Le dispositif mis en place l’an dernier, dit « 2S2C » a réactivé un débat qui traverse l’EPS depuis qu’elle existe avec son « S ». Cette discussion, lorsqu’elle a lieu, repose sur la croyance, jamais démontrée, qu’en perdant son « S » la discipline serait mieux à même de se défendre contre des attaques visant à l’exclure du champ scolaire. Le SNEP reviendra dans les bulletins à venir sur quelques éléments de réflexion.
Le sport et son avenir
Les travaux, sociologiques, anthropologiques etc. ont largement contribué à la compréhension de l’ampleur, la profondeur de la culture sportive dans l’humanité. Les raisons qui ont conduit le corps enseignant à peser sur l’action politique et le législateur à « sportiviser » l’éducation physique n’ont pas été invalidées culturellement et encore moins socialement. Pour ce qui est de la politique, aucun mouvement ou parti politique ne condamne la pratique sportive. Beaucoup d’organisations, dont notre syndicat, condamne les perversions de cet espace/temps culturel. Jusque là, le sport n’échappe pas aux dérives de la société capitaliste, pas plus que les autres domaines culturels. Mais pourquoi faudrait-il renier la saveur du jeu, la compétition en tant que mode opératoire de rencontre, la camaraderie née de la pratique commune, etc .?
Face au dopage, argent, nationalismes, violence etc. que le SNEP-FSU dénonce, quels choix convient-il de faire pour l’EPS mais aussi pour le sport ? Si les autres enseignements, de la maternelle à l’université, sont pensés et conduits pour transmettre une culture permettant de comprendre le monde, et pouvoir continuer à le transformer (les élèves d’aujourd’hui seront les chercheurs, les ingénieurs, les ouvriers de demain et auront à peser sur leurs domaines professionnels), pourquoi le sport y échapperait ? Il faut affirmer dans ce contexte que les élèves d’aujourd’hui auront à faire des choix dans et pour la culture sportive (et artistique) de demain. Les priver des savoirs propres à cette culture c’est les priver des moyens d’y arriver et abandonner complètement cette même culture à la barbarie sociale, au terrain clientéliste et affairiste etc.
Poser la question des enjeux pour l’EPS de demain c’est aussi poser la question de l’avenir du sport et de leurs transformations qualitatives pour une nouvelle étape de démocratisation.
Le jeu, ce n’est pas parce qu’on « s’amuse » que ce n’est pas sérieux
La place du jeu dans le développement humain, dans l’individuation doit être rappelée 1. La dimension ludique de l’enseignement des APSA est essentielle dans la conception que nous avons du développement de l’individu. La technicité, la complexité constamment enrichie du jeu, lieu de socialisation extra ordinaire et unique, « crée de l’enthousiasme de l’engagement par la gratuité de l’effort » 2
Si les cultures locales, sont une richesse, les éléments les plus universels au sens où ils sont partagés par la majeure partie de l’humanité, doivent constituer un des éléments fondateurs de l’enseignement. Il s’agit de permettre la poursuite de la communication et le lien réel mais aussi symbolique avec le reste du monde. Cela n’empêche pas le combat citoyen et politique contre les récupérations contraires au sens démocratique de l’universalité du sport (violences sur et autour des terrains, violences des institutions, violences des états etc.) L’universalité émancipatrice est ce qu’il nous faut préserver et renforcer face à la mondialisation capitaliste.
Mettre en avant le plaisir et la joie, dans l’apprentissage, dans le jeu, c’est bien mais c’est aussi insuffisant. Lorsqu’on s’engage dans le jeu car on y trouve du sens, on prend le risque de perdre. Cela arrive forcément. Occulter dans la réflexion sur le plaisir et la joie (d’une réalisation, d’une victoire, d’un geste) la frustration, la tristesse voire la douleur, serait une façon stérile de concevoir ces émotions essentielles dans la pratique physique, sportive et artistique. En EPS, l’élève apprend à gérer ces émotions, à y trouver des appuis pour de nouveaux efforts. Le « travail » autour de ces émotions est ce qui permet à l’élève de s’inscrire durablement dans l’entrainement.
La culture sportive serait figée ?
Les règlements officiels des différentes fédérations sportives sont enrichis de plusieurs dizaines de règles nouvelles ou transformées chaque année. Certaines modifient le jeu de façon conséquente. Les pourfendeurs du patrimoine sportif agissent avec le fantasme d’un patrimoine définitivement figé. Au lieu de cela, nous pensons que la maitrise des codes du jeu et le sens historique de son mouvement perpétuel, nourri par des progrès techniques des pratiquants 3 sont une voie d’avenir pour renforcer la place de l’EPS au sein des disciplines scolaires.
Une autre dimension reste à approfondir : l’idée du temps « libre », en dehors des différentes obligations, dont le travail, non pas à « occuper » mais bien à saisir pour s’enrichir (et donc se développer…). L’idée étant d’un temps « gratuit », « libéré », à utiliser pour des activités (sportives ou artistiques, entre autres) dans lesquelles le sujet trouvera un intérêt supérieur. De fait, elles peuvent prendre une dimension très importante pour lui, bien plus que la simple dépense énergétique. Oui, l’Ecole doit s’occuper de ces choses-là, compte tenu de l’importance qu’elles devraient revêtir et préparer chacun et chacune à des loisirs actifs.
Dédisciplinarisation de l’EPS
Le SNEP-FSU a dénoncé, depuis le septembre 2019 (Texte action CDNE), ce qui a été nommé la « dédisciplinarisation » de l’EPS.
Pour nous, derrière la « dédisciplinarisation », il y a la « desportivisation ». Il n’y a qu’à lire les programmes en collège et en lycée et les nouveaux textes en LGT et en LP, pour s’en rendre compte. Cette « desportivisation » fait glisser l’EPS d’une « discipline » vers une simple activité scolaire. Supprimer le S ne serait qu’une aide à ce mouvement déjà engagé.
Glisser d’une discipline, avec un champ culturel identifié et respecté dans la production de son œuvre, ici la technique pour arriver au but de l’activité, vers une activité fondée par du transversal, c’est préparer la disparition scolaire de l’EPS. Car, pour faire du transversal, il n’y a pas besoin d’activité physique. Il est tout a fait possible d’être un bon citoyen, et ne pratiquer aucune activité physique. C’est pourquoi nous estimons que tout ce qui est visé en terme général ne peut l’être véritablement qu’au travers d’apprentissages spécifiques caractéristiques de l’identité disciplinaire.
Glisser d’une discipline, avec un champ culturel identifié et respecté dans la production de son œuvre, ici la technique pour arriver au but de l’activité, vers une activité fondée par du transversal, c’est préparer la disparition scolaire de l’EPS.
Se connaitre, c’est important. Or, il nous semble que nous nous connaissons toujours à travers une activité, bien précise, cadrée. Apprendre, se dépasser, réussir de nouvelles choses, en maîtrisant de nouvelles techniques, avec les autres y compris en jouant contre eux/elles, permet non seulement de se connaitre mais de savoir qu’on peut réussir à se surpasser. Evidemment, cela s’articule avec tous les savoirs permettant de gérer les phases d’effort et celles dites de récupération.
L’EPS sortira renforcée si celles et ceux qui la « conduisent » à savoir les enseignants d’EPS, maitrisent toujours plus les savoirs issus des pratiques sociales, sportives et artistiques, au lieu de les mettre à distance. Une haute maîtrise est importante pour pouvoir « didactiser » les pratiques dans le cadre scolaire.
Historiquement, le monde sportif s’est nourri des inventions pédagogiques de l’EPS. S’adresser à des élèves non volontaires a priori, dans des horaires restreints, avec des groupes importants, obligent les enseignants à un travail de haut niveau d’élaboration pédagogique dont les retombées peuvent s’avérer efficaces a fortiori dans les clubs ou les associations. Faudrait-il abandonner cette reconnaissance historique ? Au profit de quoi et pour viser quoi ? La profession doit se réapproprier le débat !
- « L’homme ne joue que là où, dans la pleine acception du mot, il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue. » (Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, Friedrich von Schiller, 1795[↩]
- Pierre PARLEBAS (dir.), 2016, Jeux traditionnels, sports et patrimoine culturel. Cultures et éducation[↩]
- Nous sommes conscients que la médiatisation extrême pousse les fédérations à adapter la compétition aux formats médiatiques mais il nous semble essentiel de ne pas passer à côté des raisons purement sportives, bel et bien existantes.[↩]