La dimension dite éducative, de l’EPS, est souvent convoquée pour expliquer, voire justifier la place de l’EPS à l’Ecole. Pour une part, les défenseurs de cette vision de l’EPS, considèrent que la culture sportive et artistique, si elle est nécessaire, n’est pas première lorsqu’il s’agit de penser l’EPS comme une discipline scolaire. A titre d’exemple, nous illustrerons notre propos à partir de certains aspects de la culture sportive. Il est évident que le traitement spécifique aux activités artistiques peut être fait.
La dimension éducative est une des trois missions assignées à chaque enseignant. La question à laquelle ont à répondre les enseignants au quotidien est de trouver les moyens, par leur acte d’enseignement, de permettre à chaque jeune, dans son statut d’élève, de se développer pour prendre de manière progressive une place active dans la société.
Non seulement nous ne contestons pas l’importance de cette mission, mais nous nous efforcerons à l’articuler avec celle de l’instruction. C’est la seule façon de la rendre effective. Il nous semble impossible
de se prévaloir d’une volonté de rendre l’EPS éducative et de considérer cette dimension éducative en dehors de la culture que la société, via ces institutions, lui confère d’enseigner. Cette orientation ne doit, à aucun moment de la discussion, être occultée.
Éduquer en raccrochant artificiellement la démarche éducative à un cadre culturel, pour se donner bonne conscience, conduit à une démarche quasi religieuse.
Cela conduirait à développer une conception de l’éducation basée sur la croyance d’un discours accompagnant les études. Nous proposons ici un renversement.
C’est bien l’étude qui génère le sens éducatif. Attention, l’étude culturelle ne garantit pas le bien-fondé éducatif.
Il est tout à fait possible d’assister à une véritable éducation sportive générant les pires aspects chez les individus : triche, fanatisme, nationalisme…
Par contre, il nous semble que la règle doit émaner d’un domaine culturel et s’y référer en permanence, celui de l’essence des APSA avec leur complexe réglementaire, technico-tactique, historique.
La morale, oui ou non ?
En EPS, on étudie les APS(A). On y joue, officiellement. Le discours clair et explicite de l’enseignant, pose le regard éthique, moral et philosophique sur les comportements commis pendant le jeu.
Ce discours est possible uniquement si le jeu se passe. Le jeu sportif étant organisé sous forme de compétition, celle-ci nous semble être un élément important de formation pour tous les élèves. Donc, la confrontation. Donc l’épreuve… C’est bien l’étude de la culture sportive dans toutes ses dimensions qui provoque des comportements, acceptables ou non.
S’il est nécessaire d’apprendre à un enfant de partager son goûter avec un ami lorsqu’il a oublié le sien, il est tout aussi nécessaire d’apprendre que dans le jeu j’ai le droit de m’opposer à ce même ami, avec tous les moyens qui ne sont pas interdits par le code du jeu. Le jeu ne commence pas par le respect, il l’exige, simultanément avec la volonté de gagner par et dans une opposition. Le jeu commence par le code du jeu qui porte les questions de valeurs. Sinon, c’est un autre jeu. La relation aux autres ne se construit pas seulement en jouant avec, mais aussi en jouant contre. L’opposition codifiée donne sens à la coopération, codifiée, intéressée dans et par le jeu. Cette relation n’est possible que parce que je me mets à étudier dans une APSA. Tout le reste n’est que de l’injonction adulte, pas toujours comprise.
Différents rôles sociaux
Le terme de rôle étant polysémique, nous nous attacherons à le comprendre, en EPS, sous le sens de fonctions à assumer dans un cadre bien précis. D’ailleurs, la fonction n’étant qu’un des multiples sens pouvant être donnés au terme rôle, il nous semble préférable de parler d’une fonction (arbitre…) tout court.
Quant au caractère social de ces fonctions, rapportons-les, encore une fois, au cadre culturel et social auquel elles se réfèrent. Si nous affirmons que ce n’est que par l’exercice de ces fonctions que l’EPS éduque à la citoyenneté alors nous ignorons les aspects fondamentaux du cadre dont ces fonctions font partie. Premièrement, il n’y a pas de fonctions différentes s’il n’y a pas de jeu. C’est bien la présence d’un jeu codifié qui nécessite la présence d’un arbitre, d’un observateur etc. Deuxièmement, prendre la responsabilité de distribuer la « justice » en tant qu’arbitre ne donne pas plus de chances d’être quelqu’un de responsable dans la société plus tard, que d’accepter de chanter dans une chorale.
Troisièmement, les différentes fonctions nécessaires au bon déroulement de l’étude des APSA n’ont pas de caractère (éthos) plus social que le joueur. Le raisonnement qui consiste à donner aux fonctions autour du jeu un caractère plus social qu’au joueur lui-même, nie (un peu) la dimension sociale du joueur. Il est vu ici comme quelqu’un de potentiellement dangereux, qu’il nous faut contrôler, brimer, empêcher de nuire… Au contraire, nous donnons à ce statut la place centrale car le jeu est à l’origine du sport moderne, celui qui est et devrait continuer à représenter le contenu de l’EPS. Le regard de l’enseignant est celui qui donne les mêmes appréciations sur les codes de comportement, sur les attitudes, sur les décisions à prendre, quelles que soient les fonctions assumées par les élèves en EPS.
Mais, nous réaffirmons la place centrale du joueur, car c’est autour de lui que les autres fonctions sont apparues au fil de l’histoire, et pas l’inverse.
Le raisonnement qui consiste à donner aux fonctions autour du jeu un caractère plus social qu’au joueur lui-même, nie (un peu) la dimension sociale du joueur.
Est-ce que cela diminue la portée éducative de l’EPS ? Non, au contraire. Car, l’éducation se référant à la dimension sociétale du Sport, elle se réfère à un domaine culturel suscitant des passions, l’intérêt médiatique, économique etc. La tâche éducative consiste à s’appuyer sur un domaine culturel en proie aux dérives condamnables qu’il faut sauver aux yeux de celles et ceux qui adviennent.
Dans le sport de haut niveau, le profit à tout prix (les clubs et les pays riches gagnent désormais quasiment tous les championnats) vient polluer le jeu. D’où la nécessité d’ancrer le discours éducatif sur le jeu lui-même, y compris lorsqu’il s’agit de porter un regard critique là-dessus.
Le jeu est essentiel mais pas sacré ! L’enjeu est bien de lier l’étude des APSA basée sur certaines valeurs qui sont aussi vraies pour ce qui concerne le sport civil.
Le contraire serait de considérer le sport comme un phénomène définitivement perdu. C’est le cas de certains courants politiques dont nous ne sommes pas.
L’important c’est de participer ?
Oui, bien sûr. Mais, ne pas centrer les efforts d’apprentissage sur la volonté de remporter l’épreuve, le match ou encore le concours ce serait tricher avec le sens culturel, ludique, des APS(A). Mais nous savons que les sportif-ve-s sont des gens qui passent leur vie à perdre. S’il y a du plaisir, de l’émotion, c’est bien parce qu’il
y a du jeu autour de l’enjeu. Par l’importance de gagner, on apprend à gérer la défaite, la frustration. Pour apprendre à la gérer, il faut bien qu’elle existe ! On apprend, aussi, lorsque cela arrive, à savourer la victoire qui n’a de sens que si la victoire a été loyale. Accéder vraiment à ces dimensions humaines ne nous semble pas possible si le but du jeu est minimisé et mis au second plan.
Conclusion (provisoire)
Affirmer la place de l’EPS à l’Ecole par des justifications théoriques la coupant, de plus en plus, du fait et de la culture sportive, est non seulement une erreur théorique, mais aussi une impasse disciplinaire.
Il est évident que nous ne nous opposons pas à la plupart des notions commentées, utilisées, évoquées pour caractériser l’EPS (citoyenneté, plaisir, santé…). Nous nous opposons au renversement théorique visant à faire de ces notions des points principaux de la valeur scolaire de l’EPS. Il est grand temps de sortir des effets pervers imposés par certaines orientations politiques.
Celles d’abord, considérant que l’EPS coûte cher en ignorant simultanément ce qui s’étudie réellement en EPS. Il est important de résister à l’idée d’opposition entre la culture sportive « civile » d’un côté, et de la culture scolaire de l’autre.
La culture sportive a sa place à l’Ecole et c’est à l’EPS d’assurer son enseignement.
Ensuite celle, rejetant, par principe, le sport à l’école car, par l’éducation à la compétition, les enfants seraient « mal » éduqués. Il vaut mieux trouver des formes de contenus organisés autour de la coopération.
Enfin, celle considérant que toute éducation sportive est une aliénation capitaliste.
Nous avons l’ambition que le sport, en tant que culture, doit pouvoir, à l’instar de toutes les dimensions de l’humanité, être libéré du capitalisme. Donc, l’Ecole publique a l’intérêt à s’en occuper.