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Les droits culturels à l’aune de l’éducation artistique

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Article rédigé par Marion Chopinet

Les politique éducatives portant sur l’enseignement artistique à l’école sont-elles toujours une garantie du respect des droits culturels des élèves?

Dans un entretien à France Inter le 8 mai 2020 puis pour le JDD le 10 mai, J.-M. Blanquer, ministre de l’Education Nationale, affirme : « cette reprise de mai-juin nous permet d’expérimenter des modalités de fonctionnement, nécessairement mixtes, entre présence à l’école et enseignement à distance. Un groupe de travail va réfléchir aux usages numériques, au travail en petit groupe, à la place du sport et de la culture, que je souhaite développer… Nous devons aussi travailler avec les collectivités locales sur la réorganisation de l’espace, l’articulation scolaire et péri­scolaire. C’est l’occasion de moderniser le système éducatif » 1

On pourrait se satisfaire de voir la culture placée au cœur des réflexions du ministre quant à la modernisation du système éducatif qui est prônée. Depuis le début de son mandat en effet le ministre de l’Education nationale n’a eu de cesse d’affirmer l’importance de la culture et de l’éducation artistique. Mais quelle culture ? Quelle éducation artistique ? Pour quel.le.s élèves et avec quels moyens ?

« La culture est par définition multiple, plurielle, faite de toutes les pratiques, les usages, les coutumes, les traditions, mais aussi les savoirs, les connaissances, les visions du monde, les croyances, les arts, les techniques que les êtres humains ont créés, accumulés et qui se transmettent depuis des millénaires. La culture porte l’histoire des êtres humains.

Elle permet à chaque enfant de se développer, de se transformer, de devenir un.e adulte, de s’épanouir. La culture et ses valeurs fondent les ciments de nos liens humains et de nos sociétés. Conçue ainsi, la culture est un outil décisif d’émancipation. » 2

C’est dans cette acception la plus large possible, qui ne la réduit pas à une somme de connaissances ou de savoirs, mais qui l’associe aussi à des pratiques et à l’évolution possible de ces pratiques, que la culture peut être émancipatrice.

La France a ratifié deux engagements internationaux majeurs concernant les droits culturels : La Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention de l’U.N.E.S.C.O sur la diversité culturelle. Ce droit culturel est introduit dans l’amendement n°614 à l’article 28 de la loi sur la loi N°2015-991 promulguée le 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (N.O.T.R.e) et qui est censé renforcer le rôle et les compétences des Régions en matière de développement économique et d’aménagement du territoire en attribuant de nouvelles compétences aux régions et aux collectivités territoriales.

La France affirme et revendique son souci du respect des droits culturels et c’est donc aussi dans le cadre de l’affirmation de ces droits qu’il faut penser et analyser les politiques menées en matière d’éducation artistique, mais aussi en lien avec ce rôle renforcé des collectivités territoriales.

Pour Patrice Meyer-Bish, les droits culturels désignent « les droits, libertés et responsabilités pour une personne, seule ou en groupe, avec et pour autrui, de choisir et d’exprimer son identité et d’accéder aux références culturelles, comme à autant de ressources nécessaires à son processus d’identification. » 3

Parce qu’il fait partie intégrante des droits de l’homme et renvoie à une définition large de ce qu’est la culture, parce qu’il implique une participation à la vie culturelle et donc un rôle actif du citoyen et de la citoyenne dans son rapport à la culture, le droit culturel semble répondre à un besoin fondamental de l’être humain et constitue un rouage essentiel de la démocratie. Il détermine la capacité de tout individu d’être auteur ou co-auteur d’une œuvre, de donner sens au monde et de mettre en dialogue la multiplicité des points de vue pour développer un enrichissement culturel partagé.

L’éducation artistique apparaît comme un maillon essentiel de la défense des droits culturels. Favorisée et fortement développée à partir des années 1980, elle est volontiers mise en avant dans les discours politiques, mais qu’en est-il dans les faits ? Dans quelle mesure et à quelles conditions l’éducation artistique, telle qu’elle est pensée par les politiques éducatives successives depuis les années 1980, garantit-elle le droit culturel ?

Parce qu’il fait partie intégrante des droits de l’homme et renvoie à une définition large de ce qu’est la culture, parce qu’il implique une participation à la vie culturelle et donc un rôle actif du citoyen et de la citoyenne dans son rapport à la culture, le droit culturel semble répondre à un besoin fondamental de l’être humain et constitue un rouage essentiel de la démocratie.

Dans cette perspective, l’enseignement du théâtre à l’école paraît particulièrement éclairant. Le théâtre est, étymologiquement, « lieu d’où l’on voit ». Il est en, ce sens fortement associé, depuis l’Antiquité grecque, aux enjeux politiques de la cité. Ce lien entre théâtre et politique voire cette injonction faite au théâtre d’être politique, met l’enseignement du théâtre à une place particulière au sein de l’éducation artistique.

Ainsi, cette analyse permettra de traiter conjointement l’enjeu politique de l’art à l’école, l’instrumentalisation qui peut en être faite de même que la diversité des politiques éducatives et leur inscription ou non dans le champ des droits culturels.

La genèse : les années 1980, mythe et réalité d’un « âge d’or » de l’éducation artistique.

Comme le rappelle Jean-Claude Lallias, « depuis plus de quarante ans maintenant, à travers de nombreuses expériences et projets, l’Education nationale a fait une place au théâtre dans les activités dites « complémentaires » de l’école, et il a toujours été un domaine dynamique de l’action culturelle et du partenariat avec les artistes. Il a même trouvé une reconnaissance symbolique en devenant « discipline d’enseignement artistique » par la mise en place au lycée (série L) d’un baccalauréat spécialisé théâtre, conjointement encadré par des enseignants et des artistes professionnels » 4

En 1983, un protocole entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la Culture a entraîné la création des options théâtre, démarrées de façon expérimentales en 1984 et généralisées en 1986. Cette association entre les deux ministères, à l’origine de la création des options, semble marquer une réconciliation entre culture et éducation, entre culture professionnelle et éducation populaire. Ces options reposent localement sur un partenariat noué entre un établissement scolaire et une structure culturelle. Elles impliquent un enseignement en co-intervention assuré par un.e artiste et un.e enseignant.e.

Ce qui est mis en place alors, sous l’impulsion d’artistes et d’enseignant.e.s, souvent héritier.ère.s des principes de la démocratie culturelle, formulés notamment en 1968, et soucieux de renouveler, voire d’inventer de nouvelles manières d’enseigner, apparaît comme la réalisation d’une utopie et bénéficie par ailleurs d’un contexte politique favorable qui voit, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, augmenter fortement le budget de la culture.

L’enseignement du théâtre dans le cadre des options « lourdes », qui deviennent ensuite les options obligatoires puis les spécialités, associe la théorie, la pratique et la fréquentation des œuvres. Les cours se partagent entre cours théoriques, permettant d’initier les élèves à la dramaturgie, de leur donner des éléments relatifs à l’histoire du théâtre et de la création théâtrale, et pratique du théâtre. Il s’agit ici à la fois de faire acquérir aux élèves une culture théâtrale, mais aussi de leur apprendre à aller au théâtre, de les former à ce que les instructions officielles appellent « L’Ecole du spectateur »5 L’élève doit apprendre à décrypter les signes de la représentation, à les analyser, à donner son avis et à l’argumenter. L’objectif est de créer un espace d’échange au sein de la classe autour de la réception d’une œuvre d’art.

Cette connaissance de l’œuvre d’art se complète par l’expérience que les élèves font de la création avec les cours de pratique. Ces derniers sont dispensés à la fois par un.e enseignant.e diplômé.e de l’Education nationale et par un artiste professionnel.le, comédien.ne ou metteur.e en scène, le plus souvent. Ces séances de pratique permettent aux élèves de créer une œuvre, de monter un projet théâtral qui est ensuite montré dans le cadre du lycée voire au théâtre. C’est ce qu’offre aux élèves le ZEF-Scène nationale à Marseille, dans le cadre du dispositif « Plateaux ouverts »6, qui permet aux jeunes de se produire sur la scène du ZEF, mais aussi de répéter sur place avec les équipes techniques et artistiques du théâtre. Ainsi leur projet fait œuvre : il est présenté sur la scène d’un « vrai théâtre », comme ils aiment à le dire.

Accès des jeunes à la culture par la fréquentation des œuvres et l’acquisition de connaissances théorique, pratique artistique leur permettant d’expérimenter le processus de création, de créer une œuvre, on pourrait penser que l’éducation artistique a trouvé sa juste place, en réconciliant pratique professionnelle et éducation populaire. Elle s’inscrirait dès lors dans le champ du droit culturel. Cet enseignement développe la créativité des élèves et leur rapport sensible au monde, en référence à une pratique culturelle professionnelle. Il établit une relation entre des enseignant.e.s, des artistes et des élèves, sans imposer la transmission d’une culture dominante, mais à travers le dialogue que l’œuvre permet de nouer entre eux. Les élèves sont eux-mêmes acteurs dans cette relation, par la création.

Il est cependant curieux de réserver le bénéfice d’une formation pratique et créative aux seuls « littéraires » alors que les compétences et les qualités que le théâtre développe vont bien au-delà du seul champ disciplinaire « Français ». Les pays anglosaxons et d’Europe du Nord considèrent l’expression dramatique et le théâtre comme une formation de base, quelle que soit l’orientation professionnelle future (scientifique, juridique, littéraire, commerciale ou technique…). Ce cloisonnement et cette restriction de l’accès à l’enseignement artistique, en France, au lycée se résorbe partiellement dans la décennie suivante par la création des options dites « légères » ou options facultatives, ouvertes à tou.te.s les élèves des voies générales et technologiques, mais les élèves des lycées professionnels en reste exclu.e.s.  Nous touchons ici une première limite de ce projet, qui apparaît par ailleurs très isolé dans le mouvement des politiques culturelles mises en œuvre à la même période.

En effet, dès 1981, Jack Lang, Ministre de la Culture octroie à la culture une fonction nouvelle, celle de juguler les effets et les causes de la crise économique. Cet engagement explique l’augmentation du budget de la Culture de 74%. Mais dès lors, il va falloir justifier cet investissement énorme et pour cela, la culture se voit soumise aux méthodes d’évaluation tirées des techniques du management. Ces méthodes s’appliqueront aussi aux options artistiques, co-financées par les ministères de la Culture et de l’Education Nationale.

Se développe, à partir de cette période, l’impératif culturel qui confie au ministre de la culture la mission de « permettre à tous les français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité toute entière ; de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde »7 Si cet impératif culturel laisse d’abord penser à une réconciliation entre création et animation, comme c’est le cas avec la création des options artistiques ou du développement de certaines démarches (on peut penser au travail d’Armand Gatti à Toulouse ou à celui d’Augusto Boal avec le théâtre de l’opprimé), la période est avant tout marquée par une fragilisation et une marginalisation des projets socioculturels portés par l’éducation populaire en raison du désengagement financier de l’Etat. L’éducation populaire se trouve fortement fragilisée par l’importance et la puissance du dispositif mis en place par le ministre de la Culture et son administration, dispositif dont semblent faire partie les options théâtre à travers l’implication des artistes.

La soumission de l’éducation artistique à une logique marchande.

La logique marchande, qui s’impose dans le domaine de l’action culturelle dès les années 1980, se poursuit pendant les décennies suivantes et vient contaminer les dispositifs d’éducation artistique dans l’enseignement secondaire. Cette soumission de l’éducation artistique à la logique économique fragilise et met en danger les dispositifs existants.

Parallèlement aux options de spécialités, d’autres dispositifs d’éducation artistique voient le jour dans les années 1990 et 2000, mais ce qui frappe avant tout c’est le caractère aléatoire de ces « dispositifs complémentaires » (Ateliers, Options dites « légères » au Lycée, Classes à PAC, Jumelages, Résidences d’artistes…) et des moyens qui leur sont accordés, comme des variables d’ajustement au gré des politiques et des gels budgétaires.

A partir de 2012, avec l’élection de François Hollande, l’éducation artistique et culturelle semblent reprendre une place sur le devant de la scène. Ainsi, les nouveaux ministres de la Culture et de l’Education nationale, Aurélie Filipetti et Vincent Peillon, imposent les Parcours d’Education Artistique et Culturelle (PEAC). De l’école au lycée, le parcours d’éducation artistique et culturelle a pour ambition de favoriser l’égal accès de tous les élèves à l’art à travers l’acquisition d’une culture artistique personnelle. Rendu obligatoire par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 8, il fait l’objet d’une circulaire interministérielle 9, publiée le 9 mai 2013, qui en précise les principes et les modalités, et d’un arrêté du 7 juillet 2015 10 qui fixe les objectifs de formation et les repères de progression à la mise en œuvre de ce parcours. Le PEAC repose sur les enseignements, les projet et le partenariat. Il a pour objectif d’assembler et d’harmoniser ces différentes expériences et d’assurer la continuité et la cohérence de l’éducation artistique et culturelle sur l’ensemble de la scolarité de l’élève, de l’école au lycée.

Avec l’élection d’E. Macron, en 2017, et la nomination de J.-M. Blanquer au ministère de l’Education Nationale et de F. Nyssen au ministère de la Culture, les PEAC sont réaffirmés. Dès leur arrivée au gouvernement, les deux ministres affichent une volonté de travailler ensemble et de renforcer l’éducation artistique à l’école. Cette politique est mise en œuvre par la circulaire du 10 mai 201711 et la Charte pour l’éducation artistique et culturelle 12 affichée dans tous les établissements scolaires. Lors d’une conférence de presse commune, tenue au Musée Rodin, le 17 septembre 2018, les deux ministres définissent les bases de ce qu’ils appellent « A l’école des arts et de la culture » 13. S’y retrouvent tous les fondamentaux de l’éducation artistique et culturelle telle qu’elle est pensée depuis le mandat de F. Hollande à savoir l’association de connaissances, d’une pratique artistique et de la confrontation aux œuvres.

Ces politiques affichent une volonté de garantir les droits culturels des jeunes et de promouvoir l’accès de tous à la culture. Mais derrière le vernis des discours, de nombreuses difficultés demeurent et nous sommes loin d’une culture émancipatrice.

Les obstacles rencontrés pour mettre en œuvre un PEAC ambitieux pour les élèves sont nombreux. Tout d’abord, les budgets sont très faibles et en diminution (quelques centaines d’euros pour une classe APAC ou un atelier artistique) ce qui ne permet pas de multiplier les rencontres avec les artistes (au mieux 55€/h).  L’approche reste donc très superficielle : il s’agit de faire, pour dire on a fait, mais sans ambition réelle.  Ensuite, l’éloignement géographie  pose problème car les structures culturelles sont parfois très éloignées des établissements scolaires et le partenariat est ainsi rendu difficile. Cet éloignement géographique renforce le problème financier

car tout déplacement des élèves et des artistes devient très onéreux. Comment parler dans ce cas d’EAC ambitieuse pour tous alors que gouvernement renforce les inégalités territoriales scolaires. Enfin, l’éducation artistiques (hors options et spécialités) ne disposent pas d’horaires spécifiques. Ce sont donc aux enseignants de le réaliser sur leurs heures de cours. Quelle valeur le gouvernement peut bien prétendre accorder à l’EAC sans moyens horaires accordés ? Encore une fois il y a un décalage entre le discours institutionnel et la concrétisation dans les établissements. L’approche du gouvernement est bien récréative puisqu’elle se situe hors parcours scolaire dans la plupart des situations.

Autre exemple assez représentatif de la politique menée, la mise en place du Pass-Culture en juin 2018. Il s’agit d’une application mobile qui réunit les offres culturelles à proximité et est créditée de 500 euros pour tous les jeunes de 18 ans. On y trouve un offre culturelle exhaustive : des propositions de sorties (places de concert, théâtre, musée, cinéma…), des cours de pratiques artistiques, des jeux vidéo (sans doute « labellisés »), du tourisme culturel (comme, par exemple, une semaine d’archéologie ou la découverte d’un métier d’art), des abonnements à la presse numérique ainsi qu’à des plates-formes de musique ou de vidéos en ligne. «  Aucune offre ne sera exclue, insiste F. Nyssen. Tous les acteurs culturels publics ou privés, physiques ou numériques, sont les bienvenus sur le Pass » 14. Ce Pass, dont le coût est estimé à 500 millions d’euros est par ailleurs financé à 80% par le secteur privé. Si l’algorithme de l’application est sensé favoriser le secteur public, on comprend bien l’intérêt qu’y trouve le secteur privé.

En août 2018, dans sa tribune au journal Le Monde, Robin Renucci ainsi que huit représentants d’associations culturelles, analysent : « La mise en place du Pass Culture, « à crédits constants du ministère […] entérine la volonté manifeste de ce gouvernement, appuyée sur les industries culturelles, de subventionner la consommation individuelle plutôt que de réinvestir le bien public. 15 »

Les budgets alloués à l’éducation artistique n’ont presque pas augmenté depuis la mise en place des options dans les années 1980. La création des nouveaux dispositifs, dont les failles sont nombreuses, ne se fait plus qu’à moyens constants et donc au prix d’une diminution constante depuis 2012 des subventions octroyées jusque-là aux options et spécialités artistiques. Les deux ministères, à travers les DAAC et les DRAC, assument totalement ces choix et les justifient : les enseignement en options ou en spécialités coûtent cher et ne concernent que de petits groupes d’élèves. Or les financements doivent être justifiés par le nombre d’élèves impliqués dans le dispositif ou le projet. L’éducation artistique est ainsi soumise à la logique du chiffre. Et cela alors même que l’articulation de ces PEAC à une option ou une spécialité semble être un moyen pour lui donner sens et cohérence sur le long terme 16.

Les réformes Blanquer du lycée et du baccalauréat fragilisent par ailleurs encore davantage les options facultatives et les spécialités artistiques dans les lycées. Les options artistiques facultatives ne bénéficient plus que du contrôle continu et non plus d’une épreuve finale au baccalauréat. Leur importance en terme de coefficient en est fortement réduite et le travail des élèves est bien moins valorisé. La fragilisation des options facultatives, alors que leur mise en place constituait un véritable élargissement de l’accès à un enseignement artistique, est un retour en arrière important en ce qui concerne la garantie des droits culturels. Et ce d’autant plus que la spécialité « Arts », si elle n’est plus réservée aux seuls littéraires, entre désormais en concurrence avec toutes les autres spécialités et notamment les mathématiques, absentes du tronc commun. Choisir une spécialité avec les réformes Blanquer, ce n’est plus choisir quelque chose « en plus », mais « à la place de ». La spécialisation se fait par le choix d’abandonner certains enseignements. Dans la logique sélective et élitiste du nouveau lycée, les élèves comprennent vite qu’il vaut mieux faire des maths que du théâtre.

L’articulation de la réforme du lycée avec le dispositif Parcoursup qui permet d’affecter les futur.e.s bachelier.ère.s dans le supérieur, impose aux élèves des choix stratégiques de spécialités en fonction de leur orientation post-bac et donc de leur avenir professionnel. Dans cette logique marchande, l’enseignement artistique est renvoyé au fait qu’il n’est pas utile sur un plan économique, il ne peut avoir qu’une dimension récréative. Il est donc logiquement exclu des enseignements fondamentaux. Quand, dans ses entretiens récents 17, le ministre de l’Education nationale accorde une place centrale à la culture à l’école, il évoque immédiatement le rôle des collectivités territoriales et le périscolaire. La logique est claire : la place de la culture relève du périscolaire, de ce qui est hors de l’école et du temps scolaire, c’est un loisir, une pratique récréative et non un enseignement fondamental. Les moyens alloués seront de plus ceux des collectivités territoriales. L’Etat, les ministères de l’Education nationale et de la Culture, se désengagent financièrement.

Enfin, le projet 2S2C (Sport, Santé, Culture, Civisme) 18 confirme la casse organisée de l’éducation artistique. Alors que le sport est associé, dans une logique plus que contestable, à la santé, les « 2C », associent curieusement culture et civisme. Peu après son élection en 1981, F. Mitterand affirmait : « la culture n’est pas une marchandise comme les autres », il accordait certes à la culture une place particulière, mais il la réduisait dans le même temps à une marchandise.

le projet 2S2C (Sport, Santé, Culture, Civisme) confirme la casse organisée de l’éducation artistique.

« Ainsi de la culture qui ne saurait être une marchandise, voici l’heure où elle ne saurait être une marchandise comme les autres », souligne Olivier Neveux. « Dès lors, tout projet culturel n’a d’autres issues que la création de valeurs économiques ou citoyenniste » 19. La logique des 2S2C prend tout son sens.

Subventionner la consommation individuelle, favoriser le secteur privé, soumettre l’éducation artistique et culturelle à une démarche de projets renouvelés chaque année et pour des financements dérisoires, accentuant de ce fait les inégalités territoriales et sociales : la politique éducative menée depuis 2012 concernant l’éducation artistique s’inscrit dans une logique marchande. L’éducation artistique doit représenter un investissement rentable, toucher de nombreux élèves, en faire de bon citoyens. Nous sommes loin ici des enjeux posés par les droits culturels et de la définition d’une culture émancipatrice.

Comment penser l’Education artistique aujourd’hui ? Quels combats pour garantir les droits culturels ? 

« Je m’appelle Baptiste Amann. Je suis un ancien élève de l’option théâtre du lycée Frédéric Mistral à Avignon.

Nos heures de pratique se déroulaient à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon, magnifique lieu de résidence pour les écrivains de théâtre, et structure essentielle pour la représentation de l’écriture dramatique contemporaine en Europe. 

Ce fut une expérience incroyable, un choc, une révélation. 

En fin de terminale je tentais le concours de l’ERACM, animé par la nécessité de faire du théâtre un métier. Je rentrai dans cette école à tout juste 18 ans.

Aujourd’hui je suis comédien, auteur, metteur en scène. Je suis directeur artistique de ma compagnie implanté en Aquitaine, et artiste associé au théâtre du Merlan à Marseille, au TNBA à Bordeaux et à la Comédie de Béthune. Mes pièces sont publiées aux éditions Théâtre Ouvert-Tapuscrits et jouées sur les plateaux de nombreux CDN et scènes nationales. Je vis de mon métier. Ce n’est pas pour me faire valoir que j’établis cette liste, mais pour souligner le fait que sans l’option théâtre je n’en serai pas là. Je ne ferai certainement pas de théâtre car je suis d’un milieu où l’idée ne pouvait pas apparaître d’elle-même. Il fallait être « initié », sans quoi le passage d’un monde à l’autre n’aurait jamais eu lieu. Et ce sont bien les professeurs et artistes intervenants Jacques Roubaud, Géraldine Tellène, Nathalie Fillon et Christian Giriat, à qui je rends aujourd’hui hommage, qui ont eu ce rôle de passeurs essentiels. 

Ils ont, et ce n’est pas une formule c’est un fait, changé ma vie ».

Des « passeurs essentiels », c’est l’expression que Baptiste Amann emploie pour décrire le travail des enseignants et artistes, quand on l’interroge sur ce qu’ont représenté pour lui ses années de lycéens en option théâtre. Ces enseignants et artistes transmettent aux élèves des connaissances, les initient, leur ouvrent les portes d’un monde qui n’était pas le leur, a priori. De cela les jeunes se saisissent à leur tour, qu’ils deviennent artistes eux-mêmes ou non, là n’est pas l’essentiel, ils donnent une direction différente à leur vie.

Nombreux sont les témoignages d’anciens élèves d’options artistiques qui vont dans le même sens. C’est en cela, sans doute, que l’éducation artistique joue son rôle et peut se présenter comme garante des droits culturels.

Les politiques culturelles qui les fragilisent reprochent aux options artistiques leur dimension élitiste : elles ne concernent qu’un petit nombre d’élèves. C’est sous ce prétexte qu’elles sont mises en concurrence et remplacées par des projets moins coûteux et touchant un public plus large, soit disant moins élitistes. Ils sont surtout plus rentables en termes marchands. Le parcours de Baptiste Amann, loin d’être un cas isolé, souligne au contraire le rôle émancipateur socialement de ces options, malheureusement trop peu nombreuses. Il serait nécessaire de les multiplier, d’en favoriser l’accès au plus grand nombre d’élèves, par exemple en renforçant

les liens avec les associations de quartiers. C’est en effet parce qu’il a été initié aux arts du cirque dans une association de son quartier, que Baptiste Amann découvre la pratique artistique et l’envie de poursuivre en option théâtre. C’est dans les établissements scolaires des quartiers populaires, là où les jeunes sont moins « initiés » par leur famille à ce monde, que les options artistiques sont les plus menacées. Sans initiation préalable, les élèves prennent moins le risque d’une option qui paraît inutile. C’est donc dans ces établissements que les effectifs diminuent le plus, entraînant leur possible fermeture, là où paradoxalement elles sont le plus nécessaires.

Un mouvement de contestation des réformes Blanquer rassemble de nombreux.ses enseignant.e.s et artistes. Dans le domaine du théâtre, il a donné naissance, en février 2019, à l’association Face-Public(s) qui regroupe des enseignant.e.s d’option et spécialité théâtre, des artistes et des directeur.trice.s de structures culturelles. C’est avec une pétition demandant l’abrogation des réformes Blanquer, que cette association affirme la nécessité des enseignements artistiques au lycée. Ce texte connaît un large écho national 20.

D’autres initiatives ont vu le jour afin de penser la place de l’art à l’école et de promouvoir un autre projet pour l’éducation artistique.

Dans ce contexte de contestation des réformes, l’ANRAT a organisé, en novembre 2019, un colloque international portant sur l’enseignement du théâtre, intitulé « Comment (re)penser l’enseignement du théâtre dans les différents contextes d’éducation ? » 21.

Le syndicat des enseignants d’EPS (SNEP-FSU) a organisé en mars 2020 le festival « Osons les Arts » 22 et lance un « Appel pour le développement de l’enseignement des arts à l’école et la démocratisation de leur accès à toutes et tous »23 .">https://festivalosonslesarts.snepfsu.fr/lappel/ )) .

La nécessité de défendre et de promouvoir l’éducation artistique est grande et largement partagée, les pistes diverses. Il ne s’agit plus de convaincre de leur aspect bénéfique. Il faut échapper à tout prix à la logique marchande, résister aux politiques destructrices en opposant une autre logique que celle de la rentabilité.

Il n’est pas du ressort de l’éducation artistique de résoudre les injustices, les inégalités sociales, elle ne peut y parvenir. Elle ne changera pas le monde et ne doit pas en être condamnée pour autant. Penser l’éducation artistique et la place de l’art à l’école, c’est aussi imposer, contre les politiques actuelles, une école dont le but n’est pas de former de futurs travailleurs. C’est penser, pour la jeunesse, la perspective d’une vie qui n’est pas seulement centrée sur le travail salarié et qui accorde un temps au repos, au loisir, à la culture. C’est apprendre que l’on peut se tromper, changer d’avis ou d’idée, recommencer, inventer autre chose, chercher, imaginer, bref, créer.


[23]

Notes :
  1. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/05/11052020Article637247793278211407.aspx []
  2. « Art et culturalisme, approche culturelle », Actes du Festival « Osons les arts en EPS » / SNEP FSU – mars 20 Intervention de Sylvaine Duboz, enseignante EPS : https://festivalosonslesarts.snepfsu.fr/les-actes/[]
  3. MEYER-BISH, Patrice, « Les Droits culturels enfin sur le devant de la scène ? », L’Observatoire- N°33, mai 2008, p.10, www.cairn.info/revue-l-observatoire-2008-1-page-9.htm []
  4. J.-C. Lallias, « Une éducation par l’art, accessible à tous, dès l’enfance », http://www.anrat.net/pages/textex-references?page=2 J.-C. Lallias est membre l’ANRAT, dont il a été Vice-Président (Association nationale de recherche et d’action théâtrale) et du Collectif « Pour l’Education, par l’Art », Directeur et concepteur des Collections nationales pour l’Education nationale, crées en partenariat avec le Ministère de la Culture pour développer la place du théâtre dans le milieu scolaire[]
  5. http://www.anrat.net/pages/ecole-du-spectateur []
  6. https://www.lezef.org/fr/saison/17-18/plateaux-ouverts-59 []
  7. Les politiques culturelles en France, (dir. P. Poirrier), p.390. []
  8. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027677984&dateTexte=&categorieLien=id []
  9. https://www.education.gouv.fr/bo/13/Hebdo18/MENE1311045C.htm?cid_bo=71673 []
  10. https://www.education.gouv.fr/bo/15/Hebdo28/MENE1514630A.htm?cid_bo=91164 []
  11. https://www.education.gouv.fr/bo/17/Hebdo24/MCCB1712769C.htm?cid_bo=118371 []
  12. https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Domaines_artistiques/95/2/Charte_EAC_Octobre_2018_1026952.pdf []
  13. https://www.education.gouv.fr/l-ecole-des-arts-et-de-la-culture-11723 []
  14. https://www.lemonde.fr/culture/article/2018/06/26/francoise-nyssen-devoile-les-modalites-du-pass-culture_5321238_3246.html []
  15. RENUCCI (Robin), « La politique présidentielle affaiblit délibérément le ministère de la culture », Le monde, 24 août 2018. []
  16. Exemple du PEAC du collège A. Daudet à Alès qui s’appuie sur l’existence de l’AS danse []
  17. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/05/11052020Article637247793278211407.aspx []
  18. Publié au Bulletin Officiel n°19 du 7 mai 2020 []
  19. O. Neveux, Contre le théâtre politique, « La dé-politique culturelle », La Fabrique éditions, 2019, p.42 et 44. []
  20. https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/guetteurs-tocsin/pour-la-sauvegarde-des-enseignements-artistiques-au-lycee-86 []
  21. https://res.cloudinary.com/anrat/image/upload/v1571315961/Colloque_Enseignement_the%CC%81a%CC%82tre_6_au_8_nov_Grenoble_Programme_de%CC%81taille%CC%81_iqnvnb.pdf []
  22. https://festivalosonslesarts.snepfsu.fr/accueil-festival/ []
  23. []