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Faut-il se résoudre à ce que professeur d’EPS soit un métier d’homme ?

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Entretien avec Cécile Ottogalli réalisé par Claire Pontais

Les filles sportives se considèrent moins sportives que les garçons et pensent que le sport n’est pas un métier … tels sont les enseignements d’une recherche initiée par le SNEP-FSU et le Centre EPS & Société en partenariat avec des chercheurs.ses qui ont voulu comprendre pourquoi – alors que les filles sont de plus en sportives – le nombre de filles en STAPS ne cesse de diminuer depuis 20 ans (moins de 30% en 2018, contre 43% dans les années 90).

Entretien avec Cécile Ottogalli, pilote de cette recherche 1 qui interpelle toute la profession ainsi que l’institution.

Moins de filles en Staps !! Le SNEP-FSU lanceur d’alerte !

CP : Pourquoi avoir mené cette enquête ?

Cécile Ottogalli : D’abord pour combler un vide : pourquoi la sous-représentation des filles en Staps n’est-elle pas interrogée comme elle l’est dans les filières scientifiques et techniques (40% d’étudiantes visé pour 2020), alors même que les injonctions ministérielles font de la parité un objectif ?

Comprendre les choix d’orientation des élèves, nécessite de ne pas les isoler des environnements sociaux qui les produisent. Les étudier, c’est envisager toute la complexité prenant en compte le poids de l’histoire (socialisations familiales, scolaires, sportives, intériorisation de rôles et stéréotypes) et de l’avenir (possibilité dans le marché du travail), ainsi que les enjeux identitaires (comment je me projette au-delà de ma représentation actuelle)

Les filles se perçoivent moins sportives que leurs camarades hommes, même lorsque leur moyenne en EPS ou leur investissement sportif est identique à celui des garçons.

Loin d’investir l’ensemble de ces mécanismes, notre enquête s’est focalisée sur : quelles sont les représentations des lycéens et lycéennes sur la filière STAPS et sur les qualités nécessaires pour y réussir ? Diffèrent-elles en fonction du sexe ? Comment les élèves justifient-ils leurs voeux d’orientation en Staps ou pas ? Sont-ils encouragés ou pas ? Les données sociologiques (sexe, situation géographique, réussite scolaire, sportivité des élèves, niveaux d’étude, profession et sportivité des parents) ont été prises en compte. Nos résultats sont issus de 918 réponses, garçons et filles de terminale en 2018 (dont 76% de bac généraux). 84,53% n’ont pas formulé de voeu vers les STAPS et 8,17% ont classé STAPS en voeu 1 (3,8% de filles, 13,4% de garçons).

Vous avez étudié le profil scolaire et sportif de tous les répondant.es. Un écart de représentations de la sportivité semble important entre filles et garçons

C.O. : Concernant les résultats scolaires, nos résultats confirment des données connues. Les filles se disent un peu plus en réussite scolaire que les garçons. Cependant, leurs moyennes en EPS sont nettement moins élevées (80,62% des garçons déclarent une moyenne supérieure à 14 contre 59,4% des filles).

L’idée que « le sport ne serait pas un métier » domine surtout chez les filles

Concernant la sportivité, 49% des garçons se considèrent 2 comme très sportifs contre 19% des filles. 32% déclarent une pratique intense (plus de trois fois par semaine) contre 12% des filles. Néanmoins, et c’est un résultat très intéressant, à fréquence de pratique égale, les garçons sont plus nombreux à se considérer comme très sportifs. (85% contre 65% des filles). De même pour la pratique ponctuelle : 12,2% des garçons se considèrent encore comme « très sportifs », contre 1% seulement des filles. On relève donc une perception très différenciée de sa propre sportivité entre les filles et les garçons. Conjointement, les garçons semblent la surestimer quand les filles tendent à se sous-estimer.

Les représentations de la filière STAPS différent-elles selon les garçons et les filles ?

C.O : Et bien ce n’est pas la variable la plus significative pour distinguer les représentations ! Très massivement, l’idée selon laquelle les étudiant.es viennent en STAPS pour faire du sport (ou être sportif) et pour devenir professeur d’EPS persiste dans l’imaginaire de la plupart des élèves malgré une importante diversification des formations, des contenus et des débouchés en STAPS depuis plus de 30 ans.

Face à cet imaginaire, force est de constater que les filles ne se distinguent pas des garçons. Alors que la variable sexe n’apparaît pas comme significative dans l’analyse des représentations de la filière STAPS, c’est la sportivité des élèves qui influence les représentations.

Ainsi, les sportifs/ves expriment significativement leur intérêt pour les contenus scientifiques de la formation et les apprentissages possibles (corps, science, physique, activité, anatomie, muscle, santé, …) en STAPS, quand les élèves en difficulté en EPS (moyenne entre 6 et 9) perçoivent significativement les STAPS via des exigences physiques, sportives et scolaires élevées (avec un fort déterminisme lié aux capacités physiques).

Par contre, la question « pourquoi n’as-tu pas choisi la filière STAPS ? » est davantage impactée par l’assignation de sexe des élèves. L’idée que « le sport ne serait pas un métier » domine (47,7%) surtout chez les filles, en particulier celles ayant des parents diplômés et/ou très sportifs. Plusieurs explications sont possibles : soit les filles ont incorporé la dévalorisation sociale des métiers du sport, soit la ségrégation sexuée à l’oeuvre dans les métiers du sport, soit le fait qu’elles peuvent prétendre à mieux sur le marché du travail. Ce résultat est important. Il traduit que la formation STAPS n’est pas une filière suffisamment prestigieuse et suffisamment enviable, plus encore pour le groupe des filles que celui des garçons.

Que peuvent faire les professeurs d’EPS pour faire évoluer cette situation ?

Tout d’abord, prendre conscience que les représentations entre lycéennes et lycéens varient davantage selon l’expérience sportive que du fait de leur sexe. Cela bouscule la croyance que le sexe est sur-déterminant quand il s’agit de sport. Ensuite, que celles et ceux qui se considèrent non- sportifs ont une image inaccessible des STAPS. Cela constitue indirectement une double barrière pour les filles. En effet, les filles se perçoivent moins sportives que leurs camarades hommes, même lorsque leur moyenne en EPS ou leur investissement sportif est identique à celui des garçons. De plus, elles se projettent plus difficilement dans ce champ d’études

du fait d’une appréhension plus négative des métiers du sport et des débouchés professionnels. Stratégie d’optimisation de leur capital scolaire ou stratégie de renoncement face aux inégalités d’accès et de traitement dans les métiers du sport, l’étude ne permet pas de le dire. Pas plus qu’elle ne permet, pour l’heure, de mesurer l’impact du niveau de diplôme, de la catégorie socio-professionnelle ou de la sportivité des parents.

Mais au regard de ces premiers résultats exploratoires, les enseignant.es d’EPS ont un rôle important à jouer :

  • pour favoriser la pratique sportive des filles et leur permettre d’évaluer objectivement leurs capacités. Comme en sciences, les filles intériorisent, au fil de leur socialisation, un sentiment de déconsidération qui les empêche de briser le plafond de verre à l’oeuvre dans cette discipline.
  • pour informer jeunes et parents sur la pluralité, les contenus et débouchés des formations en STAPS
  • pour visibiliser des figures emblématiques au coeur des processus d’identification, d’où l’intérêt d’avoir des équipes EPS mixtes.

Ces pistes de travail s’insèrent dans un projet plus vaste d’émancipation, d’accès à la culture et à l’université, ainsi qu’une revalorisation du métier d’enseignant et des métiers du sport. Chercheur.ses, SNEP-FSU et Centre EPS & Société n’ont plus qu’à s’en emparer !

Résultats complets de l’enquête : cliquer ici

Notes :
  1. Les résultats de cette recherche ont été exposés par Cécile Ottogalli et Mary Schirrer (MCF à l’Université de lorraine) au colloque du SNEP-FSU, novembre 2018.[]
  2. Réponse à la question : « te considères-tu comme… très sportif, moyennement sportif ».  []