Par Bruno CREMONESI, Éric DONATE, Alexandre MAJEWSKI et Andjelko SVRDLIN
Les tests ont été pensés autour de tâches normalisées, reproductibles, simples, en vue d’obtenir des résultats comparables à un instant T et dans le temps. Cette entrée en matière en classe de 6ème pour aussi restrictive qu’elle soit, et malgré les problèmes de stigmatisation et de comparaison qu’elle pose semble pouvoir trouver une légitimité : la bombe à retardement sanitaire que constitue le recul de la condition physique des élèves, la montée du surpoids, et la nécessité d’inverser les courbes. À considérer que les tests soient un outil adapté pour lutter contre l’inactivité des jeunes (cf. article « APSA »), que cache cette nécessaire reproductibilité d’année en année au motif de comparaison des résultats ?
Injonction contradictoire, entre liberté et prescription
Le Projet de programme collège, à l’image des programmes LGT et LP ne définit pas les savoirs attendus dans les APSA au niveau national, et laisse aux équipes pédagogiques la responsabilité de fixer ces savoirs, au nom de la liberté pédagogique, à l’échelle de l’établissement. L’Inspection Générale entend ainsi ne pas réduire les enseignant·es d’EPS à des applicateurs de programmes prescriptifs. Pour autant, concomitamment à ce dévoiement de la liberté pédagogique (la liberté pédagogique se situe bien dans la construction du chemin d‘accès au savoir, et non pas dans la fixation du savoir), l’institution se fait toujours plus injonctive et prescriptive sur des outils imposés sans concertation et qui façonnent les pratiques professionnelles : I-pack EPS, Santorin… et les tests !
Redéfinir le métier par les outils
Pour Frédéric Grimaud 1 , les outils du travailleur sont essentiels car ils encapsulent une culture collective professionnelle : « ce qui sert à l’ouvrier de « moyen » de faire son travail le définit davantage que l’objet même de ce travail ». Il y a donc en enjeu fort pour le politique en vue changer la nature du travail enseignant, d’en remanier les outils. Les tests participent de cette dépossession et réorientation des pratiques professionnelles comme en témoigne le Guide de passation des tests (DEPP) : calendrier d’évaluation, listing de matériel, timing des tâches et demande d’appliquer « strictement » les protocoles, avec « consignes orales à dire aux élèves » prérédigées, et remontée des données « standardisées »
Loin de la liberté pédagogique, c’est bien par le cadrage des outils, prescriptifs aux pratiques professionnelles, que le politique redéfinit le métier d’enseignant·e d’EPS dans une acception toujours plus étriquée. F. Grimaud insiste sur l’instrumentalisation des tests : « Le but inavoué de la logique des évaluations commence à se dévoiler », « l’objectif n’est pas tant de réguler ou rendre plus performant un système que de soumettre le travailleur à une prescription ».
- Frédéric Grimaud, Enseignants, les nouveaux prolétaires, 2024[↩]