Entretien avec Stéphane Bonnery, chercheur à Paris 8, qui vient de publier « Temps de l’enfant, rythmes scolaires : vraies questions et faux débats ».
Claire PONTAIS : Les rythmes scolaires sont-ils une question essentielle aujourd’hui ? Les enfants sont-ils vraiment plus fatigués qu’avant ?
Stéphane BONNERY : Les travaux de recherche depuis 50 ans montrent qu’il faut distinguer 2 choses.
D’un côté, derrière le débat mal formulé en termes de « rythmes » il y a de vraies questions : sur la fatigue de certains élèves, leur stress, leur démotivation scolaire, sur la possibilité d’avoir des loisirs épanouissants, sur la place envahissante des écrans dans les temps des enfants. Il faut prendre au sérieux ces questions, mais pour ce qu’elles sont : des conséquences du fonctionnement de l’école tel qu’il est impulsé depuis des décennies.
Or, de l’autre côté, ces constats sont systématiquement interprétés de façon biaisée. Les textes que j’ai réunis montrent que l’idée de « rythmes » n’est pas sérieuse sur le plan scientifique : si des élèves apprennent et fatiguent moins vite, et s’ils perçoivent inégalement l’intérêt des savoirs scolaires, cela ne tient pas à une horloge interne innée. C’est le résultat de leurs apprentissages antérieurs, qui les rendent plus rapides et plus résistants à la fatigue, face à l’appropriation de certains contenus que l’école a pour mission d’enseigner.
Les arguments de la fatigue ont servi de prétexte à réduire les heures d’appropriation des savoirs (suppression des samedis matin en élémentaire et une année en LP), dans une optique économique de réduction de l’école publique. La conséquence, c’est moins d’entraînement des enfants à l’activité très spécifique d’appropriation des savoirs savants, différente des formes de concentration qu’ils connaissent sur d’autres types d’activités, et donc de leurs capacités à résister à la fatigue inhérente qu’elle implique.
C.P. : Les profs d’EPS savent qu’à chaque fois qu’on a parlé de rythmes, l’EPS a été menacée d’externalisation de l’École. Le risque est-il le même aujourd’hui ?
S.B. : Il est bien plus grand aujourd’hui que lors de la réforme Peillon de 2013, qui s’inscrivait dans la continuité de celle de Darcos qui avait supprimé les samedis matin : elle n’a pas reconquis ce temps mais l’a réparti autrement, en instituant des « temps d’activités périscolaires » (TAP), mis en place en partie avec des animateurs municipaux, mais surtout avec des contrats précaires et de nombreux bénévoles retraités. Aujourd’hui, les bénévoles seraient bien plus rares, car les boomers parvenant aujourd’hui à la retraite sont plus âgés… Le risque c’est la prise en main par le privé marchand et par les clubs, recourant à des précaires qui pourraient accepter des salaires bien moins chers que les enseignant·es, sans aucune formation sérieuse. Les recherches conduites à l’époque de la réforme Peillon montrent que les inégalités d’apprentissage dans les TAP étaient massives. Et l’on sait que les inégalités, sociales et sexuées, sont bien plus importantes dans les clubs sportifs qu’à l’École.
Comme pour l’enseignement de la littérature, en EPS, il s’agit de procéder en allers et retours entre la pratique et le retour réflexif sur cette dernière grâce aux savoirs
Dans le livre, je prends l’exemple de l’EPS qui n’est pas du « sport » ni du « défoulement » : cette dernière expression qu’emploie souvent le Président de la République, trahit sa vision de contenir les corps. Or, exactement comme pour l’enseignement de la littérature, en EPS, il s’agit de procéder en allers et retours entre la pratique et le retour réflexif sur cette dernière grâce aux savoirs (vivre et comprendre la notion de surnombre en sport collectif par exemple). L’école, c’est cela : permettre à l’enfant d’enrichir sa compréhension du monde et de soi grâce à l’étude, grâce à l’appropriation d’un nouveau regard sur les choses que permettent les savoirs du programme obligatoire, ce qui ne relève pas des habitudes acquises dans la plupart des milieux.
L’école doit développer de nouveaux besoins chez chaque enfant, pour accroître ses possibilités, et non pas être cantonnée à répondre à des « besoins propres » créés par les familles dans leurs limites. Et ce faisant, elle développe une culture commune qui est indispensable pour que les futur·es citoyen·nes puissent partager un destin et des décisions communes.