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Pour une vraie discrimination positive

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Un système scolaire plus juste en France est-il possible ? L’article revient sur la réforme REP en proposant un regard critique et des pistes pour sortir d’un système qui reproduit, voire accentue, les inégalités sociales.

Toutes les études internationales confirment que notre système éducatif est l’un de ceux où le « déterminisme social » pèse le plus lourdement sur les apprentissages et les performances scolaires. Il souffre d’une insuffisance de démocratisation et d’une logique de concurrence et de ségrégation (voir à ce sujet le dernier rapport de la CNESCO). Le capital culturel est de plus en plus lié au capital économique, l’ascenseur social est en panne.
L’analyse et les solutions tendent à mettre dos à dos d’un côté les tenants d’une démarche

essentiellement qualitative mettant en avant la nécessité de projets cohérents et d’une transformation profonde des modes de fonctionnement du système éducatif et des pratiques des enseignants et, de l’autre côté, une logique quantitative qui propose un soutien budgétaire significativement plus important aux établissements les plus« difficiles », pour une amélioration des conditions d’enseignement des élèves et des familles concernés. C’est à l’évidence des deux que l’école a besoin.

La seule augmentation des moyens serait une impasse

La question de la justice sociale des moyens doit être articulée à celle de la démocratisation des savoirs et de la culture. La polarisation sur la situation économique et les moyens est une impasse. Les tenants de cette option portent l’idée qu’on ne permettra pas la réussite de tous sans changer la situation économique et réduire le chômage et la précarité. Si cette voie est nécessaire, elle n’est pas suffisante puisqu’à niveau social équivalent nous constatons que certains systèmes scolaires sont plus ségrégatifs que d’autres. Il n’y aura pas de réelle démocratisation sans examen critique rigoureux des modes d’élaboration, de définition et de transmission de la culture scolaire.

Il n’y aura pas de réelle démocratisation sans examen critique rigoureux des modes d’élaboration, de définition et de transmission de la culture scolaire.

Pour reprendre les propos de Jean-Yves Rochex « on sait aujourd’hui que tous les dispositifs ou toutes les pratiques d’enseignement ne se valent pas au regard des enjeux de démocratisation. ». Si notre discipline a commencé à travailler sur ce sujet, le chemin reste encore long comme le révèlent les données statistiques du croisement entre les notes au BAC et les CSP des élèves. Seule une formation initiale et continue plus conséquente, centrée sur la réussite de tous les élèves dans les APSA étudiées, pourra faire évoluer la situation. Le SNEP a pris cette question au sérieux en ouvrant des espaces pour élaborer des propositions pédagogiques dans ses stages et en diffusant la revue « Contrepied » à tous ses syndiqués.

EP abandonne l’idée de compenser un désavantage social

L’action de l’État, le développement des services publics dans des secteurs géographiques fragiles devraient participer de la nécessaire justice sociale et d’une véritable politique de discrimination positive visant à « donner plus à ceux qui ont le moins ». Alors que le gouvernement affiche fortement sa volonté de lutter contre les discriminations et les « ghettos », il se refuse à envisager des mesures budgétaires significatives pour ces territoires. Par là même, il rejette sa part de responsabilité sur les populations jugées comme en partie responsables de leur propre enfermement. La réduction des inégalités doit mettre en débat des principes articulés pour construire une école plus démocratique et sortir d’une politique de l’éducation prioritaire qui, de plus en plus, abandonne l’objectif de compenser un désavantage social pour céder la place à celui de faire en sorte que les élèves des zones d’éducations prioritaires réussissent aussi bien que les enfants de milieux plus favorisés. Les politiques menées se satisfont de résultats équivalents dans les classes sociales défavorisées, qu’elles se situent en éducation prioritaire ou non, abandonnant l’ambition d’un haut niveau d’éducation et de culture pour tous et toutes.

Les politiques menées se satisfont de résultats équivalents dans les classes sociales défavorisées, qu’elles se situent en éducation prioritaire ou non, abandonnant l’ambition d’un haut niveau d’éducation et de culture pour tous et toutes.

Ce glissement politique relève que les politiques d’éducation prioritaire sont désormais plus une politique de gestion sociale de l’inégalité et de la ségrégation scolaires qu’une politique affirmée de lutte contre leurs principales causes : les processus sociaux et scolaires qui les produisent (van Zanten, 2001).

L’école donne plus à ceux qui ont le plus

Notre école est à l’image de notre société, inégale. Elle donne plus à ceux qui ont plus, contrairement à ce que l’on pourrait penser. La discrimination positive actuelle n’est qu’un écran de fumée lorsque l’on regarde de plus près quelques chiffres :

  • Depuis 2006, la part des étudiants issus des milieux populaires dans l’enseignement supérieur (hors écoles de commerce et d’ingénieurs) a baissé de 35 % à 31 % alors que ceux issus des classes favorisées a progressé de 32% à 36%. Les études longues concernent de moins en moins les enfants des zones d’éducation prioritaire et coûtent à l’État le double des scolarités courtes. Les enfants des milieux favorisés bénéficieront de plus de moyen sur leur scolarité.
  • En 2010, l’Etat a dépensé 47 % de plus pour former un élève du second degré parisien que pour former un banlieusard de Créteil ou de Versailles.
  • En 2012, la scolarisation à deux ans n’est que de 5% dans le département de la Seine-Saint-Denis, 13,6% au niveau national (MEN, 2011) et de 20% dans les départements bretons.
  • Piketty et Valdenaire montrent (2006) que dans les 249 collèges Ambition Réussite, ceux qui scolarisent les collégiens soumis aux plus grandes difficultés scolaires, le nombre moyen d’élèves par classe est de 21,2 alors qu’il est de 24,6 dans les collèges ordinaires, soit 3,4 élèves en moins par classe. La  recherche de Piketty et Valdenaire (2006) montre que cette différence n’est pas sans effet sur les apprentissages mais devrait être supérieure pour réduire l’écart de compétences entre les élèves de l’EP et les autres élèves.
  • Est-il juste d’allouer une indemnité à des collègues donnant 6h de cours à des classes de plus de 35 élèves, sans prévoir par exemple le même avantage pour les enseignants de lycée REP avec classes de 30 et plus ? (Pb lycées et REP).

La lutte contre les inégalités devient une urgence. Un tel projet nécessite des mesures d’urgence combinées  qui agissent à la fois au niveau des structures (carte scolaire, nombre d’élèves par classes…) en mettant en œuvre une réelle discrimination positive.

La lutte contre les inégalités devient une urgence. Un tel projet nécessite des mesures d’urgence combinées  qui agissent à la fois au niveau des structures (carte scolaire, nombre d’élèves par classes…) en mettant en œuvre une réelle discrimination positive.

Ce choix au niveau des politiques scolaires ne peut se dispenser d’un regard critique sur les politiques de l’emploi, du logement et les choix de la carte scolaire qui accentue d’autant plus ce processus. Si l’école ne peut pas tout, elle peut a minima éviter de les accroître. La réforme structurelle doit bien entendu se penser en articulation avec les pratiques enseignantes nécessitant une formation initiale et continue conséquente.