La performance en EPS est l’objet de nombreuses discussions. Pour l’auteur, elle est non seulement un élément-clé de la culture à s’approprier mais aussi un élément de démocratisation de la culture sportive. S’il est nécessaire de procéder à des adaptations pour que tous et toutes puissent s’y confronter, la supprimer ne permettra pas pour autant la réussite de tous et toutes, elle affaiblira par contre l’ambition scolaire.
Le terme polysémique mérite une clarification quant au choix que nous portons pour l’EPS. Les textes officiels rattachent la notion de performance à certaines APSA (via le champ d’apprentissage) seulement. Notamment les disciplines athlétiques. Alors que le SNEP-FSU, déjà en 1994 plaidait pour la performance comme une manifestation objective d’une recherche d’efficience maximale dans une APS(A) donnée. En même temps, le syndicat plaidait pour un travail approfondi sur une conception élargie de la performance. Ce clivage théorique porte en lui les conséquences politiques pour une EPS différente si nous allons jusqu’au bout de ce qui organise la discipline, à savoir l’évaluation, certificative notamment.
EPS et émancipation
Qu’est-ce qui émancipe un·e individu·e dans la réussite scolaire ? C’est un ensemble de dimensions composant ce que nous pouvons appeler la culture scolaire. La dimension centrale mais non exclusive de cette culture est la maîtrise des savoirs. Une EPS minimisant la performance s’éloigne des savoirs constitutifs de la discipline, puisque performer physiquement est au cœur des réalisations en EPS.
Et dans les autres disciplines, performent-ils·elles ? Comprendre, résoudre des problèmes mathématiques, c’est performer, car il y a une réalisation, concrète, identifiable, visée par les programmes, évaluable et évaluée. Cela empêche-t-il des progrès en mathématiques ? Aucunement, car aux opérations complexes succèdent d’autres encore plus complexes, évaluées avec des barèmes communs à leur tour. Y a-t-il des élèves en difficulté voire en échec en mathématiques ? Oui, bien sûr. Mais il ne traverse la pensée de personne de supprimer les opérations mathématiques en vue de la résolution des problèmes pour résoudre ces difficultés et mettre fin à l’échec des élèves dans cette discipline scolaire.
Toute tentative d’éloignement du cœur de l’EPS de la culture sportive et artistique ne débouche pas sur un ensemble culturel stable, sur un corpus de savoirs identifiables.
Il s’agit plutôt des tentatives de dégager l’identité de la discipline contre la culture sportive ou en s’en inspirant, mais pas trop. Une EPS s’éloignant des savoirs propres à la culture physique sportive et artistique est une EPS qui se met en danger en entretenant un flou quant à sa référence sociale. Ce n’est pas ou peu le cas des autres disciplines. Elles reposent sur les cultures scientifiques, littéraires, techniques etc. Un·e élève qui réussit en EPS, c’est un·e élève qui performe. Et, c’est à travers cette performance, le travail d’entrainement qui y conduit, avec toutes les attitudes nécessaires à la construction de cette performance, dans toutes les APSA enseignées, que l’élève bénéficie, aussi, d’une dimension dite éducative, propre aux valeurs de l’École de la République.
Quant à la compétence, parfois opposée à la notion de performance, elle se trouve au cœur de l’EPS émancipatrice. La réalisation d’une performance révèle une ou des compétences 1.
Enfin, nous pensons qu’il ne peut y avoir d’EPS émancipatrice si nous n’abordons pas la notion de compétition. Là encore, cette dernière est assimilée, à juste titre, à la compétition induite par le fonctionnement néolibéral de la société et de l’économie capitaliste. Or, la compétition sportive étant constitutive de la culture sportive, l’enseignant·e d’EPS a l’extraordinaire pouvoir d’intégrer la compétition dans son dispositif didactique, mais aussi d’y apporter une dimension pédagogique en vue de la construction citoyenne de ses élèves. L’ensemble des enjeux pour l’avenir de notre société peuvent et doivent être ainsi traités : accès aux techniques motrices, égalité, émancipation, éducation… En somme, il s’agit de faire accéder les élèves à un maximum de techniques exigeantes, complexes, par le jeu organisé qu’est la compétition. On est ici à l’opposé d’une idée de motricité qui serait extrasportive ou artistique, abstraite et probablement assez fade, au nom du refus de tout ce qui est sportif parce que compétitif.
Enfin, nous rejetons une EPS sans performance au prétexte que cette dernière, par la mesure, le calcul, la compétition, opprimerait les élèves. Le travail autour de la performance ne peut se faire sans les aides, coopérations, conseils etc., à la fois entre élèves mais aussi entre l’enseignant·e et les élèves.
L’évolution des textes officiels s’éloignant du cœur de la culture sportive et artistique, il y a l’idée de supprimer l’échec par la suppression de la performance. Bien que la réalité soit toujours plus nuancée, la voie épousée est celle-ci.
Évaluer la performance
Selon Y. Léziart2, performer c’est se transformer. L’enjeu pour une évaluation, formative et certificative, en EPS, est de rendre compte de ces transformations, à travers la « mesure » de la performance.
Plusieurs dimensions découlent d’une évaluation en EPS.
La performance auto-référence comme outil de formation
Premièrement, elle doit permettre de rendre compte d’une cohérence entre l’enseignement et les apprentissages. Certain·es auteur·es rejettent les outils d’évaluation communs et mesurés avec l’argument que ces derniers évalueraient en réalité les acquis extrascolaires et surtout la dimension physiologique, non développée en EPS compte tenu du temps réel et limité du travail réalisé. En lieu et place, il·elles introduisent la notion d’évaluation autoréférencée. Si nous pensons que ce type de dispositif a toute sa place dans une évaluation formative, permettant aux élèves de se situer dans les progrès réalisés ou pas, nous sommes plutôt d’avis que sa généralisation à l’évaluation certificative serait un danger pour l’EPS. Si la performance peut être évaluée dans les deux cas de figure, dans le cadre d’un diplôme national, il y a la nécessité de repères
communs, faisant sens socialement, et donnant une dimension qualificative à la discipline scolaire.
Dans le cas contraire, le diplôme perd de la valeur. Or, dans le cas présent, il y a bel et bien un réel risque d’avoir des élèves fréquentant des établissements scolaires différents, qui obtiendraient, dans une même APSA, des notes différentes avec le niveau sensiblement proche, ou bien des élèves qui auraient des notes identiques avec des niveaux différents. La réponse d’une EPS juste, égalitaire et socialement signifiante, face aux problèmes d’inégalités et des difficultés qui en découlent, est, à la fois, son développement structurel (horaires, formation, équipements…), les textes qui organisent réellement les savoirs fondant la discipline EPS et une profession unifiée car respectée dans sa professionnalité et son importance sociale.
Mais revenons aux dimensions extrascolaires qui seraient évaluées en EPS. Il nous semble impossible de séquencer les paramètres pesant sur la réalisation d’une performance. Mais il en est de même dans d’autres disciplines. Que dire des acquis en informatique avec des élèves possédant une culture familiale en la matière et des outils technologiques développés comparément à celles et ceux qui n’ont qu’un ordinateur daté pour plusieurs membres de la famille, quand il n’y en a pas du tout. Ou encore, que dire des élèves qui lisent des œuvres littéraires depuis leur plus jeune âge quand d’autres ne le font pas ? Derrière la volonté de permettre aux élèves de voir leurs progrès, de les sortir des difficultés voire de l’échec, il y a la suppression de ce vers quoi nous devrions les mener, la performance. En supprimant le thermomètre, nous n’avons jamais soigné la maladie.
Quelle performance peut être atteinte en EPS, compte tenu des conditions d’enseignement ?
Si le temps et les conditions d’étude ne permettent pas les mêmes transformations, en profondeur et en stabilisation, que dans d’autres lieux d’apprentissage (extrascolaires), cela ne veut pas dire que les transformations de même « nature » n’ont pas lieu.
S’il s’agit de trouver des objets d’enseignement s’inspirant des APSA mais s’en défendant (presque) comme s’il y avait un au-delà plus noble, ils sont, au mieux, de véritables situations didactisées d’apprentissages dans une APSA, au pire, des situations inconsistantes ne provoquant pas les démarches transformatrices chez les élèves. Attention, nous ne plaidons pas ici pour les tâches magiques, mais bien pour des situations permettant aux élèves pratiquant·es de se transformer d’une façon significative du point de vue sportif ou artistique.
Il y a la suppression de ce vers quoi nous devrions les mener, la performance. En supprimant le thermomètre, nous n’avons jamais soigné la maladie.
L’expérience collective de notre profession, dans la durée, nous permet de constater les raisons de non-apprentissage, le phénomène d’éternel·le débutant·e, encore et toujours discuté3. Il convient d’optimiser la durée des cycles d’étude et d’équilibrer le nombre d’APSA. Du point de vue organisationnel, la tension approfondissement/équilibre est à résoudre. Au-delà des choix locaux des équipes, l’institution doit garantir à tous·tes les élèves cet approfondissement et la diversité des APSA allant avec. Dans tous les cas, le choix des contenus les plus significatifs, porteurs d’un nombre limité des savoirs abordés mais permettant d’avoir une pratique significative et transformée, doit organiser la didactisation des APSA en EPS.
Les programmes disciplinaires, par APSA, dans le cadre d’une épreuve certificative, doivent permettre aux équipes d’identifier les directions et les choix possibles, multiples, complexes, des savoirs à viser ; les référentiels d’évaluation, par APSA, quant à eux de les évaluer.
Performance et technique
Les transformations fondant la performance sont organisées, identifiables, reproductibles (avec toutes les nuances sur le terme de reproduction car les réponses fines des pratiquant·es sont toujours uniques), transmissibles. Bref, un certain nombre de conditions réunies ici nous confortent dans l’idée que les techniques constituent le cœur des apprentissages en EPS4.
L’évaluation de la performance sportive ou artistique, dans des conditions très spécifiques d’enseignement de l’EPS, doit comprendre cette dimension technique. Les modalités, quant à elles, doivent continuer à relever de la conception des enseignant·es et des équipes. Les acquis techniques peuvent être relevés par une observation directe, qualitative mais aussi dégagés par la mesure d’éléments plus quantitatifs. Souvent, les enseignant·es optent pour une articulation des deux. La lecture des différentes fiches APSA permet de le relever.
S’éloigner de la performance, pour quelle École ?
Depuis l’apparition du concept d’un « socle commun en collège, avec la loi Fillon en 2005, le SNEP-FSU se positionne contre un socle pauvre, rétrograde et largement insuffisant dans les ambitions pour tous·tes les jeunes. Au contraire, le SNEP-FSU a toujours lutté pour une culture commune. Si cette dernière devait prendre la forme d’un socle commun, cela ne devait pas poser de problème de principe. D’ailleurs, n’est-ce pas le SNEP-FSU qui, dès 2005, revendique un huitième pilier pour le socle commun de l’époque, le pilier qui reposerait sur l’enseignement de l’EPS ?
Minimiser le concept de performance dans l’évaluation, certificative notamment, c’est-à-dire la réalisation des actions dans un cadre codifié, à visée transformatrice, c’est contribuer à une école avec un socle ignorant des pans de cultures universelles, celles des APSA. Évaluer des méthodes, des attitudes, des comportements etc., sans que ceux-là ne soient fondamentalement articulés aux productions culturelles, est le cœur du socle commun d’inspiration néolibérale. Il fait ici semblant de proposer à tous·tes alors qu’en réalité ce qui organise (programmes et certification) ne repose sur rien de solide. Pas de savoirs sédimentés dans une histoire culturelle.
Contrairement à ce que dénoncent les adversaires d’une école trop compétitive (en confondant à tort et de façon trop mécanique), abandonner la culture sportive en EPS, c’est contribuer à appauvrir celle-ci au lieu de se coltiner des problèmes de société. Une EPS reposant sur la performance dans ce qu’elle porte en elle de plus ambitieux pour l’ensemble des jeunes porte en elle l’idée d’une École ambitieuse pour tous et toutes. Nous retenons l’idée de la performance comme point d’appui au développement de tous·tes et non pas comme un outil d’exclusion, d’échec etc. Il va de soi que le cadre didactique et pédagogique est déterminant dans cette affaire.
Évaluer des méthodes, des attitudes, des comportements etc., sans que ceux-là ne soient fondamentalement articulés aux productions culturelles, est le cœur du socle commun d’inspiration néolibérale.
Pour conclure…
Évaluer la performance c’est évaluer la réalisation, individuelle ou collective, ou les deux de façon concomitante, suite aux transformations obtenues par l’étude pratique en EPS. Évaluer autre chose serait le synonyme d’évaluation d’autre chose que ce qui a été étudié en cours. Ou bien, pire encore, ce serait de faire semblant d’évaluer quelque chose de supérieur, à quoi l’EPS contribuerait sans vraiment voir comment. L’actuelle « contribution » de l’EPS à l’évaluation du socle commun au DNB ressemble à cela.
S’agirait-il d’autres concepts théoriques qui renverraient à ce qui est réalisé en EPS ? Pourquoi pas ? Mais, à ce moment-là, ils devraient être confrontés à celui de performance. Histoire de chercher des convergences, des différences, voire des oppositions et surtout de voir deux choses. Premièrement, en quoi ces concepts fonderaient l’EPS sur d’autres savoirs que ceux issus d’une culture universelle contenue dans ce qui organise les APSA. Puis, de manière beaucoup plus pratique, comment ces divergences se traduiraient dans la réalité des enseignements. Les enjeux de démocratisations par la diminution des inégalités scolaires exigent ces approfondissements.
Notre intuition, à ce stade, est que notre profession risque d’être prise à partie dans un faux débat, comme il en existe déjà depuis un certain nombre d’années. L’exemple le plus flagrant étant l’opposition très formaliste entre les culturalistes et les développementalistes. Le SNEP-FSU et le Centre EPS et société ont fait, depuis fort longtemps, la démonstration du : « en quoi le culturalisme est le meilleur des développementalismes ? ».
Alors, quelles perspectives ?
L’IG et un grand nombre d’IA-IPR EPS, ont depuis des années imposé ce que nous allons nommer la CP5, et la musculation comme APSA modèle de modernité en EPS. Si la place de la musculation en EPS ne pose pas de problème, c’est sa place hégémonique qui en pose. Puis, le format culturel de la musculation doit la faire sortir du cadre CP5. Le SNEP-FSU et le Centre EPS et société ont fait une première proposition d’évolutions à travers le numéro de Contre pied consacré à la Musculation.
L’actuel regroupement de l’ensemble des enseignements dans les champs d’apprentissage (CA) relève d’une imposture théorique et pratique. Les termes désignant les différents CA sont d’une telle superficialité qu’ils n’organisent pas les programmations, les contenus, les évaluations etc. Même la répartition des points dans le cadre des épreuves au baccalauréat pose tellement de problèmes que les collègues sont contraint·es de procéder à ce qu’on peut appeler des arrangements évaluatifs.
Une autre perspective serait de basculer complètement vers une EPS contributive à l’éducation sur des grands problèmes de société indépendamment des supports de l’enseignement. Un peu comme si en mathématiques on formait des citoyen·nes indépendamment des chapitres scientifiques abordés, car ils seraient secondaires. Nous aurions une EPS sans la saveur des savoirs5, une EPS de marge, sans sa contiguïté.
Enfin, il est possible, à travers la discussion d’une question comme celle de l’évaluation en EPS, de poser les bases d’un vrai débat pour de nouveaux développements de l’EPS et de l’École. Pour cela, il faudrait que tous·tes les acteur·rices sortent de leurs postures institutionnelles. Il faudrait que nous prenions le temps, conforté·es en cela par l’institution elle-même, car elle nous en donnerait les moyens, d’analyser, sous tous ses aspects, ce qu’est réellement l’EPS aujourd’hui. L’histoire de notre discipline, mais aussi l’histoire du sport doivent nous permettre d’aboutir à un certain nombre de conclusions partagées. Oui, les débats sur l’articulation entre l’EPS et le sport (nous n’oublions pas la question des arts, entre autres, mais la nature des problèmes et les rapports qui en découlent ne sont pas de même ordre) doivent continuer à vivre à travers ce travail de recherche de développement de la discipline.
- A. Roger citant C. Couturier, Contre pied n°10, septembre 2014[↩]
- Contre pied, n° 10, septembre 2014[↩]
- Voir Frank Deboucq, Contre pied n° 21, EPS, des choix politiques quotidiens.[↩]
- Les savoirs principaux de l’EPS sont les techniques propres au but et aux significations culturelle et sociale de chaque APSA, son cadre réglementaire ou symbolique, ses codes culturels et sociaux. Extrait du texte « Préambule aux programmes » adopté au congrès du SNEP-FSU en décembre 2021.[↩]
- Jean-Pierre Astolfi, La saveur des savoirs, disciplines et plaisir d’apprendre, 2008.[↩]