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Penser ensemble l’EPS de demain

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C’est sous ce titre que le département sciences du sport et EPS de l’ENS de Rennes, a organisé des « assises » les 26 et 27 mars. Un peu plus d’une centaine de présent·es ont donc débattu de cette thématique pendant ces deux jours. Le SNEP-FSU était présent et intervenant dans une table ronde. Cela nous a permis de rédiger un document (sur notre site) pour faire le point sur le sujet et proposer des pistes de réflexion. Nous vous en proposons ici les éléments essentiels.

Penser d’abord l’École de demain

Nous avons en France un service public qui organise l’enseignement pour tous et toutes. C’est donc dans ce cadre que l’EPS doit être pensée. Ce système est attaqué, remis en cause par les diverses réformes précédentes qui aboutissent, depuis un certain nombre d’années, à une réduction des moyens qui le rend de plus en plus inefficace. C’est vrai aussi pour d’autres services publics comme l’Hôpital. La première urgence est donc de rebâtir une école au service de tous et toutes, moins ségrégative, moins discriminante.

Pour dire les choses clairement, nous ne voulons plus d’une École soumise au système capitaliste qui considère l’enseignement comme dépense et non un investissement, et les inégalités sociales et scolaires comme un phénomène naturel. Les résultats des élections présidentielles nous obligent à nous projeter dans les 5 prochaines années pour bâtir un changement de logiciel. Faute de quoi notre discipline sera contrainte d’épouser le moule d’une école conçue pour celles et ceux qui réussissent déjà.

Une EPS populaire

Bien entendu, on peut réfléchir à une EPS de meilleure qualité que celle dispensée aujourd’hui. Mais on bute alors sur un problème de taille : il n’existe aucun bilan réel et sérieux de ce que produit la discipline à grande échelle. Tout ce que l’on peut lire ou entendre à ce propos repose sur des données parcellaires, peu documentées et donc discutables. Partant de ce constat, toutes les propositions plus ou moins radicales, consistant par exemple à vouloir « desportiviser » l’EPS ou profit d’activités psychomotrices ou de fitness, paraissent un peu hors sol.

Ainsi, lors des assises, nous avons vu resurgir le débat sur le « S », sans aucun étayage. Si l’on voulait aborder les enjeux disciplinaires du point de vue de leurs finalités, il aurait été plus prometteur de questionner le « P » pour le transformer en « Populaire ». En effet, si l’EPS suit les lignes de force de l’École, en proposant des contenus qui excluent progressivement les classes populaires, effet direct d’une forme d’intellectualisation récente de la discipline (avec la multiplication des CMS et autres AFL), il pourrait être politiquement opportun de recentrer le débat sur une éducation pour tous et toutes, et principalement pour ceux et celles qui sont en échec, c’est-à-dire majoritairement les classes défavorisées.

Sur un autre plan, il aurait été plus intéressant de questionner l’ajout du « A » pour artistique. L’évolution historique de la discipline a permis d’adjoindre au champ culturel sportif le champ des pratiques corporelles artistiques, avec notamment la danse et les arts du cirque.

Donc, la question du sigle EPS devenant EPSA pose au moins la question des références de notre discipline. Nous avons eu par exemple ce débat lors de notre précédent congrès.

Finalement, discuter d’une Education Populaire Sportive et Artistique aurait posé des questions majeures que la proposition de retirer le S ne pose pas. L’EPS en France s’est construite et développée sur le principe d’une transmission des éléments essentiels du (des) champ culturel de référence. C’est sur cette base que la discipline a pu devenir la troisième discipline en horaire, au primaire et au collège.

Faut-il vraiment scier la branche sur laquelle elle est assise pour finalement s’aligner sur d’autres conceptions, à l’œuvre dans certains pays européens qui tous stagnent à 2h par semaine ?

Une éducation polytechnique

La technique dans l’École française n’a pas la reconnaissance qu’elle mérite. Plutôt associée à une opération de bas niveau, l’organisation sélective du système s’est organisée sur un déclassement progressif partant de la « culture générale », les sciences et les humanités, vers la technologie,  puis la technique jusqu’à l’activité manuelle (lycée général, technologique et professionnel…). Comme le dit très justement Anne-Françoise GARÇON1, l’humain est un être technique qui se raconte en permanence qu’il ne l’est pas.

Pourtant, l’EPS a cette spécificité de reposer sur des apprentissages techniques qui donnent aux élèves des pouvoirs que la société reconnait comme déterminants pour le développement de tous et toutes : pouvoir agir, se transformer, pouvoir jouer, pouvoir rencontrer les autres, nager, courir, grimper, etc. Il faut redonner aux acquisitions techniques la valeur humaine et émancipatrice qu’on leur dénigre généralement. C’est sur cette base que l’EPS s’est imposée. C’est sur cette base qu’il faut la renforcer.

Vers une amélioration qualitative et quantitative

Poser la question de l’EPS de demain, c’est poser la question de son efficacité pour remplir son rôle reconnu : faire acquérir à tous les élèves une culture sportive et artistique exigeante. Cela passe selon nous par deux visées complémentaires.

Améliorer de façon significative les horaires et les conditions d’exercice. Sur les horaires, notre revendication d’un passage immédiat à 4h comme étape provisoire d’une augmentation réelle du temps d’enseignement se justifie pleinement au regard des enjeux sociétaux (voir à ce sujet notre plaquette et le bulletin spécial « repenser l’EPS »). Quant aux équipements sportifs, qui sont notre salle de classe, le SNEP-FSU continue à faire des propositions que tout le monde reconnait comme des productions de qualité. Le travail au quotidien des militant·es du SNEP-FSU auprès des collectivités par exemple, a permis dans de nombreux endroits un développement significatif des infrastructures. Il faut continuer, en s’appuyant sur le dernier travail de notre syndicat2, et faire en sorte que chaque enseignant·e soit un·e militant·e de l’EPS.

L’EPS a cette spécificité de reposer sur des apprentissages techniques qui donnent aux élèves des pouvoirs que la société reconnait comme déterminants pour le développement de tous et toutes.

Du point de vue des transformations « pédagogiques » à venir, nous pensons qu’il faut réfléchir à une amélioration qualitative massive. Certes, les innovations locales, les transformations à petite échelle sont intéressantes et parfois même exemplaires, mais à l’échelle d’une société, ce sont les transformations de masse, systémiques, qui importent si l’on veut produire des effets visibles, notamment pour lutter contre les inégalités.

Nous avons écrit dans un article récent3 que l’EPS de demain doit être celle d’hier voire d’aujourd’hui4, mais en mieux ! Il faut arrêter de déstabiliser régulièrement la profession avec des injonctions invitant à tout changer et surtout à s’éloigner de sa culture professionnelle consistant à faire progresser les élèves dans les APSA. Ce qui serait pourtant considérable : si tous les élèves apprennent au cours de leur scolarité à produire et vivre un spectacle de danse, à nager vite et longtemps, à grimper en sécurité (liste évidemment non exhaustive !)… ce serait une grande avancée. Or, aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies pour affirmer ça pour tous et toutes. En lieu et place, l’institution nous invite souvent à « aller voir ailleurs », à nous déposséder d’une compétence professionnelle au lieu de la renforcer. Cette dépossession ouvrira la porte à une externalisation de l’enseignement de l’EPS et à donner les clés à un mouvement sportif qui aura beau jeu de dire que c’est lui qui est compétent.

La complexité n’est pas dans le montage d’usine à gaz, que cela soit pour la construction de situations d’apprentissage ou d’évaluation. La complexité réside dans la recherche de la réussite de tous et toutes. C’est-à-dire doter toute une génération d’élèves d’une solide culture sportive et artistique.

Notes :
  1. Anne-Françoise GARÇON, professeure émérite, Histoire des techniques. Ouvrage : L’imaginaire et la pensée technique : une approche historique, XVIe-XXe siècle, Paris, Ed. Cl. Garnier, 2012[]
  2. https://lesite.snepfsu.fr/mon-metier/equipements/les-referentiels-du-snep-fsu/reset-du-snep-fsu/[]
  3. Dossier n°2.[]
  4. Le « nouveau » n’est en rien un gage de quoi que ce soit.[]