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Dirigeantes sportives, un plafond de verre ?

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Interview par Bruno Cremonesi

Béatrice Barbusse, vice-présidente de la fédération de handball répond à nos questions sur la place des femmes dans le monde des dirigeantes sportives. Des réponses qui résonnent avec la place des femmes dans d’autres espaces de responsabilité. Elle vient de publier un livre aux éditions les Sportives.

BC : Par rapport au processus de féminisation des responsabilités des dirigeantes, est-ce que la logique de quota a été pertinente ?

Oui, sans, sans aucune contestation. Pour 2 raisons, la première c’est que la mise en place des quotas dans les autres secteurs que le sport, à savoir la politique, la fonction publique ont montré que cela permet une féminisation.  La deuxième raison, comme l’a montré le travail de thèse d’Annabelle Caprais, la place et le rôle des femmes dans la gouvernance des fédérations sportives françaises. Elle a mesuré l’effet produit par la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. On est passé de 26% à peu près de femmes en Conseil d’administration à 38%. Si sur le plan quantitatif, nous ne pouvons que constater une place plus importante des femmes, la loi du 2 mars 2022 qui va obliger à partir des prochaines élections d’avoir la parité totale au niveau fédéral et en 2028 pour le niveau régional, va aussi permettre d’accentuer cette évolution.  C’est une première étape qui va conduire les hommes à s’habituer à avoir des femmes dans un environnement où elles étaient jusqu’alors absentes. Pour reprendre les mots de Geneviève Fraisse, « l’égalité ne se fait pas sans contraintes, elle ne pousse pas comme l’herbe verte ». Ce n’est pas spontané, on est obligé de la provoquer par des lois.

BC : Tu reprends la formule de Françoise héritier, « la parité s’arrête là où le pouvoir commence. » Est-ce que tu peux préciser ?

La parité est une première étape qui permettra de normaliser la présence des femmes mais ce n’est pas pour autant qu’elles seront décisionnaires ou qu’elles auront des postes importants et stratégiques. On constate qu’elles ont plutôt des fonctions secondaires comme celle de secrétaire ou de trésorière adjointe. Les postes de président ou de vice-président sont plutôt monopolisés par des hommes. Plus les postes sont valorisants, par exemple, plus on s’approche de la performance sportive et moins on trouve de femmes.

BC : Dans ton livre, tu fais une catégorisation de la parole des femmes quand elles prennent la parole en réunion...

On a souvent l’habitude d’entendre ou de lire qu’effectivement, la parole en public, la parole publique dans un espace public, c’est plutôt quelque chose qui est attendu de la part d’un homme et pas de la part d’une femme, puisque son espace privilégié, c’est plutôt l’espace privé. S’ajoute aussi le fait que l’on considère que la femme n’a pas une voix de leadership, mais une voix aiguë.  A priori elles ont un double « inconvénient ».

Paradoxalement, on a plutôt tendance à penser que ce sont les femmes qui parlent beaucoup, on les compare même à un poulailler lorsqu’elles sont ensemble. J’ai fait un travail de recueil du temps de parole en réunion avec chronomètre. Il révèle l’inverse. Les hommes monopolisent la parole à 75% en moyenne quel que soit le nombre de femmes et d’hommes dans la réunion. Cela peut s’expliquer par le fait que les positions les plus importantes ou les responsables des dossiers sont en majorité confiés aux hommes.  

Le deuxième aspect de mon observation, c’est quand les hommes ont la parole, ils parlent plus longtemps que les femmes. A l’inverse les femmes sont plus concises et synthétiques. Un homme n’hésitera pas à prendre la parole pour redire la même chose qu’un autre. Je reviens à mon premier constat, c’est une façon d’occuper l’espace public. Autre exemple, ils peuvent prendre la parole pour expliquer qu’ils n’ont rien à dire. C’est encore une fois d’occuper l’espace et montrer que l’on joue un rôle, qu’ils ne sont pas élus pour rien.

En prenant conscience de ces processus, des hommes parlent moins et laissent plus d’espace d’expression aux femmes. Certaines entreprises ont fait l’expérience de faire un certain nombre de réunions debout, elles ont constaté qu’elles prenaient beaucoup moins de temps que lorsqu’on est tranquillement assis sur sa chaise.

BC : Dernière question, il y a des modes de fonctionnement qui sont considérés comme neutres, mais qui sont en fait masculins. Peux-tu développer deux d’entre eux : la force des couloirs et une vision idéalisée de la vocation et du dévouement ?

Effectivement ces modes de fonctionnement ne sont pas neutres, ils sont masculins et ont pour conséquence d’écarter les femmes de façon inconsciente et involontaire

La force des couloirs

Comme il y a une majorité d’hommes, ils sont plus nombreux à avoir la capacité de se parler. Le problème c’est que ces discussions se font souvent de façon informelle lors de discussions entre eux. Les bureaux directeurs ou les conseils d’administration ne sont que des chambres d’enregistrement. La plupart du temps, les choses ont déjà été décidées auparavant. Le temps des couloirs et de l’informel m’a obligée à être présente dans ces temps-là pour pouvoir peser sur les décisions. On retrouve ces modes de fonctionnement dans le champ politique ou celui de l’entreprise.

La culture du dévouement

On s’attaque à une question fondamentale, celle du dévouement et de la disponibilité temporelle. Quand tu es bénévole, on attend de toi que tu sois disponible.

Encore une fois, dans un univers qui est plutôt dominé quantitativement par les hommes, ça s’est construit à partir de leur temps. La division du travail domestique est à l’avantage des hommes et les femmes ont moins de temps libre car majoritairement elles gèrent les questions d’ordre domestique, d’éducation des enfants, de courses… Par conséquent les hommes ont plus de temps libre et sont donc plus engagés et disponibles.

A partir de ce point de vue, se construit l’idée que l’on doit être tout le temps disponible. Si on doit te téléphoner un dimanche ou le soir, tu devrais être disponible au nom de tes responsabilités et de ton engagement. Mais cette conception est éminemment masculine. Cela nécessite de s’interroger sur ce que signifie être dirigeant aujourd’hui. Cela ne peut plus être avoir même sens qu’hier.

La professionnalisation dans le monde du sport modifie aussi le rapport à l’engagement. Les dirigeants bénévoles faisaient plus de choses car il n’y avait pas de salariés. Mais aujourd’hui il y a une professionnalisation qui s’est faite et des tâches sont prises en charge par les salariés, là ou avant c’était les dirigeants qui les réalisaient. Il y a donc nécessairement un conflit sur ce que signifie prendre des responsabilités, s’engager et les tâches et de l’engagement qui devraient relever d’un dirigeant-e ou plus largement d’une personne qui prend des responsabilités.  Certains responsables ont l’impression que les salariés prennent leur travail.

Aujourd’hui, nous avons besoin de responsables qui n’ont pas forcement la disponibilité et le dévouement pour l’organisation mais des compétences pour donner une vision et des axes stratégiques. Cela donne une nouvelle possibilité pour des hommes et des femmes qui ont moins le temps de s’investir. C’est un enjeu pour les femmes mais cela plaira aussi aux hommes qui sont papas, qui veulent s’investir et qui s’investissent dans l’éducation de leurs enfants, qui vont chercher leurs enfants à l’école, font des activités avec eux, qui font les courses et la cuisine. Cette nouvelle parentalité va permettre à plus de femmes d’accéder à des postes de responsabilité, pas seulement dans le sport, mais ailleurs, dans la vie syndicale par exemple.