Le SNEP-FSU a organisé des journées de travail le 17 et 18 mars sur la construction d’épreuve nationale pour le DNB et le bac en EPS. Une séquence était centrée sur la question des épreuves et des barèmes identiques ou différents pour les filles et les garçons. Pour continuer le débat et la réflexion, nous avons posé des questions à Claire Pontais (CP) du SNEP-FSU.
Q : De plus en plus de personnes semblent remettre en cause la différenciation entre les filles et les garçons ; quelle règle commune pourrait-on adopter pour les épreuves d’évaluation ?
CP : Avant de répondre à cette question, il convient de bien poser le problème, pour éviter de rester dans la pensée dominante et perpétuer les inégalités. L’EPS a travaillé depuis de nombreuses années sur les différences entre Filles et Garçons. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que le sport distingue – depuis son origine – les filles et les garçons, et ce, sur des bases biologiques : « les filles sont « naturellement » moins fortes, moins puissantes que les garçons (plus fragiles, plus souples, etc..) », en conséquence, non seulement on ne peut pas les comparer, mais certains sports doivent être interdits aux femmes ». Aux arguments médicaux se sont ajoutés des arguments de bienséance (De Coubertin « Les JO doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devant être, avant tout, de couronner les vainqueurs »). Les femmes, au cours de l’histoire n’ont pas cessé de se battre pour avoir le droit de pratiquer comme les hommes. A la même époque, G. Hébert disait déjà « La jeune fille qui serait développée et entraînée d’une façon aussi complète et poussée que le jeune homme pourrait se mesurer à peu près à égalité avec lui dans l’ensemble des épreuves ».
Q : Le sport s’est tout de même démocratisé… et pourtant des différences persistent
CP : Effectivement, plus les femmes ont eu accès au sport, plus elles ont montré que les différences dites « naturelles » étaient en fait une question d’entrainement. Au point qu’aujourd’hui, les écarts de performance entre femmes et hommes au haut-niveau sont minimes : 5,5 % en natation, le plus grand écart étant en saut en longueur (18,8 %). Dans de nombreux sports mixtes, des femmes gagnent. Exemple : le record de la traversée de la Manche a la nage est détenu par une femme.
Évidemment, quand on regarde les statistiques pour la population ordinaire, très majoritairement, les hommes sont plus performants que les femmes. Ce qui s’explique par le fait que les hommes sont culturellement plus sportifs que les femmes. Donc, quand on compare une population d’hommes et de femmes, en fait on compare une population fortement sportive d’un côté (hommes) et une population moyennement sportive de l’autre (femmes). On ne compare donc pas des hommes et des femmes, mais des sportifs et des non sportives ! On croit comparer du « naturel » et en fait on compare du « culturel ».
Q : Si je suis ton raisonnement, cela veut dire qu’il faudrait donc comparer la sportivité – les acquisitions culturelles – plutôt que le sexe ?
CP : oui, parce que la réalité, c’est qu’il y a plus d’écarts à l’intérieur de la catégorie homme et à l’intérieur de la catégorie femme, qu’entre les hommes et les femmes (concrètement, il y a plus d’écart entre un basketteur et un gymnaste qu’entre un basketteur et une basketteuse). De même, dans nos classes ou dans le sport scolaire, il y a plus de différence entre un sportif et un non sportif, qu’entre un sportif et une sportive.
La réalité, c’est qu’il y a plus d’écarts à l’intérieur de la catégorie homme et à l’intérieur de la catégorie femme, qu’entre les hommes et les femmes
Donc, à l’École, si en EPS, on cessait de différencier a priori les filles et les garçons, et que l’on changeait de logiciel pour voir des sportifs-ves et des non sportifs-ves, cela éviterait d’assigner les élèves à leur sexe (même si majoritairement on sait que l’écart existe). On ne dirait plus : « LES filles sont comme-ci, LES garçons sont comme ça » ; on dirait, « il y a des élèves filles et garçons qui font comme ci et d’autres élèves filles et garçons qui font comme ça ». En effet, malgré une socialisation encore très différenciée, la bi-catégorisation filles-garçons n’est jamais le seul facteur explicatif. Il faut le croiser avec le niveau social aisé/défavorisé, le rapport au savoir scolaire positif/négatif, identifier les différences selon les APSA, etc…. Laisser croire que le critère Filles-Garçons est surdéterminant comme par exemple le rattrapage de notes au bac, contribue à garder l’ordre établi ou à cacher un projet politique non avouable (désportiviser l’EPS au nom des filles).
Q : oui, mais tu le dis, la socialisation des filles et des garçons est encore très différenciée, ne doit-on pas en tenir compte ?
CP : Il est impossible de ne pas en tenir compte, mais nous devons tout faire pour ne pas la renforcer. En premier lieu, nous devons cesser de parler d’activités à « connotation féminines ou masculines » au profit d’APSA majoritairement pratiquées par des hommes ou majoritairement pratiquées par des femmes. Les APSA contiennent toutes un problème à résoudre qui joue sur deux pôles contradictoires : attaque/défense en sport co, risque/maîtrise en gym, vitesse/lecture en CO, etc. Ces deux pôles étant également empreints de stéréotypes sexués.
Les contenus proposés doivent donc contenir ces deux aspects de manière équilibrée, non pas pour accorder autant d’importance au masculin et au féminin (approche encore binaire), mais tout simplement pour permettre à tous les élèves d’être confronté·es et de résoudre le problème fondamental posé par l’APSA.
De même, en termes de socialisation différenciée, nous devons avoir en tête que le « plafond de verre » mis en évidence par les études de genre existe aussi en EPS, avec une grande différence entre la sportivité objective et sportivité subjective. A temps de pratique égal (sportivité objective), les filles se disent toujours moins sportives que les garçons. (cf. recherche Femmes et STAPS). Et il est très probable que notre façon d’évaluer y contribue.
Pour finir, on ne peut que constater que plus on avance vers l’âge adulte, plus les choses se figent, notamment pour les filles et les garçons non-sportifs-ves.
Q : Finalement devons-nous envisager des barèmes ou des épreuves différenciées pour contribuer à l’égalité entre les sexes ?
CP : Pour éviter les pièges de la bi-catégorisation, je plaide pour des épreuves communes aux filles et aux garçons d’une part, et d’autre part, pour que l’on réfléchisse au maximum à des barèmes, ou à un système de brevets (comme il y a des étoiles, des ceintures dans certaines APSA…) qui permettraient d’éviter la bi-catégorisation filles-garçons.
Au collège, et dans toutes les classes sans certification, je ne vois pas ce qui empêche de dire aux élèves : « Tu as fait telle performance ou telle production, tu te situes à tel endroit dans l’échelle commune (barème, brevet.)… Ton projet, c’est de battre ton record ou de faire un exploit plus difficile, tu passeras ainsi au niveau supérieur ». Grâce à un repère commun à toutes et tous, on pourra ainsi constater avec les élèves que si ce sont des garçons qui font les meilleures performances, des filles aussi font de bonnes performances, et que tout ça n’est donc pas une affaire de fille ou de garçon mais de sportivité.
Je plaide pour des épreuves communes aux filles et aux garçons d’une part, et d’autre part, pour que l’on réfléchisse au maximum à des barèmes, ou à un système de brevets qui permettraient d’éviter la bi-catégorisation filles-garçons
Cette approche permettrait également de donner des perspectives de progrès aux non-sportifs-ves. Bien entendu, l’échelle commune doit être débattue, expérimentée par la profession, de façon à avoir l’évaluation la plus pertinente possible. Comme toute norme, cela ne peut pas se décréter du jour au lendemain et ne sera jamais réglée de manière définitive. Ce sujet mériterait une véritable recherche universitaire collaborative.
Pour les classes de lycée et la certification, à cette étape, il faut dans un premier temps éviter tout dogme, ce qui est malheureusement fréquent en EPS, et prendre le temps de la réflexion et de l’expérimentation. Une des pistes de travail serait de penser les épreuves et les barèmes en priorité pour les élèves qui n’ont que l’École pour apprendre (ce que le SNEP-FSU affirme dans ses déclarations globales sur l’École), quitte à mettre des très bonnes notes aux élèves qui ont beaucoup appris en dehors de l’École (ce qui ne serait que justice si on compare à d’autres disciplines). Mais là, on n’est plus sur la question filles-garçons, mais sur la question du rapport évaluation/notation dans le système scolaire, ce qui est un autre débat.