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Grande pauvreté et réussite scolaire, analyse du SNEP-FSU

L’Ecole française est l’une des Ecoles où l’origine sociale pèse le plus sur le destin scolaire. Retour sur deux rapports qui ont été publiés sur « réussite scolaire et grande pauvreté ».

Au mois de juin, deux rapports des structures de l’éducation nationale rendent visibles l’inégalité de notre système scolaire et font des propositions pour une Ecole de la réussite de tous. Le premier rapport est le résultat du travail du conseil national de l’évaluation du système scolaire (CNESCO). Il étudie la mixité sociale et scolaire et la ségrégation intra établissement dans collèges et lycées français. Le second est un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale intitulé « grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la réussite de tous » piloté par Jean-Paul Delahaye.

Ces deux rapports ont pour le moment fait l’objet d’un simple fait médiatique, n’occupant l’espace journalistique que quelques jours. Ils révèlent pourtant ce que déjà nombre de chercheurs en science sociales et de l’éducation ont dit : notre système scolaire est ségrégatif et creuse les inégalités entre les élèves.

Revenons quelques instants sur ces deux rapports et leurs principales conclusions.

Le rapport de la CNESCO montre une forte ségrégation sociale entre les établissements

Ce rapport s’est attaché à montrer un panorama complet de la ségrégation sociale et scolaire entre les établissements et entre les classes d’un même établissement.

Le constat d’une ségrégation sociale plus importante en collège qu’en lycée s’explique autant par la ségrégation résidentielle que par la composition des classes. Dans une école sans ségrégation, tous les collèges de France aurait 22% d’élèves de CSP+. Dans la réalité, les élèves de CSP+ ont dans leur collège 34% d’élèves de CSP+ contre 18% pour les autres collèges. De même les élèves obtenant les meilleures notes au brevet ont 36% d’élève de CSP+ dans leur classe contre 18% pour les autres.

Le constat d’une ségrégation sociale plus importante en collège qu’en lycée s’explique autant par la ségrégation résidentielle que par la composition des classes.

Ces quelques chiffres révèlent une concentration, dans les établissements et dans certaines classes au sein des établissements, des meilleurs élèves et des élèves de CSP+. Cette ségrégation entre établissement est plus forte en zone urbaine que rurale, celle-ci recrutant sur un rayon plus important ce qui contribue à créer plus de mixité sociale.

Notons que la ségrégation scolaire est plus faible en collège qu’en lycée. Si les lycées ont une plus faible différence de CSP+ qu’en collège, la concentration des bons élèves dans quelques classes est plus importante. Une politique volontariste qui viserait à œuvrer pour réduire la ségrégation sociale entre lycées sans questionner la constitution des classes, n’aurait pas d’effets sur la réduction des inégalités.

Les classes bilingues et le latin ne sont que l’un des facteurs explicatifs de la ségrégation entre les classes

Globalement, la composition des classes a un effet relativement limité sur la ségrégation sociale puisqu’elle ne représente que 20% de la ségrégation totale. Cependant elle joue un rôle plus important sur la ségrégation scolaire, une donnée qui vient nettement relativiser l’argument de la suppression du latin dans la nouvelle réforme du collège pour réduire les inégalités sociales entre les établissements.

Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous

Plusieurs observateurs soulignent que la non mixité sociale est une bombe à retardement pour la société française.

Le titre du rapport ne peut pas nous laisser insensibles, quelques mois après le dramatique attentat contre Charlie Hebdo. Plusieurs observateurs soulignent que la non mixité sociale est une bombe à retardement pour la société française.

La refondation de l’Ecole ne peut pas être un coup de peinture pour cacher l’effritement d’un modèle mais plutôt un travail sur les fondations d’un système dans lequel l’origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires. Les évaluations internationales, notamment pisa, soulignent que la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est plus marquée en France que dans la plupart des autres pays de l’OCDE. Le système français est plus inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était 9 ans auparavant et les inégalités sociales se sont surtout aggravées entre 2003 et 2006. Aujourd’hui en France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement moins de chance de réussir qu’en 2003. S’ajoute à ce constat le fait que les élèves issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté. Enfin, par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE, en France, les élèves issus d’un milieu social défavorisé n’obtiennent pas seulement des résultats nettement inférieurs, ils sont aussi moins  impliqués, moins attachés à leur école, moins persévérants et beaucoup plus anxieux. Pour finir ce tableau descriptif de notre système scolaire, les sortants sans diplôme proviennent plus fréquemment de milieu social défavorisé : 34% ont un père ouvrier, 31% ont un père employé et moins de 10% ont un père cadre supérieur ou exerçant une profession libérale. Comme le rappelle Stéphane Bonnery « démocratisation et inégalités ne s’excluent  pas. Depuis 150 ans, chaque fois que l’école ou un degré supérieur du système s’est ouvert à une plus large part de la population, les mécanismes de sélection se sont déplacés. Ce n’est pas démocratisation ou inégalités, mais les deux en même temps. »

Le rapport est clair, ce constat n’est pas simplement là pour montrer du doigt les enfants les plus en difficulté, il se situe dans une politique de refondation pour permettre aux élèves, dont la réussite scolaire est très lié aux origines sociales, d’élever leur niveau. Le rapport spécifie que cet enjeu ne pèsera pas sur les élèves déjà en réussite scolaire comme le montre d’ailleurs le rapport de la CNESCO. Refonder l’Ecole en assurant moins de ségrégations scolaire et sociale ne fera pas baisser le niveau mais permettra en plus de faire mieux réussir les élèves les plus fragiles et les plus faibles.

Refonder l’Ecole en assurant moins de ségrégations scolaire et sociale ne fera pas baisser le niveau mais permettra en plus de faire mieux réussir les élèves les plus fragiles et les plus faibles.

Le rapport propose de nombreuses préconisations sur différents aspects du système scolaire. Nous avons  choisi d’en retenir quelques-unes, non pas qu’elles soient à mettre en œuvre prioritairement mais elles explorent des pistes intéressantes à questionner et peu communes dans les propositions des précédents rapports de l’Inspection générale.

Une attribution de moyens prenant en compte l’obligation de mixité sociale, dans le public comme dans le privé.

Le poids relatifs des catégories favorisées est deux fois plus élevé dans le privé que dans le public. Il s’agit là d’une moyenne car, par exemple, la plupart des établissements catholiques sont d’abord et principalement choisis par des familles des classes moyennes (36,7% d’enfants de catégories favorisées dans le privé contre 20,6% dans le public et 19,4% d’enfants d’ouvrier contre 39,4% pour respectivement le privé et le public).

Ces éléments sont au demeurant déjà connus et nombre de publications sur la carte scolaire montrent les effets du privé sur l’accentuation des effets de ségrégation des établissements. Le rapport propose deux pistes qui devraient nettement contribuer à réduire l’inégalité entre le public et le privé. :

  • Différencier les dotations aux établissements privés selon les critères sociaux.
  • Elaborer des chartes signées localement par les établissements privés et les autorités académiques pour favoriser la mixité scolaire.

Une politique de formation et de gestion des ressources humaines pour réduire les inégalités

Aujourd’hui les enseignants présents dans les établissements de l’éducation prioritaire sont plus jeunes et plus fréquemment non titulaires que dans les autres établissements : 37,4% ont moins de 35 ans et 7,7% sont non titulaires contre respectivement 25,7% et 4,8 % hors éducation prioritaire. Le rapport ajoute : « cela relativise les efforts budgétaires en faveur des territoires en difficultés car les traitements des débutants et des non titulaires sont moins couteux que ceux des professionnels expérimentés 1. »

Préconisation N°39 : Mettre rapidement à l’étude des mesures exceptionnelles pour permettre la constitution d’équipes pédagogiques et éducatives pérennes au sein des écoles et des collèges en REP+. Les pistes explorées pourraient être notamment :

  • Le recrutement par procédure spécifique de personnels sur certains postes à profil ;
  • La réduction du service d’enseignement la première année d’affectation en REP+ pour permettre des compléments de formation ;
  • L’application au traitement des enseignants qui exercent en REP+ d’un coefficient multiplicateur ;
  • La valorisation des années passées en REP+ par des gains d’échelon plus rapides ;
  • La possibilité ouverte à des personnels volontaires et expérimentés d’être affectés en REP+ pendant un nombre déterminé d’années en ayant la possibilité de revenir ensuite dans leur école ou établissement d’origine.

Concentrer les efforts et les moyens

Des propositions sont faites à la fois sur une concentration et une augmentation des moyens, sur la scolarisation des enfants de moins de 3 ans, sur le droit de participer à un voyage scolaire. Il préconise une baisse des élèves, si elle est accompagnée d’un travail pédagogique.

La formulation laisse une ambiguïté sur la forme de contractualisation qui laisserait entendre que tant que les équipes n’auraient pas engagé un travail sur le pédagogique, les moyens ne suivraient pas. Un glissement qui peut s’avérer dangereux et qui a été expérimenté outre atlantique avec des conséquences dramatiques sur ces établissements.

Exceptée cette formulation, le rapport ne déni pas la question sociale en survalorisant le pédagogique tout en considérant que les moyens pour agir sur les questions sociales, s’ils sont nécessaires, ne pourront pas supprimer les processus de démocratisation qui sont pour une part liés aux formes pédagogiques des enseignements. De ce point de vue, les travaux du groupe ESCOL et d’autres chercheurs sont cités à de nombreuses reprises. Le groupe ESCOL montre qu’il n’y pas de causalité directe entre la difficulté scolaire et les situations de pauvreté des enfants.

Le groupe ESCOL montre qu’il n’y pas de causalité directe entre la difficulté scolaire et les situations de pauvreté des enfants.

Les enfants ne sont pas en difficulté scolaire à cause de leur situation de pauvreté, la difficulté est liée aux formes de l’école qui entretiennent des implicites que seuls les enfants ayant une certaine connivence avec la culture scolaire peuvent décrypter. De façon inavouée, les enfants issus des classes moyennes et de la bourgeoisie, comprennent plus rapidement ce que l’Ecole attend d’eux sans que les enseignants aient besoin de la rendre explicite ou visible. A l’inverse pour d’autres enfants, sans cette explicitation de la part invisible ou non dite des attendus de l’Ecole, ils resteront étrangers à la construction de ces savoirs.

A titre d’exemple, nous avons choisi quelques préconisations à la fois sur la dimension sociale et sur le côté pédagogique :

Préconisation 30 et 31 : Confirmer aux responsables académiques et aux partenaires de l’école, l’objectif de porter à 30% d’une classe d’âge en 2017 les effectifs des enfants de moins de 3 ans scolarisés, dans les zones urbaines et rurales défavorisées. Conformément aux décisions arrêtées lors de la réunion interministérielle du 6 mars 2015, scolariser 50% des enfants de moins de 3 ans dans les réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP+) en 2017 (77).

27. Prévoir de réaffecter une partie des économies réalisées par la suppression progressive du redoublement au financement pérenne d’actions pédagogiques d’accompagnement des élèves les plus en difficulté dans les écoles, les collèges et les lycées (75).

29. En réponse à un projet pédagogique garantissant une utilisation efficace des moyens attribués, diminuer progressivement et contractuellement les effectifs des classes des écoles primaires et des collèges en REP+ (76).

6. « Tout élève doit pouvoir bénéficier d’un voyage culturel et/ou linguistique au cours de sa scolarité à l’école primaire et au collège et aucun élève ne doit être empêché d’y participer pour des raisons financières (43) »

Une pédagogie explicite pour le chercheur Roland Goigoux (234) : « quelle que soit la démarche retenue (résolution de problème, démarche d’investigation, cours dialogué, résolution guidée ou exercice autonome), une pédagogie peut être qualifiée d’explicite lorsque le professeur permet à ses élèves d’avoir une claire conscience de tout ou partie : des buts des tâches scolaires (ce qu’ils ont à faire) ; des apprentissages visés (ce qu’ils pourront apprendre) ; des procédures utilisables ou utilisées (pour réaliser les tâches) ; des savoirs mobilisables ou mobilisés (pour réaliser les tâches) ; des progrès réalisés (ce qu’ils ont appris). »

Ce rapport étayé et approfondi a le mérite d’explorer simultanément de nombreuses pistes et ne tombe pas dans les travers de nombreux rapports qui, en regardant la question de l’école par un prisme réduit, ont tendance à réaliser des propositions partisanes. Cependant, nous pouvons nous attendre à ce que les  politiques publiques ne se saisissent que d’une petite partie des préconisations et retombent, de fait, dans un saupoudrage qui n’aura aucun effet pour endiguer le creusement des inégalités. Pourtant nos politiques publiques vont de façon urgente devoir se saisir de cette question pour que les enfants, issus des milieux sociaux les plus faibles, puissent réussir dans notre Ecole de la République. Ce n’est pas simplement une réponse à apporter pour ces enfants-là mais une nécessité pour que notre société n’implose pas de l’intérieur.

Nb : les numéros entre parenthèses correspondent aux numéros de pages du rapport, les numéros en gras aux propositions

Notes :
  1. Rapport de la Cour des Comptes de 2010[]