est une bonne chose, mais nous faisons le pari que l’intérêt de l’EPS, notamment pour les jeune, les plus éloignés des codes scolaires, pour ceux qui n’ont pas accès aux pratiques sportives, c’est d’abord ici et maintenant. Une fois n’est pas coutume, je vais prendre un exemple tiré de mon expérience personnelle, mais après tout, j’ai été invité aussi en tant que professionnel. J’ai récemment changé ma façon de faire pour essayer de concilier toutes ces préoccupations (voir annexe description séances).
  • Moins de choses à apprendre, mais mieux apprises. Cette tendance est assez prégnantes dans l’ensemble des comptes-rendus de pratiques de la Revue Contre Pied. On pourrait donner de multiples exemples, de la gymnastique (choix de ne faire apprendre que l’ATR ou le saut de cheval par renversement, voir le contrepied « osons la gym »), en sports co… l’idée est la suivante : sans mutiler l’APSA, on retient quelques éléments qui sont significatifs d’un premier (ou d’un second…) niveau de maitrise (aujourd’hui on appelle ça compétence) et on s’assure qu’un véritable travail d’apprentissage de nature « technologique » (aller-retour théorie/pratique) soit mené et qu’il débouche sur une production reconnue. Il s’agit de rentabiliser au maximum le temps disponible. Dans les années 80, on avait tendance à multiplier les situations, la richesse ou la variété de ces situations étant considérée comme la base de l’adaptation. Mais cela produisait un zapping avec finalement peu d’apprentissages. Certes la séance pouvait être vivante grâce cette découverte permanente, mais rien n’était stabilisé. Ce choix de la réduction des objets, dont certains précurseurs (je pense par exemple à des gens comme Maurice Portes en Hand ball ou Paul Goirand en Gym) avaient depuis longtemps fixé ces objectifs, ce n’est que maintenant que l’idée tend à se généraliser un peu. La séance (et le cycle) est donc organisée autour d’une situation, un élément à apprendre, qui se complexifie au gré des réponses des élèves. L’introduction de contraintes ou consignes est guidée par le niveau d’acquisition, jusqu’à la stabilisation…
  • Un projet de réalisation. La aussi, dans la revue, on retrouve des principes qui participent à donner du sens et de la vie à l’EPS. Il s’agit de la finalisation (dans la séance, dans le cycle, voire sur l’année) du travail : « le siège de la voie » en escalade, le championnat, le bal du lycée, le spectacle… On retrouve ici ce que Didier Delignères et Christine Garsault appellent de leurs vœux. On retrouve ça dans les établissements qui ont construit une véritable « culture » autour de l’EPS qui en fait une discipline qui se distingue des autres au yeux des élèves. Une séance, dans ce processus, là encore, ne peut être formatée, mais doit prendre appui sur le niveau du moment pour mettre en œuvre le projet et prendra une forme différente selon les APSA.

La leçon : le style professionnel

Je pourrais, à partir de chacune de nos préoccupations pour une EPS pertinente, décliner et trouver dans la Revue des exemples qui montrent la permanence des préoccupations : mettre l’élève à l’école des APSA, c’est-à-dire des choses, des objets qui constituent la culture physique sportive et artistique. L’APSA est, comme d’autres pans de la culture à la l’école, à élucider par l’élève, et donc en premier lieu par le prof qui doit proposer d’accéder à cette intelligibilité physique et théorique. Ce qui ne peut se faire qu’en demandant à l’élève, à son niveau, de réaliser une œuvre : « C’est dans « l’œuvre » que se manifeste le plus clairement, aux yeux de tous et de manière publique, la puissance individuelle et collective d’agir de citoyens devenus, au terme de ce parcours, ce que nous appelons « des singularités agissantes »4.

C’est ainsi qu’il s’agit d’une véritable éducation culturelle qui consiste à autoriser, à produire « ce qui jusque là paraissait impossible ou interdit comme prendre la parole en public, monter sur une scène ou s’engager dans un combat collectif. On comprend là que l’action éducative et culturelle a un autre sens que celle de simplement transmettre des savoirs et démocratiser des œuvres d’art ».

Une bonne leçon ? Indépendamment de sa forme qui est de la responsabilité et de la créativité professionnelle, c’est un cours qui s’inscrit dans un cycle (projet) mais qui a une validité propre, une réalisation pertinente au regard des possibilités du moment et qui tente de répondre aux enjeux du moment. Mais pour moi, contrairement à tout un tas de « montages » pédagogiques, ce qui est la meilleure prédiction qu’un jeune, plus tard, ait envie de pratiquer, c’est qu’il puisse prendre du plaisir à pratiquer et découvrir (et de s’approprier progressivement) l’étendue de ce qu’il y a à apprendre dans chacune des APSA proposée, les 2 devant se combiner pour que l’EPS joue son rôle d’acculturation dans le champ de la culture qui est la nôtre.

Pas sûr que l’on aille vers cela si les politiques scolaires restent en l’état. Impossible de terminer sans un regard plus global. Car « la leçon » n’est pas quelque chose d’abstrait, suspendu dans une zone en dehors du monde. Elle est ancrée dans une politique. En se replongeant un peu en arrière, on se dit que ce que disait Hebert ne serait probablement pas renié par le Ministère d’aujourd’hui, tant cela répond aux préoccupations libérales :

Hébert, cité par Mérand (leçon inaugurale INSEP) :

« Hébert résume ainsi les avantages du travail en vague sur le plateau :

  1. La leçon peut s’exécuter avec un grand nombre de sujets sur un espace extrêmement réduit,
  2. Un emplacement et des installations rudimentaires suffisent,
  3. Le maître voit bien ses élèves,
  4. La liberté d’action est assurée à chaque élève comme s’il était seul,
  5. Les faibles peuvent travailler à côté des forts sans inconvénient pour eux, sans gêner ces derniers. »

Nous espérons que ce ne sera pas le chemin suivi dans les prochaines années et que l’enseignant pourra, de plus en plus, affirmer son « style »5 pour répondre aux enjeux de l’école.

Annexe : description séances de danse

Exemple danse, 12 séances, 1ères STG. Je vais détailler un peu pour que vous puissiez « visualiser » les séances. Je voulais concilier plusieurs choses :

  • Instituer la classe comme un lieu de production et d’étude, en l’occurrence en danse, une troupe !
  • Avoir une organisation qui permette le travail, indépendamment de la
  • présence des uns ou des autres (beaucoup d’absences dans les classes de STG), et qu’il y ait des moment de travail seul, en petit groupe et en grand groupe.
  • Que la connaissance (de la danse, des principes de mise en scène…) soit ancrée sur l’action et l’expérience
  • Qu’ils soient intrigués, intéressés, fiers de ce qu’ils font, et finissent ouverts sur autre chose (pour aller vite, les garçons sont des footballeurs et la danse c’est pour les filles, et les pour les filles la danse c’est des mouvements d’ensemble plus ou moins complexes (danse des clips, pompom girls…)
  • Que la réussite soit autant individuelle que collective.
  • Que, comme dans toutes les APSA, ils sachent ce que c’est que
  • « l’entrainement ».

Le cycle est donc découpé en 2 : une phase de « création » pendant laquelle on invente et on met en place la chorégraphie., et une phase de « répétition » pendant laquelle on travaille ce qui a été conçu, jusqu’à la production finale. C’est donc une démarche assez classique de « troupe ». La production est une production collective de la classe (avec des classes nombreuses, on peut faire 2 groupes, donc 2 chorégraphies, mais avec le même travail.) Le but est de produire un spectacle qui sera filmé. Chaque élève aura un CD de la chorégraphie, mais chaque séance est finalisée par une production (elle aussi filmée qui sert de mémoire et de miroir).

J’ai fait le choix explicite d’être le chorégraphe « principal » de la classe et je n’ai pas travaillé le rôle du spectateur. Formellement on pourrait dire que je suis « hors préconisations officielles », notamment dans la perspective du Bac. Cependant, je choisis d’être un chorégraphe qui associe ses danseurs à la construction de l’œuvre. Les élèves sont donc acteurs-chorégraphes en cherchant des réponses correspondant aux intentions choisies, mais aussi en construisant activement les critères de réussite, qui consistent à réduire le décalage entre l’intention et la réalisation de façon à produire un effet chez le spectateur. Par ailleurs, ça me paraît être un façon de mieux « rentabiliser » le temps disponible pour des transformations réelles.

Les séances de la partie « création » sont organisées pour d’un temps de recherche, puis pratique (mise en place) et production. J’arrive avec une histoire (déclencheur, mais ça pourrait être autre chose, un tableau, etc.) qui a 5 paragraphes et qui donnent lieu à 5 « tableaux ». La première séance est une entrée dans l’histoire, lecture, travail sur compréhension, en retirer les images fortes, etc. L’idéal serait de pouvoir faire ce travail, pas facile avec ces classes composées d’élèves en échec relatif, en interdisciplinarité avec le prof de français. Donc, à cette première séance, peu de « physique » mais on construit l’histoire et ce qu’on en retire en commun. C’est le référentiel, le projet, le propos, l’intention… ce qu’on veut dire ! C’est la condition pour que les danseurs soient « préoccupés » par la chorégraphie. Puis les 5 séances suivantes ont comme objectif de construire et ébaucher chaque tableau. Je donne des contraintes en fonction des réponses des élèves au fur et à mesure (ex : un unisson, travail en duo, au moins un ralenti, un passage au sol, un porté… A la fin de chaque séance, je filme (avec une tablette numérique). Visionnage instantané. Discussion sur les critères de réussite, effet produit, occupation de l’espace, etc… Si besoin re-passage deux, trois fois, jusqu’à ce que l’ensemble des contraintes prennent sens et soient respectées et visibles.

La deuxième partie du cycle est consacrée à s’entrainer pour la production la plus aboutie possible. 3 formes de travail : physique (travail musculaire, effort, sensations…) à partir d’une gestion de l’effort que l’on a également travaillé dans d’autres cycles (y compris par exemple : travail fractionné 30/30 ou 1mn/1mn,  etc…) : il faudra tenir en tout état de cause une chorégraphie d’environ 5mn, chaque tableau faisant entre 1mn et 1mn30 maximum. Travail aussi d’interprétation (concentration, regard…) et précision du geste. A partir bien entendu de la production filmée que l’on reprend. La séance commence donc par un visionnage, une analyse de la production, discussion sur les modifications à apporter. Puis travail individuel ou par groupe en fonction des besoins. Puis travail de la séquence entière jusqu’à la meilleure production possible. Filmage également et comparaison entre la proposition et la production initiale et celle-ci, après entrainement donc. Vérification des progrès sur critère (précision du geste, effet produit). Si le travail va vite (certaines scènes peuvent s’y prêter, certaines classes ou groupes peuvent aller plus ou moins vite). Enfin une séance sur « le filage » c’est-à-dire l’enchainement complet des 5 tableaux. La séquence est filmée, montée, et chacun pourra avoir un CD ou un fichier pour son ordinateur ou son smartphone de la production.

Notes :
  1. Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation. Nathan. 1994. []
  2. L’intégralité du texte a été publiée dans la revue EPS n°90 de janvier 1968 []
  3. Le didactique. Chantal Amade-Escot coord. Ed revue EPS 2007[]
  4. Christian Maurel, sociologue. DE L’ASSUJETTISSEMENT A LA PUISSANCE D’AGIR. Eléments pour un discours de la méthode d’une éducation populaire repensée. http://www.mille-et-une- vagues.org/ocr/spip.php?article838[]
  5.     Yves Clot. La fonction psychologique du travail. PUF. 1999[]