Par Bruno CREMONESI, Éric DONATE, Alexandre MAJEWSKI et Andjelko SVRDLIN
Le SNEP-FSU a pour vocation de replacer ces tests dans ce projet global et d’analyser l’EPS qu’ils contribuent à dessiner
L’EPS n’a pas été étrangère à la quantification. La table Letessier a été dans les années 1960 l’étalon de mesure des prestations sportives, avant d’être critiquée car « coupée de l’évolution de la société, dans laquelle le sport représentait une vague de liberté, de progrès, de plaisir » 1 et porteuse de problèmes d’égalité. Ces tests sont-ils un retour en arrière, ou s’agit-il d’une redéfinition de l’EPS ?
Un mouvement de fond au service des politiques austéritaires
Alain Supiot 2 évoque cette normalisation quantitative via le concept de Gouvernance par les nombres, comme « une utopie de la mise en pilotage automatique des affaires humaines ». Les progrès technologiques qui permettent captation, stockage et traitement de données, nourrissent cet imaginaire d’objectivation. Pourtant cette quantification est subjective et réductrice (cf. la moyenne et sa difficulté à rendre compte de la complexité). De plus, elle instrumentalise les chiffres récoltés en les transformant en objectifs, objectifs qui permettent ensuite une seconde dérive : conditionner les moyens attribués à l’atteinte de ces objectifs. Le glissement de Rendre compte par les chiffres à Conditionner les moyens à l’atteinte de résultats domine, et les mots dépense publique effacent ceux d’investissements publics. Il devient quasi impossible de véhiculer un autre imaginaire que celui d’économies, austérité, et rigueur.
Généralisation des « évaluations » de rentrée scolaire
Dans ce contexte, les évaluations de rentrée scolaire se généralisent dans le but affiché d’une photographie du niveau des élèves. L’EPS n’échappe pas à la règle sans provoquer de scepticisme quant aux trois tests que les enseignant·es en 6ème déploient sur la base du volontariat : Luc Léger, saut en longueur sans élan et 30 mètres plat. Pourtant deux autres mesures faisant, avec les tests, partie du projet de Continuité physique et sportive en primaire et au collège, présentés dans La Revue jeunesse santé (2023), éditée par le MEN ont, elles, été accueillies avec beaucoup plus de méfiance. En effet, elles masquent difficilement l’attaque contre le service public de l’EPS qu’elles constituent : 30’ d’APQ, 2 h de sport au collège.
Derrière des objectifs douteux, la redéfinition de la discipline
Cette même revue spécifie les objectifs des tests : Santé publique et lutte contre la sédentarité et l’inactivité, ainsi que Détection des profils à potentiel sportif avec orientation vers un cursus sportif. Cette communication grossière veut flatter l’égo de la profession comme trait d’union entre défi sanitaire et projet sportif d’élite. Pour autant, la lecture du guide Exploiter les évaluations des aptitudes physiques des élèves de 6ème, traduit une réalité moins glorieuse : pour les « décrocheurs sportifs », « Accompagner vers une pratique physique régulière en leur proposant des activités appropriées pour lutter contre la sédentarité » en vue « d’améliorer leur santé physique, mentale et sociale » et, dans le même temps, pour les « élèves à potentiel sportif », « faire prendre conscience de leurs aptitudes et leur proposer de les exploiter au mieux […], pour exceller, tout en veillant à préserver l’équilibre entre performance et bien-être » . Les tests font exploser le projet commun de notre discipline scolaire : « Ces évaluations peuvent contribuer à l’identification de besoins spécifiques chez les élèves permettant de leur proposer une « offre sportive » adaptée ». Comme si les évaluations diagnostiques courantes dans les pratiques professionnelles ne pouvaient pas réaliser cette analyse.
Aux uns, horizon de santé, savoirs fondamentaux de la condition physique via une activité physique « appropriée », aux autres horizons de performance, en apprenant à « exploiter » ses aptitudes. Pour tous projet commun de bien être… !
Les tests, partie d’un système
Pour le SNEP FSU, ces tests font système. À l’image de ce que nous écrivions dans le Bulletin national précédent au sujet du Projet de programme collège, ils participent de la mise à distance de « la référence incontournable à la culture sportive et artistique qui donne du sens aux apprentissages et fondent une culture commune. 3 » . Les précautions du Guide d’exploitation des tests sont en réalité explicites : « les tests s’articulent avec l’EPS sans que cette dernière ne soit dévoyée, la discipline conservant son identité et ses objectifs définis dans les programmes ». Tests ou programmes, le projet de développement de tous et toutes nos élèves et l’ambition d’apprentissages culturels des APSA sont une fois encore rognés. Roland Gori 4, nous mettait en garde dès 2011 : « Ce qui compte davantage que de donner le goût du savoir aux enfants, c’est de les entraîner à faire des évaluations scolaires ». « C’est un émiettement de la valeur symbolique de l’humain ».
- Pourvu qu’ils/elles aient des muscles, Andjelko Svrdlin, 2024[↩]
- Alain Supiot, La gouvernance par les nombres, 2015[↩]
- Tenir le cap des savoirs, Dossier projet de programmes EPS collège, Équipe pédagogique du SNEP FSU, Bulletin 1034 – Septembre 2025[↩]
- Entretien avec Roland Gori, Sport et plein air – Décembre 2012[↩]