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La culture sportive, un capital scolaire

Probabilités d’orientation déjouées, par le sport ? Le cas des bacheliers professionnels.

Magali Danner, Carine Erard et Christine Guégnard viennent de signer un ouvrage qui montre que les élèves qui ont une culture sportive tirent parti positivement pour leur orientation. Une étude qui vient plaider pour l’importance d’un renforcement du temps d’éducation physique et sportive qui va permettre aux élèves de milieux défavorisés et aux filles, de mieux rebondir sur leur orientation.

Interview réalisée par Bruno Cremonesi

Bruno Cremonesi : Est-ce que le fait d’avoir une section sportive ou une option EPS, accentue la volonté de transformer son capital de connaissance sportive en capital scolaire ? Est-ce qu’il y a des différences entre les filles et les garçons ?

Dans notre enquête régionale menée auprès de 3 190 élèves scolarisés en première et terminale de baccalauréat professionnel, plus de la moitié des élèves affirment pratiquer des activités physiques et sportives en dehors du cadre scolaire, avec un écart important entre les lycéens (71 %) et les lycéennes (41 %), à l’image des tendances nationales relevées par d’autres auteurs sur la pratique sportive des adolescents en lycée professionnel. Et lorsqu’il s’agit de pratique sportive intensive (compétition, entraînement au moins trihebdomadaire), l’écart sexué demeure avec ou sans section sportive dans le lycée (10 lycées parmi les 21 enquêtés proposaient une section sportive). Donc oui, nos résultats confirment des différences sexuées et en particulier concernant la pratique compétitive : 40 % des lycéens pratiquent au moins trois fois par semaine et/ou en compétition, c’est le cas seulement de 13 % des lycéennes. L’intérêt pour le sport se montre toutefois partagé : 55 % des lycéens et 44 % des lycéennes citent une activité sportive ou liée au sport comme étant leur activité de loisir préférée. Et parmi ces jeunes, soit 38 % des lycéens et 17 % des lycéennes, le sport donne lieu à un projet professionnel (métier, études), avec une intention encore plus fortement exprimée par les sportives et sportifs qui ont une pratique intensive. Autrement dit, plus le jeune s’est doté en capital sportif, plus forte est son intention de convertir sa pratique de loisir en métier : pratiquer une activité sportive soutenue, avoir un membre de la famille (père, mère, frère ou sœur) qui exerce le même sport et être élève dans un lycée avec section sportive, sont des éléments significatifs et positifs pour expliquer un projet de métier en lien avec le sport.

BC : Même si la socialisation parentale joue un poids important dans le destin scolaire et notamment dans une orientation vers des études en STAPS, vous développez l’idée que faire du sport peut être une opportunité de rebond ?

Pour les bacheliers professionnels interrogés, l’inscription à l’université en STAPS représente un espace qui permet de prolonger leur expérience positive vécue à travers le sport. Le sentiment de réussite dans cette matière (être parmi les meilleurs en EPS dans le secondaire), conforté par une pratique extrascolaire compétitive, les amène à formuler une ambition d’études et un projet de rester dans le monde du sport. Cette perspective de pouvoir valoriser dans leurs études supérieures un centre d’intérêt où ils s’épanouissent, les inscrit dans une dynamique de projet. Cette dynamique ne leur garantit pas une réussite universitaire, mais elle les place en acteurs de leur devenir, ce qu’ils n’ont pas toujours eu l’opportunité d’expérimenter dans le secondaire. En entrant en STAPS, ils s’offrent ainsi un rebond scolaire en s’appuyant sur une pratique sportive qu’ils considèrent comme un élément structurant de leur parcours, souvent dans le prolongement d’une socialisation familiale marquée par ce loisir. Ils se projettent dans une perspective professionnelle de « travail passionné » (pour reprendre la perspective de l’ouvrage collectif coordonné par Loriol et Leroux, 2015), en lien avec le sport.

BC : Votre conclusion et votre ouvrage conduisent le lecteur à réfléchir au devenir de ces jeunes qui déjouent l’itinéraire scolaire tracé. Le prisme de la réussite réduite à la question de la professionnalisation est-il finalement le seul à devoir être regardé pour analyser l’école ?

Notre livre montre que les parcours des bacheliers professionnels ne peuvent pas être étudiés seulement selon leur profil scolaire, mais en intégrant aussi leurs expériences de vie et leurs ressources extra-scolaires comme le sport. Les statistiques de réussite dans l’enseignement supérieur les enferment, en masquant les projets et les stratégies que ces jeunes mettent en œuvre pour se construire une histoire scolaire, dans un espace où leur liberté de choix est restreinte. Leur inscription dans des études supérieures longues ne s’effectue pas « par défaut », « en attendant » ou pour « profiter » d’un statut supposé confortable d’étudiant, mais pour réaliser des ambitions, en s’appuyant sur le sport.