Propos de Jean-Yves Rochex
En 2010, Jean-Yves Rochex (équipe ESCOL-CIRCEFT, Université Paris 8, Saint-Denis) identifie trois modèles successifs des politiques d’éducation prioritaire. Elles sont passées d’un pilotage d’État compensatoire des déficits des populations à une centration sur des territoires avec une mise en concurrence des écoles, puis à une individualisation des démarches. L’article ci-dessous est un résumé de sa contribution http://www.gfen.asso.fr/fr/_le_devenir_de_la_politique_d_education_prioritaire_
Le premier âge des Politique d’Education Prioritaire : le modèle compensatoire – 70 à 80 (81)
Après la deuxième guerre mondiale, les conceptions qui sous-tendent la mise en œuvre de ce qui préfigure les PEP sont de type « compensatoire » : il s’agit de compenser par un renforcement de l’action et des moyens de l’institution scolaire les déficits ou carences, d’ordre culturel, linguistique ou intellectuel, dont souffriraient les enfants de milieux populaires.
De telles conceptions ont été critiquées par des sociologues (Bourdieu ou Isambert-Jamati) qui leur reprochaient à la fois d’être fondées sur une vision misérabiliste des classes et des familles populaires et de risquer de dédouaner ainsi l’institution scolaire de toute responsabilité dans la production de l’inégalité scolaire.
Après la deuxième guerre mondiale, les conceptions qui sous-tendent la mise en œuvre de ce qui préfigure les PEP sont de type « compensatoire »
La visée compensatoire alors dominante donne une relative cohérence aux trois modes de ciblage des PEP alors adoptés : ciblage en termes de populations particulièrement victimes de l’échec et de l’inégalité scolaires, ciblage en termes de territoires, ciblage en termes d’établissements ou réseaux d’établissements scolaires. Ce modèle se caractérise par le rôle prépondérant de l’État « garantissant une égalité de traitement des élèves » et par une forte autonomie professionnelle des enseignants basée sur leur expertise et leur savoir professionnels.
De l’État éducateur et prescripteur à l’État évaluateur et régulateur
La crise de légitimité de ce modèle va favoriser l’avènement de nouveaux modes de régulation, censés répondre aux exigences de la période : exigences de performance, de qualité et de compétitivité. La liberté de choix des familles face à l’offre scolaire est censée favoriser une plus grande diversité de l’offre de biens éducatifs, et donc mieux répondre à l’évolution de la demande, et, ainsi, aller vers plus de qualité et d’efficacité des systèmes éducatifs. C’est le contraire qui se produira, ségrégant un peu plus certaines zones. Cette évolution du modèle de l’État éducateur et prescripteur à celui de l’État évaluateur et régulateur du marché scolaire, s’est accompagnée des problématiques d’efficacité et d’équité, remplaçant celles de l’égalité et de la justice sociale.
Un glissement qui annonce l’avènement du 2ème âge des PEP. La notion d’équité insiste, au-delà des visées d’égalité d’accès et de traitement, sur celles d’égalité d’acquis ou de résultats des élèves. Cette préoccupation pour l’égalité d’acquis se focalise sur le seul objectif d’acquisition par tous d’un ensemble minimum de savoirs et compétences jugés fondamentaux pour permettre à chacun, particulièrement aux plus démunis ou aux « vaincus de la compétition scolaire » d’acquérir le socle commun de connaissances et de compétences défini par la loi Fillon de 2005.
Le deuxième âge des PEP : territorialisation et diversification de l’offre scolaire à la place de démocratisation et égalité – 80 (81) à 2005
Rompant avec le principe politique d’égalité formelle, le deuxième âge des PEP se caractérise par une « territorialisation des politiques éducatives » et une « diversification de l’offre scolaire ». Les politiques scolaires publiques, qui étaient élaborées et pilotées jusqu’alors au niveau de l’État dans un but de démocratisation vont basculer à l’échelon de chaque académie. La carte des ZEP et leur dotation budgétaire seront, dorénavant, déterminées sans qu’aient été définis des critères communs au niveau national.
La fin des années 80-90 ont dès lors vu l’objectif de lutte contre les inégalités et la perspective compensatoire initiale s’effacer derrière la problématique de la lutte contre l’exclusion sociale et l’objectif de garantie d’un kit éducatif minimum jugé nécessaire à l’intégration dans une société. Elles s’éloignent de l’objectif de création d’une société moins inégalitaire et socialement plus juste, et mettent en perspective une société dans laquelle tous les citoyens ont un accès garanti à un niveau minimum de biens sociaux (revenu, santé, etc.) et se sentent ainsi eux-mêmes inclus dans une entreprise sociale commune.
La fin des années 80-90 ont dès lors vu l’objectif de lutte contre les inégalités et la perspective compensatoire initiale s’effacer derrière la problématique de la lutte contre l’exclusion sociale et l’objectif de garantie d’un kit éducatif minimum jugé nécessaire à l’intégration dans une société.
Si les PEP conservent une référence et un mode de ciblage territoriaux, le territoire n’y est plus guère envisagé comme espace de ressources possibles pour la construction d’un nouvel ordre scolaire, moins inégalitaire et plus émancipateur, mais bien plutôt comme espace de problèmes, voire de menaces pour l’ordre social. La thématique de la lutte contre l’exclusion va préparer le terrain pour le troisième âge des PEP. Prévenir l’exclusion nécessite d’identifier les élèves ou les groupes les plus exposés à ce risque.
3ème âge des PEP : Une logique d’individualisation des parcours et d’encouragement des « talents » – 2005 à 2012-13
Les PEP mettent l’accent sur deux axes : d’une part, une approche « sociale » visant à ce que nul élève ne quitte l’école sans être doté des connaissances et compétences de base nécessaires pour éviter l’exclusion, d’autre part, une approche individualisante visant à la maximisation des chances de réussite de chacun, ou encore à ce qu’aucun des « talents » potentiellement disponibles ne soit perdu et gaspillé. L’objectif des PEP devient donc celui de détecter et mobiliser le potentiel de chaque enfant le plus tôt possible afin de lui offrir un environnement scolaire et éducatif suffisamment riche et stimulant pour qu’il puisse se développer de façon optimale. Les PEP renouent avec une idéologie « méritocratique » interrogeant peu le fonctionnement du système éducatif et sa responsabilité dans la construction des difficultés et inégalités scolaires. Elles attribuent pour l’essentiel les causes de celles-ci aux élèves et à leurs familles, tout en visant à élargir le recrutement des « élites » aux élèves les plus méritants ou les plus prometteurs des milieux et quartiers populaires.
Cette analyse de Jean-Yves Rochex nous donne une grille de lecture intéressante des nouveaux dispositifs des REP et REP+ et des discours politiques qui les accompagnent. La réforme de l’éducation prioritaire sort d’une logique d’individualisation de la réussite scolaire pour revenir à celle de territoire. Ce faisant, elle retrouve les défauts de la territorialisation des PEP en ne répartissant pas les moyens en fonctions des catégories sociales, et en ne prenant pas suffisamment en compte l’inégalité de répartition des populations les plus fragiles sur le territoire français. Souhaitant donner image d’une action nationale, on saupoudre les moyens sur l’ensemble des académies, en les refusant à un collège d’une académie qui les aurait largement obtenus dans une autre. Notons cependant que les mesures de pondération visant à dégager du temps aux enseignants pour travailler en équipe et pour se former essaient d’articuler une réforme structurelle avec une réflexion sur les pratiques enseignantes, et vont dans le bon sens même s’il elles ne sont pas à la hauteur des inégalités de la France.