Le SNEP-FSU a été invité par l’École normale supérieure de Rennes, dans le cadre des Assises pour l’EPS de demain, pour participer à une table ronde sur la question des finalités en EPS. Retrouvez les idées-clés dans le présent article.
Les questions initialement posées aux intervenant·es étaient : est-ce que l’EPS doit cibler certaines finalités selon les moments du parcours scolaire OU chercher à tout le temps articuler ces finalités tout au long du parcours scolaire ? Comment articuler ces différentes finalités aux différents moments de la scolarité ?
Les finalités : une préoccupation politique !
Rappelons une évidence qu’on oublie parfois : les finalités ne s’enseignent pas. Elles donnent un cadre philosophique, politique à l’enseignement disciplinaire. Et quand bien même, nous affirmons que l’enseignement, par l’étude qui en est faite, des APSA, constitue la finalité première de l’EPS, cette finalité même ne s’enseigne pas. Elle représente le sens, le cadrage, la conception même de la discipline. Chacune des APSA, par contre, par le biais de sa didactisation conduit vers l’acte d’enseignement.
Prenons, par exemple, le rapport entre l’EPS et la santé. Selon la définition très large que nous donnons à la santé 1, il nous semble impossible de vraiment y œuvrer en EPS en dehors des acquis significatifs dans les APSA (engagement dans la durée et de façon régulière, savoir s’entrainer et donc se développer tout en se protégeant etc.). Penser qu’il y aurait des « pratiques » spécifiques à la santé en dehors des différentes cultures physiques, c’est ignorer le potentiel d’une culture au plan moteur/technique, éducatif…, la preuve n’est pas faite que des pratiques spécialement inventées pour éduquer à la santé présenteraient une sorte de supériorité sur les APSA établies et historiquement construites aujourd’hui.
Depuis quarante ans, nous retrouvons les 3 grandes finalités exprimées avec des variations d’écriture, mais c’est certainement une des questions les moins polémiques au sein de la sphère EPS, en ce sens que personne n’en conteste ni le principe, ni le fait qu’elles existent, ni même les finalités choisies. Personne ne conteste la visée d’une meilleure santé ou bien celle de la contribution de l’EPS à la formation des citoyen·nes d’aujourd’hui et de demain.
Ce qui est plus problématique c’est ce qu’on met derrière. Formater quelqu’un au respect aveugle des règlements, aux ordres donnés, est une vision de la formation citoyenne diamétralement opposée de celle où l’apprentissage des raisons historiques des règlements et de leurs évolutions contribue à la compréhension du monde, de ses rapports de forces, les lignes de développement et leurs cohabitations. Bref, la richesse de l’évolution des cadres culturels et leur appropriation vivante contribuent à la formation d’un tout autre type de citoyen.
Au SNEP-FSU, nous estimons que les finalités reposant sur des valeurs ont besoin du temps, car la société a besoin de ce temps pour inverser un certain nombre de choses qui constituent les maux de notre société
Se prononcer sur les finalités c’est se projeter dans un avenir que l’on souhaite. Or, quoi de plus politique que de définir la société et le citoyen. Et donc, lorsqu’on creuse la question de quel citoyen pour quelle vie en société et vice versa, certains choix apparaissent ou n’apparaissent pas selon les choix de société.
Par exemple, certaines finalités sont historiquement absentes des grandes finalités retenues par l’institution, la lutte contre les inégalités, sociales notamment2. Nous le mettons en discussion.
Revenir aux bases : « liberté-égalité-fraternité »
Dans notre « programme alternatif », nous remettons au premier plan le triptyque « liberté-égalité-fraternité ». Après tout, si on visait celui-ci on serait en phase avec le rôle d’un service public, invention républicaine par définition. Finalement, nous soumettons au débat ce renouvellement en lieu et place du sempiternel : former un citoyen… Car, entre une vision néolibérale appuyée sur un individu roi, autocentré, et une autre appuyée sur un individu libre mais acteur dans une société, il y a bel et bien une différence fondamentale de civilisation. Sur le premier pèse un semblant de liberté dans une société fragmentée, dans laquelle il y a de plus en plus de citoyen·nes qui ont de moins en moins de moyens d’agir.
Cette fausse liberté est ici un frein. L’idée du deuxième est de construire, avec les jeunes, un processus d’individuation par l’accès à la culture par l’appropriation/développement des savoirs qui, à son tour, permettra d’agir non seulement au sein d’un cadre imposé mais aussi être en capacité, par la maîtrise de ce dernier, de peser pour sa transformation en accord avec certaines valeurs.
Les finalités rendent-elles l’EPS plus lisible ?
Il y a une sorte de croyance dans certains discours portant sur le soi-disant manque de lisibilité de la discipline. Non, nous estimons qu’il n’en est rien. Pour nous, rien de tel ne nuit au développement de l’EPS, c’est un fantasme autocentré. Ou alors, si manque de visibilité il y a, c’est parce que l’EPS abandonne depuis plusieurs années la culture qui la légitime, au même titre que la culture mathématique légitime les mathématiques, les œuvres littéraires légitiment l’enseignement des lettres etc. Puis, il ne faut pas confondre un texte officiel, nécessairement riche et complexe, car il encadre et organise l’enseignement sur toute la durée de la scolarité, et une sorte de vulgarisation de ce qui s’apprend en EPS. Il s’agit de deux « objets » différents mais qui peuvent être complémentaires.
Peut-on, doit-on cibler certaines finalités en fonction de la scolarité ?
Enfin, la notion de « ciblage » des finalités (a fortiori en fonction des différents moments de la scolarité) et de priorisation est une idée problématique. Les finalités renvoient à un système de valeurs qui ne peuvent se désarticuler… A quel moment abandonne-t-on la santé ou bien encore la citoyenneté ? Certes, il est possible voire souhaitable d’avoir des priorités, mais nous sommes ici en présence de finalités sous forme de valeurs ou fortement inspirées par celles-ci. Cela veut dire que les priorités sont exprimées par autre chose que par une suite mécanique des valeurs déconnectées les unes des autres.
Raisonner par cumul conduit vers un formalisme nouveau. Il s’agirait de la révérence envers une nouvelle orthodoxie scolaire qui, en plus, pourrait subir des pressions politiques en fonction de la doxa « médiatico-sociétale » en cours.
Au contraire, au SNEP-FSU, nous estimons que les finalités reposant sur des valeurs ont besoin du temps, car la société a besoin de ce temps pour inverser un certain nombre de choses qui constituent les maux de notre société : individualisme outrancier, inégalités officialisées, instrumentalisation de l’École à des intérêts particuliers (il n’y a qu’à voir la dérive du LP qui est en train de devenir une succursale de l’entreprise) etc.
Pour terminer une question demeure. Parler des finalités, c’est bien, mais s’assurer qu’elles sont « mises en culture » en cours, pour tous et toutes en est une autre. La tentation est grande alors d’avoir une démarche descendante visant à « opérationnaliser » les finalités.
Outre que ça aboutit généralement à des usines à gaz pédagogique, l’histoire nous montre que c’est inefficace. Pour nous, il faut au contraire les faire vivre au cœur des apprentissages sportifs ou artistiques : traiter les finalités en dehors des savoirs disciplinaires référés à un domaine culturel ne nous semble pas possible. Ou alors nous nous contentons des incantations idéologiques.
- Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), celle-ci est définie comme un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. [↩]
- L’égalité hommes/femmes est très en « vogue » politiquement (ce qui ne veut pas dire que nous sommes sortis de l’ère du patriarcat) en ce sens que tous les mouvements politiques en font l’éloge et hurlent la nécessité, mais la lutte contre l’ensemble des inégalités nécessite d’articuler ces différentes formes de luttes pour davantage d’égalité.[↩]