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L’apprentissage de la nage fait partie intégrante de l’EPS, discipline obligatoire de la maternelle au lycée. Pour réussir à atteindre l’objectif de 100% de nageurs, il faut réunir un certain jombre de conditions. L’école primaire doit pouvoir jouer son rôle, avec des constructions/rénovation de piscines, de la formation d’enseignant·e·s, des classes natation et des continuités école-hors-école.
Les enjeux du développement de l’apprentissage de la natation
Lorsque l’on parle de natation, (ou plus souvent de « savoir-nager »), c’est l’idée de sécurité qui vient d’abord à l’esprit : savoir nager pour savoir « se sauver ». Cependant, si la lutte contre les noyades est sans conteste un enjeu de société, on oublie trop souvent un enjeu tout aussi déterminant dans notre monde moderne, celui de démocratisation et d’émancipation lié à l’accès à des loisirs actifs.
- La natation, c’est l’ouverture à toutes sortes d’activités culturelles liées au milieu aquatique (en piscine, en milieu naturel (mer, rivière…), selon des motivations sportives et/ou récréatives et avec divers motifs (épreuve, performance, compétition, entretien de soi…) et c’est l’accès aux pratiques nautiques (kayak, aviron, voile, etc.)
- La natation est la deuxième activité sportive et de loisirs la plus pratiquée par les français (source MVJS, 2015). Elle est un des loisirs les plus à la portée de tous les âges et de tous les milieux. Les jeux aquatiques sont un des loisirs essentiels (pour nombre d’enfants, un des rares loisirs sportifs en hiver ou en été), accessibles à un très grand nombre, souvent gratuit (mer, lacs).
- Le rapport des humains au milieu aquatique a évolué au cours de l’histoire : au départ, il s’agissait surtout de savoir sortir de l’eau rapidement, aujourd’hui les humains cherchent à rester longtemps dans l’eau pour s’y amuser…(voir «Utopistes nageons ! » Revue Contrepied n°7, EPS et société)
Apprendre à nager à tous les enfants est donc un objectif que doit se fixer notre société pour des raisons de santé, d’appropriation culturelle des pratiques sociales sportives et de loisir, de démocratisation et d’émancipation de tous et toutes. Il ne s’agit pas seulement pour « se sauver », l’école doit être ambitieuse dans ses objectifs. (Concernant les noyages, voir le rapport «Pour une stratégie globale de lutte contre les noyades»)
Tous les enfants doivent avoir la possibilité d’être autonomes le plus tôt possible, pour aller à la piscine avec leurs ami∙es, frères et sœurs, avec le centre aéré, et y jouer et nager en sécurité, avoir accès aux pratiques nautiques.
Ce que disent les programmes 2015
Cycle 1 (maternelle) : Se déplacer avec aisance dans des environnements variés, naturels ou aménagés : Explorer avec plaisir le milieu aquatique. Découverte du corps flottant : se laisser porter par l’eau. Exploration de déplacements avec la tête dans l’eau en s’aidant des bras et des jambes. Exploration de la profondeur et du volume aquatique pour aller chercher des objets immergés.
Cycle 2 (CP, CE1, CE2) : Se déplacer dans l’eau sur une quinzaine de mètres sans appui et après un temps d’immersion. Repères de progressivité : Passer de réponses motrices naturelles (découvrir le milieu, y évoluer en confiance) à des formes plus élaborées (flotter, se repérer) et plus techniques (se déplacer). Passer d’un équilibre vertical à un équilibre horizontal de nageur, d’une respiration réflexe à une respiration adaptée, puis passer d’une propulsion essentiellement basée sur les jambes à une propulsion essentiellement basée sur les bras.
Cycle 3 Réaliser une performance pour aller plus vite, plus longtemps. Adapter ses déplacements à des environnements variés : Connaitre et respecter les règles de sécurité Valider l’attestation scolaire du savoir nager (ASSN).
La natation fera l’objet, dans la mesure du possible, d’un enseignement sur chaque année du cycle.
Circulaire natation B0 du 12–10–2017: « Pour permettre aux élèves de construire les compétences attendues, en référence aux programmes d’enseignement, il importe, dans la mesure du possible, de prévoir trois à quatre séquences d’apprentissage à l’école primaire (de 10 à 12 séances chacune) ». Soit un total de 30 à 44 séances.
La natation : statut particulier et paradoxes
Si l’on compare aux autres sports, la natation est depuis toujours considérée comme une activité « à part » dans l’enseignement, avec notamment des circulaires et des brevets spécifiques (attestation scolaire du savoir nager délivrée par l’Ecole en fin de cycle 3). Ainsi la société reconnait le risque de noyades comme un problème majeur. Ce statut particulier a un revers : l’apprentissage de la natation est imprégné d’un inconscient collectif : la peur de se noyer. Celle-ci est liée certes à des risques objectifs (nous sommes des terriens et non spontanément adaptés au milieu aquatique) mais aussi des éléments subjectifs, qui font que la peur de l’eau se transmet aux enfants de générations en générations par toutes sortes de comportements familiaux dès le plus jeune âge, en fonction de l’environnement culturel.
Se transmet également – et c’est moins compréhensible – une façon d’apprendre à nager très « traditionnelle » : certes, depuis longtemps on n’apprend plus à nager sur des tabourets, mais on enseigne encore très majoritairement des gestes (des formes de nage), avec des flotteurs (brassards, bouées, frites…) .
Or, nous savons depuis 50 ans qu’un enfant n’apprend pas à nager comme ça !
Depuis 1977, des spécialistes de l’enseignement ont montré, grâce à une nouvelle approche didactique et pédagogique de la natation, qu’apprendre à nager, c’est d’abord expérimenter la flottaison, l’apnée (« même en ouvrant la bouche, je ne bois pas »), explorer le fond de la piscine. Ils ont également montré qu’on apprend à nager sans « prothèses » (sans bouées et sans brassards) de façon à ce que l’enfant (ou l’adulte) puisse ressentir pleinement cette flottaison et construire un nouvel équilibre/respiration/propulsion. Le film Digne dingue d’eau de Raymond Catteau montrait en 1977 que la première étape d’une telle transformation peut s’opérer – avec un spécialiste – en une quinzaine de séances à raison de 2 séances par jour pendant 2 semaines. Cette expérience vient à nouveau d’être filmée, avec le même succès : Voir Apprendre à nager un film qui bouscule les idées reçues.
Paradoxe : Comment alors expliquer que depuis 50 ans l’on continue à laisser les parents, les MNS, les enseignant.es mettre des brassards et des bouées aux enfants ? Avec ces « prothèses », tout le monde est leurré. D’abord l’enfant qui vit une expérience biaisée de la natation (ayant toujours eu des brassards, il ne sait pas qu’il ne flotte pas sans eux) et les parents qui pensent leur enfant en sécurité et ne pas avoir besoin de le surveiller. De surcroit, cela allonge considérablement le temps d’apprentissage pour devenir autonome. Une campagne d’information pédagogique (relative aux gestes familiaux sous la douche, les jeux possibles avec les enfants sans brassard et sans frite) serait nécessaire.
Tests d’« aisance aquatique » et « savoir nager » : rendre explicite la progressivité
Le « savoir nager », comme le « savoir-lire » est un savoir complexe et un processus jamais terminé. Plutôt que « savoir nager », nous préférons dire « apprendre à nager », comme on dit « apprendre à lire ». Un enfant de 6 ans sait lire, mais ne peut pas encore tout lire. C’est pareil pour le « savoir-nager » ou l’« aisance aquatique ». Quand sait-on vraiment nager ? Quand est-on vraiment à l’aise dans le milieu aquatique ? Un élève à qui on délivre l’ASSN sait-il réellement nager, notamment à la mer, dans une rivière ? Saura-t-il se sauver dans n’importe quelle circonstance ? Pas sûr ! l’attestation qui lui est délivrée ne doit pas lui faire prendre de risques inconsidérés (se surévaluer) ou au contraire de se censurer dans le fait d’aller à la piscine de manière autonome (se sous-évaluer).
C’est pour cette raison que nous proposons de délivrer des brevets avec des niveaux (à l’instar des étoiles et des flocons au ski, des ceintures et des dans au judo ou karaté, des galops en équitation, etc.) Ces niveaux sont intéressants au plan pédagogique parce qu’ils donnent un repère extérieur à l’enfant, une indication qui lui permet de se situer en tant que : débutant, débrouillé, confirmé, etc. Pourquoi pas des dauphins (ou autre appellation) qui permettrait aux enfants de se situer avec sur une échelle de 1 à 4, du plus débutant au plus haut niveau de maitrise, et se fixer des objectifs de progrès.
Pour l’école, nous proposons d’expérimenter 3 repères scolaires de natation correspondant à 3 étapes didactiques importantes. Un premier niveau obtenu vers 5-6 ans (type « aisance aquatique »), un deuxième niveau en fin de cycle 3 (ASSN actuel ou test du même type), un 3ème niveau obtenu en fin de troisième (cf. programmes collège de 2008). Ce serait 3 repères de culture commune pour tous les élèves (un 4è niveau pourrait correspondre au Bac).
Le rôle de l’école : pour un saut qualitatif
Nous pensons que l’Ecole – si elle est en avait les moyens – serait en capacité de relever le défi de l’apprentissage pour tous et toutes en très peu de temps ! Autrement dit nous affirmons qu’aujourd’hui, si on voulait que tous les enfants de France sachent nager, on le pourrait ! Deux leviers majeurs à activer : Le nombre de bassins et la formation des enseignants.
Le nombre de bassins
Le manque de piscines est un frein incontestable pointé dans plusieurs rapports de la Cour de Comptes. Celui de février 2018 «Les piscines et centres aquatiques publics : un modèle obsolète» indique qu’« un tiers des classes élémentaires ne bénéficie pas d’une offre de bassin jugée satisfaisante au regard des objectifs d’apprentissage » Celui de septembre 2019, que « le manque d’infrastructures est la principale cause de non-participation au dispositif « savoir nager ». » mené dans l’académie de Créteil. Il pointe également que la gestion des piscines en délégation de service public tend à privilégier des activités plus « rentables » financièrement et conduisent à la conception de bassins peu adaptés aux apprentissages et à la réduction des créneaux accessibles aux scolaires. Il est nécessaire de créer les conditions et les synergies, particulièrement financières, pour rénover et construire des piscines adaptées aux apprentissages partout où il en manque. Un plan national d’envergure, associant état et collectivités territoriales, serait un véritable signe qu’il s’agit là d’une urgence.
La formation des enseignantes
L’autre principal levier est d’améliorer considérablement la formation des enseignant∙es, du primaire. Si l’horaire de natation était renforcé en STAPS et en INSPE, si on formait tous les PE en formation initiale et qu’on offrait des stages à tous ceux qui le souhaitent en formation continue, on ferait un bond en avant formidable !
En ce qui concerne les PE, des années d’expériences en formation initiale et continue, via les CPD et les formateurs d’IUFM puis d’INSPE, nous amène à faire certains constats satisfaisants et porteurs d’améliorations :
- Aujourd’hui, la quasi-totalité des jeunes professeur∙es des écoles savent nager (il y a très peu de grands débutant∙es en master 1). Exemple à l’INSPE de Saint Lô en 2017 : 98% de réussite à l’ASSN, 98% savent nager 25 m crawl suite à 4 séances de pratique natation (chiffres dans la continuité des résultats à l’ASSN de l’académie de Caen.)
- La courte période où la formation initiale a pu consacrer 18-20h à la natation (6 demi-journées consacrées à la didactique/pédagogie associée à de la pratique personnelle), les enseignantes possédaient les outils pour enseigner. Contrairement à ce qui se dit souvent, il n’est pas plus difficile d’enseigner la natation que les sports collectifs pour un∙e PE aujourd’hui. Les mêmes constats sont faits avec 3 jours en formation continue.
- La majorité des enseignant∙es comprennent « qu’on n’apprend pas des gestes » et la nécessité d’enlever les brassards et les bouées. Avec une formation adaptée, la majorité des enseignant∙es se sentent capables d’enseigner… à condition qu’on ne tente pas de leur faire croire l’inverse ! (Ceci vaut pour toutes les APSA où il y a substitution et non collaboration entre intervenants extérieurs et enseignant∙es).
- Rappelons que si un∙e enseignante ne se sent pas capable d’enseigner, la loi permet des échanges de service. Il n’y a donc aucun obstacle formel pour que les élèves bénéficient d’un module de natation enseigné par un autre P.E que celui qui est habituellement en charge de la classe.
- Dans le cadre, du cycle 3, il est prévu des collaborations avec le collège et l’appui possible d’enseignants d’EPS, comme le précise la circulaire sur l’encadrement des APS parue au BO n°34 du 12/10/2017.
Des obstacles dépassables par la formation et des meilleures conditions d’encadrement
- S’il y a des obstacles, ils sont quasiment tous dépassables par la formation et une amélioration des conditions de l’encadrement : des obstacles d’ordre éthique et politique (oui, c’est bien le rôle de l’école d’apprendre à nager, nombre de familles ne le feront pas) professionnel (sentiment de compétence, relation avec les MNS) ou personnel (« je suis mal à l’aide en maillot de bain, je ne veux pas aller dans l’eau »… mais est-ce vraiment une obligation ? » La formation permet de dépasser certaines idées reçues et d’apporter des solutions aux problèmes.
- Il faut donner aux enseignants des repères très clairs dans les programmes : voir la fiche natation proposée par le SNEP-FSU.
- Il faut miser sur des apprentissages plus rapides. Cela suppose d’une part d’enlever les flotteurs et donner accès au grand bain aux débutants. D’autre part, pour pallier la peur de ne pouvoir surveiller tout le monde et offrir une pédagogie adaptée, les groupes ne doivent pas dépasser 8-12 élèves.
- Des apprentissages massés type « classes natation » doivent permettre également des apprentissages plus rapides. Leur développement est lié au manque de piscines et aux problèmes de financement.
Les points d’appui :
- Dans tous les départements, il y a des CPD qualifiés (ou facilement qualifiables après 2 jours de formation nationale) qui peuvent impulser, encadrer la formation continue en natation
- Dans tous les départements les CPC peuvent aider les enseignant.es à condition que leurs missions EPs soient confortées ce qui n’est pas le cas actuellement. Il serait tout à fait possible de généraliser 3 jours de stages de Formation Continue pour tout enseignant de Grande section/CP allant nouvellement à la piscine, avec un plan pluriannuel si besoin. Pour cela, il ne faudrait pas que la formation continue soit limitée aux français-mathématiques comme c’est le cas actuellement !
- Depuis 15 ans, l’épreuve de natation au concours de recrutement des PE a été supprimée, or celle-ci permettait d’inscrire la natation dans les cursus de formation initiale (il s’agissait de nager 50 mètres et de réussir une épreuve de sauvetage avec transport d’un petit mannequin sur 12,5 m). Aujourd’hui, il est demandé un brevet de 50 mètres (sans exigence particulière). La baisse des horaires de formation initiale dans les INSPE va obligatoirement impacter négativement la formation des professeurs des écoles, en contradiction totale avec les enjeux d’un développement du « savoir nager ».
Des exemples à suivre :
- Certains départements financent des projets « classes natation » des collégiens (par ex. Le CD de la Manche). D’autres participent financièrement à l’accès aux bassins (droits d’entrée) et aux transports (CD calvados, CD Nord) pour les classes de 6èmes. Transports et entrées à la piscine devrait être gratuits pour toutes les écoles.
- Dans certains départements, il y a quelques années, un PE était affecté sur un centre de loisirs qui accueillait des classes natation sous forme de « stages massés ». Ces postes – au nom de la baisse des dépenses publiques- ont été supprimés, alors qu’ils montraient leur efficacité ! Il faudrait au contraire au moins un centre de ce type par département, avec un encadrement assuré par un personnel de l’éducation nationale, pour démultiplier ces stages.
Un investissement pour l’avenir
Bien sûr, toutes ces propositions coûtent ! Mais un coût ou investissement ? Pour nous la réponse est claire. Si apprendre à nager est un enjeu de société, c’est un investissement ! Par ailleurs, pour nous, l’Ecole a des ressources et la solution n’est pas à chercher en dehors de l’Ecole en voulant désespérément multiplier les partenaires. Le temps péri-scolaire ou le temps des vacances ont un autre rôle à jouer que celui de l’Ecole : s’amuser, s’ouvrir au monde, se reposer, compléter sa formation… Bien sûr, c’est aussi l’occasion pour les enfants d’expérimenter et de stabiliser ce qu’ils ont appris à l’école.
Une politique volontariste d’entrées gratuites à la piscine, déjà mise en œuvre par le passé, serait à généraliser (suite à un premier module de natation par exemple) pour inciter les familles, notamment celles aux revenus modestes, à poursuivre cet apprentissage et aller vers une ouverture culturelle des sports et activités aquatiques et nautiques!
La politique volontariste affichée de la ministre des sports sur « l’aisance aquatique » nous semblent créer un contexte favorable pour populariser l’idée que « tous les enfants de France peuvent apprendre à nager et l’Ecole est prête à relever le défi ! ». Reste à convaincre le ministre de l’Education nationale lui-même !
Résumé de nos propositions :
- Une formation des enseignant∙es (3 jours minimum) centrée sur un apprentissage moderne, plus efficace et plus rapide de la natation avec diffusion d’outils (voir site EPS et Société). Pour réussir cela, il faut développer la formation spécifique en EPS et non la réduire comme le fait le ministère de l’Education Nationale depuis plusieurs années ! Il faut également développer des formations communes avec les MNS de façon à voir la même approche d’apprentissage.
- Un développement des stages de natation massés.
- Un état des lieux de l’enseignement de la natation publié régulièrement par l’Education Nationale.
- Des séances gratuites dans les établissements de bains publics après un premier module pour permettre la stabilisation des apprentissages.
- Une campagne de sensibilisation sur la relation parent-enfant pour moderniser la représentation de l’apprentissage de la natation du grand public et favoriser la prise de conscience de la responsabilité individuelle face aux risques du milieu aquatique
- Un plan de développement, concerté entre l’Etat et les collectivités territoriales, des infrastructures adaptées aux apprentissages et en phase avec les préoccupations écologiques (voir les ouvrages publiés par le SNEP-FSU sur le sujet).