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L’Ecole Normale Supérieure lance les Assises de l’EPS

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L’ENS a lancé l’idée d’organiser des Assises Nationales de l’Éducation Physique. Le premier temps d’échange se fait dans les académies autour de questions. Un premier temps a été organisé mercredi 16 juin à Marseille avec Alain Rethy, IRPR d’Aix Marseille, Didier Delignère, professeur des universités à Montpellier, Olivier Robert, formateur au STAPS d’Aix-Marseille. Bruno Cremonesi était présent pour SNEP-FSU et a répondu à deux questions pour lancer le débat. 

1. Quelle EPS pour le citoyen de demain ? Enjeux de l’EPS à l’école ?

Merci d’avoir invité le SNEP-FSU à ce débat. Nous avons accepté de participer à cette initiative nationale car elle cherchait à croiser les regards sur le devenir de notre discipline. Nous ne pouvons que regretter que ce type de discussion ne puisse pas trouver davantage d’espace démocratique. Merci à l’équipe de Marseille d’avoir invité un représentant du SNEP-FSU, nous regarderons à la fin l’équilibre des points de vue de ces cafés.

Avant de m’engager sur les enjeux de l’Éducation Physique et Sportive, j’aimerais revenir sur la définition de la culture : On est qualifié de « culturalistes » mais est-ce que tout le monde sait bien ce que ça veut dire ? Tout part en fait de ce qu’est la culture.

L’inventivité humaine a créé des objets, matériels (un téléphone portable, un ballon, un film…) et immatériels (des techniques pour faire quelque chose, des théories…). C’est ce vaste ensemble qu’on appelle la culture. Il faut considérer la culture comme la boite à outils de notre humanité pour agir et comprendre. La culture mathématique, la culture technologique regroupent certaines créations humaines. La culture sportive et des arts corporels en regroupent d’autres tout aussi fondamentales. Dans l’ensemble de ces créations humaines, la société doit faire un choix de ce qui va s’étudier à l’école.

Cela constitue pour nous l’enjeu clé de l’école, celui de la démocratisation de la culture. L’école est le lieu de l’étude de la culture qu’une société choisit de transmettre à la jeune génération, au citoyen de demain, pour qu’il n’ait pas à tout reconstruire : on étudie encore aujourd’hui le théorème de Thalès parce qu’on estime que c’est un acquis et personne ne dit que c’est ringard !

Le fondement d’une école comme lieu de transmission de la culture s’appuie sur l’étude de ces objets culturels qui nous permet de penser, d’agir et d’être ensemble. Bref, c’est ce qui lie les êtres humains entre eux. Elle fonde la volonté de vivre ensemble. L’enjeu de démocratisation de la culture se situe aussi dans la volonté de changer les rapports sociaux existants.

« Pour nous l’EPS et l’école doivent être le lieu de la démocratisation de cette culture, nous devons faire reculer les inégalités dans la pratique sportive et les arts corporels. »

L’école a cette fonction de faire sortir les enfants de leur milieu, de ne pas les laisser assignés à leur résidence culturelle et de tendre vers une forme d’universalité.

Les classes dominantes de la société et les classes moyennes ont construit leur place sociale dans la maitrise de la culture. Je nous renvoie au livre de Bernard Lahire dans la lignée de l’héritage de Pierre Bourdieu, qui montre qu’en fonction des positions sociales, les individus se construisent des dispositions qui vont orienter leurs manières de penser et de faire. Les enfants vivent dans la même société mais pas dans le même monde.

Les sports aujourd’hui et demain restent comme la musique, ou d’autres créations culturelles, un moyen de distinction sociale.

Pour nous l’EPS et l’école doivent être le lieu de la démocratisation de cette culture, nous devons faire reculer les inégalités dans la pratique sportive et les arts corporels. L’expression peut être un peu lourde, mais il y a un tel enjeu à ce chaque élève puisse vivre un cycle de danse !

Son caractère obligatoire pour tous et toutes, lui confère une responsabilité importante du point de vue de ce premier enjeu de démocratisation.

Démocratisation de la culture et formation du citoyen

Nous devons nous sortir d’une mise en opposition d’une école comme le lieu de l’appropriation des savoirs et d’une autre qui serait uniquement contributive des grandes finalités sociales. Je dirai que le point d’équilibre est rompu dans les nouveaux programmes qui ont voulu devenir essentiellement contributifs à des grandes finalités et n’ont pas de savoirs constitutifs de notre discipline.

Cet enjeu est sans doute le plus caricaturé de la position que le SNEP-FSU cherche à défendre. C’est dans l’appropriation de la culture que l’on devient de plus en plus humain. Nous avons actuellement un mouvement qui tend à minorer l’importance des savoirs au profit des compétences sociales, « des soft skills » pour reprendre les termes de l’Europe. Cette vision binaire qui sépare la culture des compétences méthodologique et sociale, pense ces savoirs sociaux en dehors des activités culturelles. Au contraire, ils sont sédimentés dans les formes sociales de la culture, par exemple dans l’entrainement ou dans la compétition.

Les savoirs tactico-techniques en handball pour apprendre à jouer vite vers l’avant ne peuvent se maitriser sans être dans une situation d’affrontement contre des adversaires, avec de la pression temporelle, symbolique, en cherchant à exploiter la création et l’invention que le règlement donne au joueur. N’y a-t-il pas dans ces situations des compétences méthodologiques à s’approprier à la fois dans le mode de pratique, dans l’émotion à gérer, dans le choix d’une stratégie et son évaluation… ?

Entendez-vous les enseignants de français dire que les choix d’ouvrages ne seraient qu’un support pour former au langage, aux règles d’orthographe. Ainsi l’étude des Trois mousquetaires ou des œuvres de Victor Hugo ne serait que pour apprendre à respecter les autres, à gérer sa lecture plus tard ?

Nous devons faire confiance à la puissance de la culture des APSA, à ce qu’elles peuvent générer dans la diversité des apprentissages, pour devenir des êtres humains capables de vivre en société.

Le 3ème enjeu est celui de l’émancipation :

L’école a cette mission fondamentale dans l’accès à la culture de permettre à l’ensemble des élèves d’accéder à de nouveaux pouvoirs. Le pouvoir de savoir nager, de faire un ATR, jouer avec les autres, grimper une voie, donne aux élèves un autre rapport au monde et aux autres.

Mais l’EPS permet aussi de vivre, dans l’étude de ces savoirs, un autre rapport à la règle. Non pas pensé comme une liste d’interdits mais comme un pouvoir agir. L’élève placé dans un cadre règlementaire approprié, explore le sens des règles en explorant simultanément la tension transgression/respect et la mise en œuvre de techniques et tactiques.

La règle n’est plus une imposition extérieure mais l’élève en comprend le bien-fondé régissant les comportements individuels et collectifs.

La démarche d’appropriation des objets d’étude du handball, par exemple, apprend à se connaître, à choisir en connaissance, à évaluer les effets de ses actions, à modifier après analyse. C’est une école de la responsabilité des choix effectués… En apprenant à se bien connaître, l’homme s’émancipe. Cette démarche demande à ce que les individus soient confrontés, dans leur pratique, à des problèmes à résoudre. C’est par un réajustement permanent de ses potentialités que l’Homme s’engage dans un processus émancipateur.

Placer l’enfant dans des situations d’invention en prenant appui sur le patrimoine l’ayant précédé, c’est le doter des moyens de penser le futur. 

2. Comment organiser l’EPS dans la classe (activités supports, temps, progressivité) ?

Je pourrais développer l’importance des programmes et de l’importance d’une évaluation nationale mais pour lancer la discussion entre nous, j’aimerais échanger avec vous sur deux points de tension qui à mon sens aujourd’hui empêchent de penser l’EPS de demain :

  • EPS de qualité serait une EPS équilibrée.
  • EPS et hyper scolarisation des pratiques physiques, sportives et artistiques (PPSA)

EPS équilibrée :

Il est attendu pour une « bonne EPS » un équilibre entre 3 cycles de 10 séances et un parcours de formation dans les 5 champs pour reprendre les mots du moment en lycée. Je pense que nous devons entrer en rupture avec ce projet, l’EPS équilibrée est un projet qui date des années 80 et qui a produit l’éternel débutant et l’accentuation des inégalités dans les connaissances acquises. Cette vision s’appuie sur la volonté d’avoir voulu rationaliser un être humain physiquement éduqué, une EPS qui serait le développement d’un ensemble d’habiletés motrices censées se compléter.

Cela pose un premier problème dans la classification elle-même de ces APSA. Je vous pose la question, est-ce que l’on est sûr qu’un élève va être plus physiquement éduqué parce qu’il aura visité les 5 champs sachant que l’on met dans un même champ des APSA de natures complètement différentes. Natation et athlé, tennis de table et rugby, danse et gym…

Si l’on programme 3X500, CED et course d’orientation, c’est une EPS équilibrée car pas le même champ ?

Par contre pas le droit de programmer : athlétisme et natation ou alors tennis de table et rugby…

Nous devons faire un pas de côté dans le système actuel du « découpage en tranches » pour penser l’EPS de demain.

Introduisons l’idée d’une ou deux APSA d’approfondissement qui soient tout au long du cursus scolaire (60 h de formation en collège, 3 cycles de 20h), choisies par les équipes en fonction de la réalité, de leurs compétences, de leurs installations sportives. Nous pourrons d’autant mieux travailler le lien avec le sport scolaire et les passerelles possibles pour certains élèves vers le club sportif. Cela peut être aussi à l’inverse lorsqu’il y a une culture locale forte d’un sport dans une ville, de proposer en EPS, au sport scolaire, dans la section sportive, une autre APSA.

« Nous devons faire un pas de côté dans le système actuel du « découpage en tranches » pour penser l’EPS de demain. »

Je nous invite à penser les choses autrement.  Déséquilibrer les cycles en termes du nombre de séances et du nombre de fois où on programme telle ou telle activité sur un cursus scolaire. Est-ce que l’on est sûr que nos élèves seront moins physiquement et sportivement éduqués si je programme deux cycles de 12 séances d’une APSA et un cycle de 6 séances d’une autre APSA, pour la découvrir ?

Le lycée avec ses 3 X3 cycles qui visite les 5 champs devrait au contraire faire des choix plus affinés pour finaliser la formation.

Pour conclure sur la logique d’approfondissement :  les travaux de recherche sur Filles et STAPS. Je vous renvoie au séminaire organisé par le SNEP-FSU sur Filles sportives, osez les STAPS, ou à l’ouvrage que vient de publier Carinne Erard avec deux autres chercheuses de Dijon, qui vont dans le même sens. Je le traduirais de cette façon : les élèves et notamment les filles qui construisent un sentiment de compétence fort dans une APSA vont à la fois rebondir positivement dans la continuité de l’activité sportive mais aussi dans leur orientation notamment vers les STAPS. Ce sont des éléments importants à prendre en considération pour notre discipline et pour notre profession.

Une EPS hyperscolarisée :

Il y a une nécessité pour qu’une pratique sociale puisse être étudiée dans le cadre scolaire, de la scolariser. D’identifier les savoirs et les conditions de leur étude. Nous observons dans cette quête de pratique scolaire une tendance actuelle : une forme d’hyperscolarisation des pratiques sportives et artistiques. Des pratiques qui, sous prétexte d’être au sein de l’école, épousent toutes les formes scolaires, y compris les plus formelles.

De mon point de vue, cette hyperscolarisation participe d’une certaine façon à affaiblir la dimension émotionnelle et sociale. Je parle ici non pas du travail nécessaire de didactisation de l’activité, mais du glissement que l’on peut observer dans certaines pratiques en EPS, avec les nombreuses situations trop complexes dans leur réalisation avec beaucoup de rôles sociaux d’observateurs, de juges, … très loin de la pratique sociale sans jamais trouver le moyen d’y revenir. 

Un peu comme l’étude d’un poème écrit pour être lu, s’il n’est jamais lu, la poésie va affaiblir son sens et sa fonction humaine.

C’est ce qui conduit certains enfants à être en réussite dans les activités physiques et sportives en dehors de l’école et à avoir de mauvaises notes en EPS, passant à côté des attendus de notre discipline. Il y aurait surement à travailler sur l’explication des attendus de l’EPS mais mon propos vise surtout ici à proposer de réaliser à l’école un mouvement pour redonner du sens.

« Ma proposition vise à remettre un peu d’émotion et de joie dans la finalisation des cycles proposés : remettre en culture l’Education Physique et Sportive. »

Ma proposition vise à remettre un peu d’émotion et de joie dans la finalisation des cycles proposés : remettre en culture l’Éducation Physique et Sportive. Nous ne sommes pas dans une innovation incroyable mais dans ce qui a marqué notre discipline, ce qui a marqué positivement le vécu des élèves.

  • Les interclasses qui finalisent l’étude d’un sport co. Il y a des collèges où des enfants n’ont pas vécu un seul inter-classe…
  • Le spectacle de danse à la fin du cycle de danse.
  • La sortie escalade en falaise à la fin du cycle d’escalade.
  • Le stage APPN pour tous les élèves qui auraient acquis un brevet de savoir en course d’orientation et en escalade….