L’école du futur est l’expression utilisée par Emmanuel Macron pour présenter son projet d’école en début d’année scolaire 2022. Alexandre Majewski analyse les soubassements idéologiques qui fondent cette école. Il montre que « le pragmatisme des solutions locales » conduit surtout à accentuer les inégalités.
Lors de son discours face aux recteurs et rectrices fin août 2022, le président Macron a présenté sa feuille de route du quinquennat en matière de politique éducative. Les différentes mesures annoncées, qui s’inscrivent dans la continuité des transformations opérées par JM. Blanquer, permettront de construire son projet d’“école du futur”. Il apparaît dès lors indispensable d’analyser ces mesures pour comprendre le projet éducatif de l’actuel locataire de l’Elysée et ainsi mieux s’y opposer et le combattre. C’est le sens de cet article.
École du futur, quesaco1?
Fidèle à son style “jupitérien”, E. Macron a tenu dès le début de son 2nd mandat à informer les recteurs et rectrices de la poursuite de sa politique éducative dans le but de la mettre en œuvre sur l’ensemble du territoire. Le ministre de l’Éducation Nationale Pap Ndiaye nouvellement nommé n’occupait alors qu’un rôle de figurant. C’est suffisamment inédit pour être mentionné !
Deux niveaux de scolarité sont particulièrement ciblés : le lycée professionnel et le collège. Le président a ainsi rappelé son engagement de campagne d’augmenter de 50 % les temps de stage en entreprise dans la voie professionnelle réduisant d’autant l’exposition aux savoirs disciplinaires. Quant au collège, il devrait davantage s’ouvrir vers l’extérieur en instaurant, dès la 5ème, une 1/2 journée hebdomadaire de découverte des métiers et de l’entreprise et le dispositif ‘’2h de sport’’ sur le temps périscolaire. Macron a également plaidé pour une meilleure continuité CM2/6ème sans détailler. Il a enfin insisté sur sa volonté de généraliser l’expérience Marseillaise qui donne un pouvoir accru aux chef·fes d’établissement ou aux directeur·trices d’école pour recruter les équipes pédagogiques et concevoir des projets locaux adaptés aux publics scolarisés…
S’inscrivant dans la continuité de la politique menée par le ministre JM.Blanquer, ce ciblage est tout à fait cohérent. En effet, les réformes du lycée, du bac, de l’entrée à l’université via ‘’parcoursup’’ et du 1er degré ont marqué l’action gouvernementale lors le 1er quinquennat. Il faut donc s’atteler aujourd’hui à la transformation des 2 autres pans du service public d’éducation pour faire advenir un projet éducatif global appelé pompeusement “école du futur”.
Nous rappelons ici que les réformes du 1er quinquennat ont été mises en œuvre malgré l’opposition forte et massive du corps enseignant et des usager·es du service public. La remise en cause du caractère national de l’examen du baccalauréat, la complexité du parcours de formation lycéen dépendant de choix stratégiques et souvent cornéliens de spécialités, la concurrence exacerbée entre établissements et disciplines, la corrélation entre accès au supérieur et lieux d’étude secondaire provoqueront de la colère, de l’indignation et des manifestations (cf les mobilisations de mai-juin 2019 allant jusqu’à la rétention des notes aux bacs). La multiplication des évaluations nationales en CP et CE1, les injonctions pédagogiques autour des fondamentaux et le dispositif “bouger 30’” exaspéreront, voire même révolteront les enseignant·es du 1er degré. Malheureusement, rien n’y fera, les controversées modifications du primaire, du lycée et de l’accès à l’université se mettront en place au détriment de nombreux élèves et en particulier de ceux et celles issu.es des milieux populaires, milieux les plus éloignés des codes élaborés par l’institution.
Employabilité et liberté locale, une école au service de l’entreprise
“L’école du futur” de Macron n’est pas une idée neuve. Bien au contraire. Depuis 40 ans, les gouvernements successifs orientent leurs actions éducatives vers une adéquation entre formation et emploi. École et économie sont alors étroitement liées. L’employabilité comme “capacité individuelle à acquérir les compétences nécessaires pour trouver ou conserver un emploi, s’adapter à de nouvelles formes de travail” devient la norme scolaire.
Il n’est alors pas étonnant que le programme présidentiel sur le système éducatif insiste sur la nécessité de réduire les temps d’acquisition des savoirs disciplinaires au profit des temps d’apprentissage en entreprise. La voie professionnelle répondrait ainsi à la volonté du MEDEF ou autre force patronale de formation de travailleur.euses corvéables, adaptables et soumis.es aux impératifs économiques. Dans le même ordre d’idée, les collégien·nes pourraient subir l’amputation d’heures de cours et de soutien disciplinaires au profit de visites de chefs d’entreprise en établissement, de stage professionnel et de découverte de métier ou encore de parcours éducatifs (citoyen, avenir, santé…).
Ajoutons à cette norme de l’employabilité, le caractère hégémonique dans les objectifs et contenus d’enseignement de la notion de ‘’compétence transversale ou socio-comportementale’’ qui relègue au rang d’accessoire les savoirs disciplinaires. En EPS par exemple, les acquisitions dans les APSA ne sont que des supports pour contribuer aux domaines du socle en collège ou encore la minoration des savoirs techniques sportifs et artistiques s’opère au profit de compétences méthodologiques et sociales en lycées. La vision minimaliste et utilitariste de l’école se déploie et sa visée émancipatrice induite par les acquisitions de savoirs “libres et désintéressés” (Condorcet) s’éloigne toujours plus.
L’École du futur apparaît dès lors comme une école inégalitaire ou de renoncement à la lutte contre les inégalités qui s’accroissent pourtant, minimaliste et utilitariste inscrite dans une société socialement injuste, écologiquement irresponsable et du chacun pour soi.
En outre, les politiques éducatives sont elles inspirées par le New public management lui-même caractérisé par l’autonomie accrue des établissements et la multiplication des expérimentations menées en local, la méritocratie, la constitution de hiérarchies intermédiaires, l’éloignement de ce qui est cœur du métier ou la dépossession du travail. Cette organisation managériale a certes déjà fait l’objet de nombreuses analyses et critiques par le passé, mais elle revêt une acuité accrue suite aux propos du président Macron qui reprennent tous les ingrédients énoncés plus haut en poussant encore le curseur. Or, les effets d’une telle politique mise en œuvre dans différents pays et notamment de l’OCDE sont bien connus. Deux études nous alertent. Hattie (2009), à partir de l’analyse de plus de 800 méta-analyses représentant plus de 50 000 études, a conclu à l’absence d’effet de l’autonomie des établissements sur la réussite des élèves. Et une récente étude Suédoise (Lundhal-2019) a montré que la politique de dérégulation de l’organisation scolaire initiée dans les années 80 a favorisé une augmentation des inégalités de compétences entre élèves.
L’École du futur apparaît dès lors comme une école inégalitaire ou de renoncement à la lutte contre les inégalités qui s’accroissent pourtant, minimaliste et utilitariste inscrite dans une société socialement injuste, écologiquement irresponsable et du chacun pour soi.
La résistance s’impose !
Cette modeste analyse de “l’école du futur” pensée et voulue par E. Macron montre les enjeux et les dangers qui pèsent sur notre système éducatif. Il s’agit alors collectivement et massivement de s’opposer à l’asservissement de l’école aux impératifs économiques et de faire des propositions alternatives. Il est en effet urgent de contester l’évolution néolibérale de l’école, de se mobiliser et de proposer les éléments fondamentaux d’une école démocratique et émancipatrice inscrite dans la perspective d’une société solidaire, écologique et égalitaire. Le SNEP et la FSU interpelleront les élu·es et parlementaires sur la base de leurs mandats et revendications (scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, non hiérarchisation des savoirs, culture commune, “plus et mieux d’école”…). Ils feront également de l’appel à la grève du 18 octobre contre les transformations mortifères de la voie professionnelle une première étape de la construction d’une mobilisation de l’ensemble des personnels de l’éducation.
- quesaco ou qu’èsaquo: adverbe interrogatif signifiant ‘’Qu’est-ce que c’est.’’[↩]