« Faut-il conserver, notamment au collège, le principe de classe très hétérogène ? […] Est-ce véritablement rendre service à nos élèves et à nos professeurs ? Est-ce que inéluctablement ça ne conduit pas à tirer tout le monde vers le bas ? » 1
Que nous disent les travaux de recherche travaillant la question de la constitution des classes ? Les processus à l’œuvre ne sont pas aussi « intuitifs » et emplis de « bon sens » que ce que l’ex ministre de l’Éducation Nationale veut bien laisser penser…
5 % de différence des résultats aux évaluations de CE2 entre les élèves scolarisé·es dans les écoles les plus favorisées socialement, ou les plus défavorisées
La Revue Éducation et Formations n°100, dresse une revue de littérature sur la question des éléments de contexte qui peuvent influer sur la réussite des élèves et leurs parcours scolaires 2
En première approche, et c’est essentiel, dans le domaine de la recherche « la thématique des effets de pairs exige une grande prudence » 3 et n’est donc pas la solution miracle avancée politiquement face à la question des inégalités scolaires. Plus encore, « les effets de pairs liés à la composition sociale et scolaire apparaissent souvent faibles au regard des enjeux de politique éducative ».
En ce sens, nous vous renvoyons à la
Contribution du SNEP-FSU à l’écriture d’un projet éducatif alternatif de la FSU, qui émet des revendications concernant l’organisation du système éducatif, la définition de ce que les élèves doivent apprendre, et les conditions de réaffirmation de personnels concepteurs. Autant de thématiques qui constituent un puissant moteur à la réussite scolaire de celles et ceux qui n’ont que l’École pour apprendre.
Une taille de classe réduite de deux élèves a plus d’effet sur la réussite scolaire que de passer d’une classe avec 0 % d’enfants [de milieux] favorisés à 100 % d’enfants [de milieux] favorisés
Ainsi, et à titre d’exemple, Thomas Piketty et Mathieu Valdenaire (2006) observent une différence de l’ordre de 5 % des résultats aux évaluations de CE2 entre les élèves scolarisé·es dans les écoles les plus favorisées socialement, ou les plus défavorisées. Ils jugent cet effet faible au regard de celui d’une réduction de la taille des classes puisque selon eux, « une taille de classe réduite de deux élèves a plus d’effet sur la réussite scolaire que de passer d’une classe avec 0 % d’enfants [de milieux] favorisés à 100 % d’enfants [de milieux] favorisés ».
Être scolarisé·e dans une école parmi les plus favorisées socialement produit un impact au moins 2 fois supérieur pour des élèves les plus faibles par rapport au plus performant·es à l’entrée au CP
Une fois ce rappel, et ces précautions prises quant aux apports des travaux de recherche, il n’en demeure pas moins des convergences, puisque « la plupart des recherches des économistes concluent que la composition socio-économique ou scolaire des pairs a une influence sur les résultats scolaires des élèves ». Plus encore, « ces effets semblent plus forts à l’échelle de la classe que de l’établissement ». En cherchant à hiérarchiser ces deux niveaux d’analyse (socio-économique et niveau scolaire), qui restent corrélés, « plusieurs recherches concluent que c’est le niveau scolaire des pairs qui explique avant tout les progressions des élèves ».
Le niveau scolaire des pairs est donc un facteur déterminant de la progression scolaire. Plus encore, les travaux s’accordent autour du fait que cette progression par effet d’entraînement est plus forte en général chez les élèves de niveaux plus faibles, et plus précisément en fin de lycée qu’en primaire. Ainsi, Laurent Davezies (2005) établit qu’« être scolarisé dans une école parmi les plus favorisées socialement, plutôt que parmi les plus
défavorisées, produit un impact deux à trois fois supérieur pour des élèves qui sont parmi les plus faibles que pour ceux les plus performants à l’entrée au CP » . Béatrice Boutchenik et Sophie Maillard 4 appuient sur cette influence, en classe de terminale : « L’effet d’une hausse du niveau scolaire des pairs est cinq fois supérieur pour les élèves initialement les plus faibles ».
Regrouper les meilleurs élèves entre eux n’apparaît pas bénéfique pour ces bons élèves eux-mêmes
Concernant les élèves en difficulté, et défavorisé·es, il semblerait que la présence d’un niveau supérieur au leur, les favorise. Qu’en est-il des élèves les plus en réussite scolaire?
Une fois encore, la prudence est de mise : « Lorsque l’on considère les effets de pairs affectant les élèves d’un bon niveau scolaire, les résultats sont très divergents ». En effet, certains travaux rapportent que « la présence de camarades de haut niveau scolaire bénéficie le plus nettement aux élèves qui sont eux-mêmes d’un haut niveau scolaire » 5 tandis que pour Béatrice Boutchenik et Sophie Maillard (op. cit.) , « La présence dans la classe de bons élèves ne bénéficie pas forcément à ces mêmes bons élèves ; il est même désavantageux pour eux de se retrouver dans une très bonne classe ».
Ainsi, pour eux, l’appartenance à une très bonne classe est « défavorable aux meilleurs élèves, relativement à une classe équirépartie ». Plus encore, « l’effet pour les élèves du dernier quartile est d’autant plus négatif que la proportion d’élèves de leur propre type augmente, et que les pairs les plus faibles deviennent rares ». Entre autres facteurs d’explications, les auteurs mentionnent, pour ces très bons élèves, l’importance dans leurs facteurs de réussite de
l’identification et la conscience de leur position relative au sein de la classe qui s’en trouve fragilisée dans un contexte plus sélectif et concurrentiel, qui agirait négativement sur la confiance en soi, et en ses propres capacités 6. Ainsi, de manière assez contre-intuitive, ces auteurs annoncent : « regrouper les meilleurs élèves entre eux n’apparaît pas bénéfique pour ces bons élèves eux-mêmes ».
Des limites toutefois aux effets d’entraînement entre les élèves de niveaux les plus éloignés
Une limite est toutefois à apporter à ces effets d’entraînement positif des élèves faibles, par les élèves les plus en réussite. En effet, plusieurs auteurs mettent en avant les conséquences négatives d’une hétérogénéité à l’amplitude trop grande sur les élèves les plus faibles. Ainsi Caroline M. Hoxby et Gretchen Weingarth (2005) témoignent du fait qu’« en fin d’enseignement élémentaire et au collège, les 10 % d’élèves situés au bas de la distribution des scores […] pâtissent d’une élévation trop forte du niveau de la classe ». Mary Burke et Tim Sass (2013 ) parviennent à un résultat similaire : « une hausse de la part des très bons élèves[…] est préjudiciable aux élèves les plus faibles[…] alors qu’elle bénéficie aux élèves moyens. » Ces résultats viennent corroborer sans doute, le ressenti des enseignant·es, qui peinent à faire progresser les élèves les plus en difficulté, aux lacunes les plus grandes, et dans le même temps les élèves les plus en réussite dans leurs classes.
Mais alors, quelle organisation pour traiter les inégalités et difficultés scolaires ?
Romuald Normand, professeur des Universités à l’Université de Strasbourg, propose lui aussi une revue de la littérature internationale sur les regroupements d’élèves.Interviewé par Le café pédagogique 7 il souligne également le rôle fondamental de la politique éducative globale.
En effet, pour lui, pour que les groupes de niveau portent vraiment leurs fruits et permettent de traiter la question des inégalités et difficultés scolaires, de nombreuses conditions doivent être pensées et organisées : « formation des enseignants, flexibilité des groupes dans le temps et dans l’espace, collaboration des équipes pédagogiques pour définir ensemble les groupes, les séquences pédagogiques et évaluer régulièrement
les acquis cognitifs des élèves comme les effets du regroupement… » Porteuses d’un service public ambitieux, d’une confiance dans l’expertise et le travail en équipe des enseignant·es, ces conditions viennent pourtant heurter le modèle d’École néolibéral imposé à marche forcée par les ministres successifs.ves de l’Éducation Nationale avec pour conséquence certaine d’accentuer encore les inégalités scolaires.
- Gabriel Attal, Ministre de l’Éducation Nationale, Discours Unis pour Notre École, 5/10/2023[↩]
- Les camarades influencent-ils la réussite et le parcours des élèves ? Les effets de pairs dans l’enseignement primaire et secondaire, Olivier Monso, Denis Fougère, Pauline Givord, Claudine Pirus, dans la revue Éducation et Formations n°100, La réussite des élèves, contextes familiaux sociaux et territoriaux , 2019[↩]
- Dans une acception assez large, « dans le champ de l’éducation, un effet de pairs correspond à l’influence des caractéristiques des camarades, ou de leur comportement, sur le résultat et le comportement des élèves. »[↩]
- Béatrice Boutchenik et Sophie Maillard, Élèves hétérogènes pairs hétérogènes, Quels effets sur les résultats au baccalauréat ?[↩]
- Caroline M. Hoxby, Gretchen Weingarth, 2005 – Mary Burke et Tim Sass, 2013[↩]
- Caroline M. Hoxby et Gretchen Weingarth, 2005 évoquent un phénomène de Invidious comparison, pouvant être traduite par Comparaison odieuse[↩]
- Le Café pédagogique, Groupes de niveau : Qu’en dit la recherche internationale ? Lilia Ben Hamouda, janvier 2024[↩]