La réforme engagée par le gouvernement s’appuie sur un rapport de Terra Nova qui avance la perte de la valeur des diplômes sur le marché du travail et sur l’importance des stages en entreprises. 3 questions à Sigrid Gerardin, co-secrétaire générale du SNUEP-FSU pour comprendre.
Bruno Cremonesi : C’est une réforme qui concerne les plus pauvres de notre société ?
Sigrid Gerardin : Les lycées professionnels concernent essentiellement les enfants des classes populaires du monde rural ou des grandes villes. Le lycée professionnel a participé à la massification scolaire. Depuis l’émergence du bac professionnel en 1985, Il n’y a pas eu de réelle démocratisation scolaire. Si l’on regarde la répartition sociologique dans les 3 types de lycée, le lycée professionnel reste la voie de relégation scolaire et concentre les élèves des milieux les plus défavorisés.
Depuis une vingtaine d’années, Il n’y a plus du tout d’effort de démocratisation par les pouvoirs publics. Avec la réforme du bac pro en 3 ans en 2009, les élèves ont perdu une année complète d’enseignement.
A cause de la transformation de la voie professionnelle de Blanquer, les élèves ont perdu 1/3 des enseignements dont une grande majorité des disciplines générales.
Les disciplines professionnelles ont aussi été réduites. La mise en place en seconde des familles de métiers conduit à repousser la spécialisation en classe de première. Par exemple les métiers de bouche regroupent les bouchers, les traiteurs, les poissonniers qui sont des métiers tout de même très différents.
B.C : Dans le rapport réalisé par Terra Nova, un nouveau souffle pour l’enseignement professionnel, il est indiqué que la forme du lycée pro a conduit à une perte de la valeur marchande du bac pro. Est-ce que tu partages ce constat ?
S.G : Un diplôme a toujours une valeur dans le rapport employé et employeur. Chaque métier est présent dans des conventions collectives. On ne paye pas de la même façon dans les conventions collectives des branches professionnelles, un bachelier, une personne qui a un BTS ou une personne qui n’a pas de diplôme. Les diplômes ont une valeur sur le marché du travail. La volonté du gouvernement c’est de s’attaquer aux diplômes pour les découper en blocs de compétences, qui n’ont aucune valeur sur le marché du travail par rapport aux branches professionnelles.
Cela permettra à l’employeur de décider le salaire en dehors de toute convention collective. S’il n’y a plus de diplôme, il ne paye plus en fonction des qualifications mais en fonction du talent ou du mérite.
Un jeune qui en classe de 3ème veut devenir boulanger pourrait passer un bloc de compétences sur une tâche métier unique et être embauché dans une grande surface sans jamais avoir une vision globale du métier.
En prétextant que les diplômes n’avaient plus de valeurs marchandes, ils se sont attaqués à réduire la formation. Les élèves sortent avec des compétences réduites et en retour cela permet de justifier une nouvelle baisse en réduisant leur formation à des blocs de compétences.
B. C : Formation en entreprise ou formation en atelier ?
S.G : Ils sont affectés sur un poste de travail et souvent sur des tâches subalternes au métier. Par exemple, lorsqu’ils sont en stage chez « Feu vert », ils font toute la journée des tâches répétitives de montage et démontage de pneus, ce qui permet aux salariés de faire autre chose. Lorsqu’ils sont en lycée pro, ils vont embrasser la globalité des compétences pour les futurs métiers. Ils ont 3 ans pour apprendre l’ensemble des compétences liés à leur futur métier. Ils reçoivent un client, remplissent un document, diagnostiquent la tâche et vont réaliser la réparation accompagnée par l’enseignant.
C’est le vieux modèle d’apprentissage, on apprend sur le tas.
Nos élèves qui rentreront sur le marché du travail, auront plus de difficultés car ils n’auront vu que quelques tâches liées à leur métier. C’est une assignation à résidence sociale, ils auront de grandes difficultés à s’ouvrir vers de nouvelles tâches ou à aller vers une autre entreprise.