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Le temps des enfants, ou le temps des inégalités ?

Derrière les discours sur les rythmes scolaires se cachent des inégalités sociales profondes. Ce texte interroge les enjeux politiques et éducatifs liés à l’organisation du temps de l’enfant.

La « Convention citoyenne sur les temps de l’enfant » est centrée sur la question : « Comment mieux structurer les différents temps de la vie quotidienne des enfants afin qu’ils soient plus favorables à leurs apprentissages, à leur développement et à leur santé ? » Dès le premier paragraphe, la question du temps est orientée par le rythme et pose comme une évidence le surmenage. Il est ainsi précisé : « Ce constat est renforcé par les témoignages fréquents d’élèves et de familles signalant un mal-être croissant lié à la surcharge des journées scolaires. Ce rythme intensif limite leur accès aux activités sportives, artistiques ou culturelles, essentielles à leur épanouissement. »

Ces éléments introductifs nous invitent à quelques précautions avant de proposer des pistes qui semblent prometteuses sur la question du temps de l’enfant.

Enfance de classe

En France, la rapporteuse des droits de l’enfant indique que chaque année, près de 5 millions d’enfants ne partent pas en vacances.

Au quotidien, 71 % de ceux issus de familles pauvres ne sont inscrits dans aucune activité sportive, associative ou culturelle, contre seulement 38 % des enfants des familles les plus riches. Ces inégalités produisent des différences dans les temps mais impactent aussi leur mode de socialisation. L’ouvrage de Bernard Lahire 1 est, de ce point de vue, très éclairant : les enfants vivent dans la même société, mais pas dans le même monde. Les conditions matérielles d’existence (logement, loisirs, accès à la culture, soutien scolaire) varient fortement selon les milieux sociaux et influencent directement les apprentissages et le développement des enfants.

Les enfants entrent à l’école avec des prédispositions langagières et des modes de pensée plus ou moins éloignés des attendus scolaires. Les enfants des classes moyennes ont une scolarisation de leur espace quotidien, au sens où ils sont habitués à ce qu’on leur pose des questions dont les parents ont la réponse… Une forme de scolarisation de la vie quotidienne qui conduit nécessairement à ce que les enfants des classes plus favorisées arrivent entraînés et initiés aux modes de pensées attendus.

Stéphane Bonnery 2 , à ce sujet, dit : « Il faudrait inverser la question de la fatigue, en se demandant pourquoi certains enfants sont moins fatigués à la fin de la journée, ils sont entrainés et après l’école ils font école de piano, école d’art et de rugby ».

Le temps et l’école

La réflexion sur le temps scolaire se fait essentiellement avec une volonté de réduction de ce temps pour augmenter le temps libre. Temps libre qui sera nécessairement investi de façon très différente en fonction de l’origine sociale. Libérer du temps revient, en quelque sorte, à laisser chaque enfant décider d’aller faire non pas ce qu’il veut, mais ce qu’il peut faire, notamment compte tenu de ses contraintes économiques. Moins de temps à l’école conduira à un recentrage sur les disciplines fondamentales (math, français), reléguant dans un temps postscolaire les autres disciplines (dont EPS et art). François Bayrou évoque d’ailleurs dans sa lettre de saisine : « une surcharge des journées scolaires qui limite l’accès aux activités sportives, artistiques et culturelles, essentielles à leur épanouissement ». La lecture pourra facilement pointer la contradiction du premier ministre qui considère qu’il faudrait limiter les journées scolaires pour permettre un meilleur accès aux sports, aux arts et à la culture, qui sont des objectifs d’enseignement des programmes scolaires… sauf à considérer que ces disciplines ne sont pas réellement scolaires.

Cette réduction du temps aura une autre conséquence, comme l’indique Paul Devin de l’institut FSU 3 : « Réduire le temps, c’est au contraire privilégier un modèle essentiellement transmissif qui n’est efficace et suffisant que pour la part la plus favorisée des élèves. Les premières victimes d’une réduction du temps scolaire sont les élèves des milieux populaires, ceux qui ne disposent que de l’école pour apprendre. »
Autre contradiction : alors que le temps scolaire a été raccourci, on a ajouté des contenus – enseignement de l’anglais en primaire, éducation artistique, diverses « éducations à » : au développement durable, à la santé, à la sexualité, à la route… il devient impossible de tout traiter.

Cette réflexion sur le temps scolaire ne peut pas se faire en ignorant un fait qui pèse de plus en plus sur les élèves et les enseignant·es : le nombre d’élèves par classe. Il est facile d’imaginer que pour une même durée, la qualité du temps et son organisation, un groupe-classe de 15 élèves, de 25 ou de plus de 30 ne produit nécessairement pas les mêmes effets. Une fois encore, la question du temps et des rythmes joue la fonction « d’écran de fumée » pour ne pas poser les problèmes de fonds sur l’école et son coût.

Le projet politique qui se dessine semble assez clair, et Lucien Sève 4 le clarifiait dans un article qui garde toute sa force et son actualité : « Le don est l’adjudant idéologique d’une politique ségrégative dans une école à plusieurs filières ; le rythme est celui d’une stratégie d’éclatement dans un marché éducatif à plusieurs vitesses. »

Chaussée des lunettes du dessein politique, la modification du rythme apparait comme le cheval de Troie pour réduire le temps scolaire. Jules Lafontan 5, dans un long article, montre que le modèle sportif qui pense ces temps comme complémentaires le réalise surtout pour déconstruire le temps d’éducation sportive et artistique que représente l’EPS.

Notes :
  1. Lahire, B. (dir.). (2019). Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants. Paris : Éditions du Seuil.[]
  2. Bonnéry, S. (éd.). (2025). Temps de l’enfant, rythmes scolaires : vraies questions et faux
    débats. Paris : Éditions de la Fondation Gabriel Péri[]
  3. Quand l’intérêt de l’enfant est un alibi de la réduction budgétaire et de la privatisation du service public d’éducation… : https://www.cafepedagogique.net/2025/08/29/quandlinteret-de-lenfant-est-un-alibi-de-la-reductionbudgetaire-et-de-la-privatisation-du-servicepublic-deducation/[]
  4. Rythmes scolaires : SOS élitisme dans l’ouvrage coordonné par S. Bonnéry op cité[]
  5. Lafontan, J. (2013). Débat ouvert sur les arguments visant à fonder les opérations « rythmes scolaires » : Le cas de l’EPS et du sport. SNEP-FSU, décembre 2013. PDF en ligne[]